Intervention de Jean-François Copé

Réunion du 19 décembre 2006 à 21h30
Loi de finances rectificative pour 2006 — Articles additionnels après l'article 36 quaterdecies, amendement 259

Jean-François Copé, ministre délégué :

Monsieur le rapporteur général, j'ai beaucoup étudié cet amendement, qui est le fruit d'un travail très approfondi de la commission. Mais je ne peux pas, à ce stade, émettre un avis favorable, pour un certain nombre de raisons que je veux vous exposer et qui, je l'espère, vous convaincront.

Au cours de cette législature, un certain nombre de mesures ont été adoptées afin de limiter les abus en matière de taxe professionnelle. Je pense, par exemple, au durcissement des règles de détermination de la valeur locative des immobilisations ou des règles de prise en charge des transferts de personnel. Faut-il aller plus loin en pénalisant fiscalement le recours à l'intérim à partir d'un certain seuil défini par secteur ? Je n'y suis pas favorable. Pour étayer ma position, je veux vous faire part de cinq arguments majeurs.

Premièrement, c'est l'intérim qui est en cause, vecteur très important d'emplois dans notre pays, puisqu'il concerne 637 000 salariés.

Deuxièmement, l'intérim est un instrument indispensable pour permettre aux entreprises, surtout du secteur industriel, de s'adapter aux variations brutales d'activité. Tout à l'heure, nous évoquions les Ardennes. Je rappelle que, dans ce département, l'industrie automobile, qui fait beaucoup appel à l'intérim, est le secteur le plus touché par les difficultés économiques. Les entreprises les plus fragiles, celles qui ont le plus perdu d'emplois industriels, sont dans le secteur de l'automobile, qui recoure à l'intérim à hauteur de 9 %, dans la chimie, la construction, les biens électroniques.

Troisièmement, les motifs du recours à l'intérim sont strictement encadrés par le code du travail. Ce n'est pas une option qui permet aux entreprises de choisir une forme de gestion plus souple des emplois comme alternative au contrat de travail classique.

Quatrièmement, la mesure proposée aboutirait, de fait, à instaurer une règle nouvelle d'encadrement de l'intérim, sanctionnée financièrement en marge du code du travail. Il existerait alors une distorsion entre les dispositions légales, prévues par le code du travail, et un traitement fiscal différencié, ce qui brouillerait la lisibilité juridique.

Cinquièmement, et c'est sans doute l'argument le plus important, cette mesure entraînerait de nombreux effets indésirables, en raison de la très grande diversité des situations vécues par les entreprises.

Prenons l'exemple d'une entreprise moyenne en phase de développement qui est confrontée à un pic de commandes déterminant pour son développement et qui emploie, pour y faire face, de nombreux intérimaires. La disposition envisagée aurait pour effet de majorer sa taxe professionnelle. Au même moment, une grande entreprise concurrente devant répondre au même type de commande recourt également à l'intérim. Étant donné l'effectif total des salariés de cette société, les intérimaires qu'elle recrute seront proportionnellement moins nombreux et elle restera en deçà du seuil maximal autorisé. Sa taxe professionnelle ne sera donc pas affectée. En bref, une entreprise moyenne subira de plein fouet la mesure proposée, à la différence de la grande entreprise.

Prenons également l'exemple d'une entreprise n'ayant que très rarement recours à l'intérim en raison de la régularité de son activité et qui connaît un pic exceptionnel d'activité. Elle verrait le coût de l'intérim augmenter, à l'inverse d'une autre entreprise qui emploie structurellement une moyenne d'intérimaires plus élevée conforme à la moyenne de son secteur.

Comme on peut le constater, les risques de distorsion d'une entreprise à l'autre, d'un secteur à l'autre, sont élevés.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je veux attirer votre attention sur le fait que retenir des moyennes sectorielles peut aboutir, parfois, à des situations peu cohérentes. Pour ce qui concerne l'industrie automobile, le Nord-Pas-de-Calais recourt à l'intérim à hauteur de 16 %, alors que la moyenne nationale s'élève à 12 %. La mesure proposée pourrait avoir un impact, dans la région susvisée, sur 5 000 emplois.

Dans certains secteurs, tel celui des biens électriques, le recours à l'intérim est tellement cyclique que la prise en compte de moyennes n'a que peu de sens. Là aussi, les enjeux sont importants, puisque, dans ce secteur, seraient concernés 11 000 emplois.

Au-delà de la force de la disposition que propose la commission dans l'amendement n° 259, un certain nombre de raisons me conduisent à être très réticent à sa mise en place d'office, d'autant que son application reviendrait à perturber les anticipations auxquelles se sont déjà livrées les entreprises concernées.

Monsieur le rapporteur général, je sais que vous tenez à cette disposition. Nous en avons parlé avant cette séance. En cet instant, je veux vous faire une proposition : acceptez de retirer l'amendement n° 259. Je m'engage, en contrepartie, à créer, avec mon collègue le ministre de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement, un groupe de travail pour évaluer les effets précis sur les entreprises de l'adoption de toute nouvelle mesure relative à la taxe professionnelle, une attention spécifique étant portée à la question de l'intérim. Ce domaine sensible mérite un travail conjoint, approfondi, entre, d'une part, l'Assemblée nationale et le Sénat, qui doit jouer un rôle particulier puisqu'il est à l'initiative de cette disposition, et, d'autre part, le Gouvernement.

Monsieur le rapporteur général, je serais sensible au fait que vous acceptiez ma proposition, d'autant que le sujet dont nous traitons doit être examiné avec une grande attention, compte tenu des incidences qui pourraient en résulter sur des secteurs industriels aujourd'hui fragiles.

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