Intervention de Jean-Pierre Godefroy

Réunion du 18 novembre 2004 à 10h00
Financement de la sécurité sociale pour 2005 — Débat sur les accidents du travail et les maladies professionnelles

Photo de Jean-Pierre GodefroyJean-Pierre Godefroy :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, avec un mort en moyenne toutes les quinze secondes, les accidents du travail et les maladies professionnelles font, chaque année, dans le monde, plus de victimes que les guerres, selon l'Organisation internationale du travail.

En France, le constat est sans appel : on dénombre plus de 2 000 accidents du travail chaque jour, qui occasionnent une incapacité au moins temporaire. Leur coût social cumulé avec celui des milliers de maladies professionnelles - 31 461 maladies professionnelles reconnues et indemnisées en 2002 - est évalué à 3 % de la richesse nationale annuelle.

La branche accidents du travail et maladies professionnelles est donc un enjeu majeur, tant pour la sécurité sociale que pour la politique de santé publique.

Cette année, les six articles du projet de loi de financement de la sécurité sociale qui relèvent de la branche AT-MP laissent une large place, voire une place exclusive, au problème de l'amiante et à l'indemnisation de ses victimes. Et pour cause, l'amiante est à l'origine des trois quarts des réparations versées par la branche AT-MP !

L'amiante est un réel problème de santé publique, actuel et à venir ; nous sommes tous d'accord sur ce point. Plus de 2 000 cas de cancers du poumon sont attribuables, chaque année, à une exposition professionnelle à l'amiante ; elle fait 3 000 morts par an en moyenne et en fera 100 000 dans les vingt prochaines années selon les estimations. Il est temps de prendre des mesures plus tranchées que celles qui nous sont proposées.

Concernant le FIVA, je remarque que la dotation de la branche AT-MP a été multipliée par deux, passant cette année de 100 millions à 200 millions d'euros. Pour autant, cela n'est pas suffisant.

En effet, pour la deuxième année consécutive, l'Etat ne participera pas au financement du fonds. Or il est responsable. Comme l'a dit le Conseil d'Etat dans un arrêt du 3 mars 2004 : « L'Etat n'a pas pris les mesures qui s'imposaient afin de protéger les travailleurs. »

Nous avions mis en place cette contribution dans la mesure où l'Etat avait exposé certains de ses salariés à l'amiante. L'Etat, en laissant à la seule branche AT-MP le financement du FIVA, n'assume plus ses responsabilités. De fait, il ne s'applique pas à lui-même ce qu'il impose aux entreprises privées.

Monsieur le secrétaire d'Etat, le FIVA estime, dans son dernier rapport d'activité, son besoin de financement à hauteur de 300 millions d'euros. Vous ne proposez que les deux tiers de cette somme.

Le FIVA, institué il y a quatre ans, fait aujourd'hui face à des problèmes qui menacent son bon fonctionnement. Le nombre de dossiers ne cesse de croître à un rythme important : il est passé de 500 dossiers par mois en moyenne en 2002 et en 2003 à plus de 700 par mois en 2004.

Cette montée en charge doit s'accompagner de mesures afin que l'indemnisation puisse se faire dans de bonnes conditions. Cela devrait commencer par l'embauche de personnel. Les effectifs actuellement en place au sein du FIVA sont insuffisants pour faire face à l'augmentation du nombre de dossiers à traiter. Je vous rappelle que la rapidité du traitement des dossiers devait être l'un des atouts du FIVA, mais la pénurie de personnel entraîne un allongement des délais. Il n'est pas tolérable que les délais fixés par les textes ne puissent plus être tenus. Il est primordial que les victimes soient indemnisées le plus vite possible.

Quant au FCAATA, il a vu le nombre de ses allocataires croître de façon exponentielle : de moins de 4 000 personnes en 2000 à plus de 25 000 au premier trimestre de 2004, et avec ses besoins de financement.

Nous ne pouvons que nous réjouir du fait que les entreprises ayant exposé leurs salariés au risque de l'amiante soient associées au financement du dispositif, mais certains points doivent encore être éclaircis.

L'Etat employeur, notamment dans le domaine de la défense, y participera-t-il et, le cas échéant, comment ? Quand les victimes de l'amiante reconnues par les autres régimes que le régime général et quelques régimes spéciaux pourront-elles bénéficier de ce système ? Je pense notamment aux fonctionnaires de l'Etat, territoriaux et hospitaliers. J'ai déjà interrogé le Gouvernement à plusieurs reprises sur ce sujet, mais sans obtenir de réponse jusqu'à présent.

En outre, vous nous annoncez une contribution de 121 millions d'euros. J'avoue ma perplexité. Comment avez-vous obtenu ce chiffre ?

Comme je l'ai déjà dit, le principe de la contribution me semble une bonne mesure, mais je m'interroge sur les effets pervers des plafonds prévus et sur l'effet d'aubaine qui pourrait résulter de la non-application de cette contribution aux entreprises en liquidation ou en redressement judiciaire. On sait que cela existe dans certains pays.

Elu d'un département fortement concerné par le problème, je sais que la question de la sous-traitance se pose de façon très aiguë.

Par ailleurs, le bénéfice de l'ACAATA, l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante, est soumis au préalable à une procédure d'inscription des entreprises sur une liste ouvrant droit au bénéfice de la cessation d'activité. Depuis plusieurs mois, le Gouvernement semble avoir durci les conditions d'inscription et paraît rejeter presque systématiquement toute nouvelle inscription.

Dans mon département, nombre de salariés sont concernés, notamment dans les entreprises sous-traitantes qui ont changé de propriétaire, de nom, de localisation, etc. La reconstitution n'est parfois que partielle, provoquant des ruptures de droits. L'Assemblée nationale a adopté un article 21 bis nouveau pour améliorer cette procédure. Nous proposerons un amendement pour aller plus loin.

La compensation prévue à l'article 22 entre la branche AT-MP et la branche assurance maladie a été fixée par la commission Lévy-Rosenwald, de façon consensuelle, à 300 millions d'euros pour trois ans. Le problème n'est pas tant le niveau de cette compensation que son origine.

L'année 2005 étant la dernière année avant sa réévaluation par cette même commission, pourquoi ne pas en profiter pour régler le problème à la source ? C'est le sens de l'un de nos amendements, qui, en proposant de distinguer la date de la première constatation médicale de la maladie - qui est la date à laquelle le dommage a eu lieu et qui doit correspondre à la date de début de prise en charge des soins et des indemnités - et la date du certificat établissant le lien possible entre la pathologie et l'activité professionnelle - qui fixe le point de départ de la prescription - permettrait d'éviter le délai de carence à la charge de la branche assurance maladie.

Enfin, l'article 23 prévoit de fixer l'objectif de dépenses de la branche AT-MP à 10, 1 milliards d'euros pour 2005. On ne peut qu'être dubitatif sur cette prévision. En 2004, l'objectif était de 9, 7 milliards d'euros, mais les dépenses ont été réalisées à hauteur de 10, 1 milliards d'euros.

En fait, pour 2005, vous ne faites que prévoir une stagnation des dépenses. C'est illusoire compte tenu des perspectives, notamment pour les maladies professionnelles qui sont en progression constante. En sous-estimant l'objectif de dépenses, vous condamnez la branche à un nouveau déficit en fin d'exercice.

Parallèlement au projet de loi de financement de la sécurité sociale, il nous faut parler de l'article 54 de la loi relative à l'assurance maladie, qui accorde un délai d'un an aux partenaires sociaux pour faire leurs propositions de réforme de la gouvernance de la branche AT-MP, ainsi que d'évolution des conditions de prévention, de réparation et de tarification des accidents du travail et des maladies professionnelles.

Concernant la gouvernance, l'enjeu est d'élargir le paritarisme aux associations de victimes. Elles ont joué, et continuent de jouer, un rôle primordial dans le développement de la prévention des risques professionnels. Elles ont donc toute leur place dans le cadre d'un paritarisme rénové et d'une démocratie sanitaire et sociale.

Par ailleurs, il ne faudrait pas que le retour du Medef au sein de la CNAMTS se fasse au détriment de la branche AT-MP. On ne peut que s'en inquiéter dès lors que plusieurs éléments laissent penser que le patronat a obtenu des gages sur la limitation, à l'avenir, des dépenses de cette branche. Alors qu'il est d'habitude si prompt à dénoncer toute charge supplémentaire imposée aux entreprises, son silence sur la contribution créée par l'article 21 peut surprendre.

S'agissant de la problématique de la réparation intégrale, vous ne pouvez ignorer que le rapport confié à M. Michel Laroque et rendu public en juillet a soulevé l'ire des associations de victimes. Comment ne pas les comprendre ? Ce rapport développe l'idée selon laquelle les juges seraient, depuis quelques années, trop généreux avec les victimes du travail, parlant même de « surprotection sociale ».

La réparation des accidents du travail n'a pas évolué comme le droit commun de l'indemnisation. Faut-il rappeler que, en droit français, tout dommage corporel est soumis au principe de la réparation intégrale, sauf les accidents du travail ?

Le rapport Laroque se borne, en fait, à une vision économique de la question de la réparation intégrale qui plus est en donnant des chiffres assez peu fiables. Il indique bien ce que coûterait la réparation intégrale, mais non ce qu'elle permettrait d'économiser à terme. Nous croyons, nous, que la question de la réparation ne doit pas seulement être traitée sous l'angle de l'assurance sociale, mais également sous celui de la justice sociale.

Monsieur le secrétaire d'Etat, je ne peux que me réjouir que votre collègue Mme Nicole Guedj, secrétaire d'Etat aux droits des victimes, ait annoncé, lors de sa rencontre avec l'association nationale de défense des victimes de l'amiante, une harmonisation des différents systèmes d'indemnisation. Une harmonisation par le haut avançant vers la réparation intégrale serait un progrès, mais une harmonisation par le bas, et à coût constant, ne pourrait se traduire que par un recul.

Concernant la tarification, nous avons besoin d'un système qui à la fois valorise les efforts de prévention et sanctionne les manquements à la sécurité. Comment, pour une fois, ne pas considérer avec la plus grande attention le système mis en place aux Etats-Unis ? La prévention s'y est fortement développée, et elle a commencé à produire ses effets lorsque les sanctions financières sont devenues très lourdes pour les entreprises et que des labels ont été mis en place pour identifier les entreprises en fonction de leurs performances sanitaires.

Je me permettrais maintenant d'élargir quelque peu notre débat.

Depuis quelques années, les leçons de l'amiante commencent à être tirées. Afin que de nouvelles catastrophes sanitaires soient évitées - je pense notamment aux éthers de glycol -, nous devons poursuivre notre combat pour transformer radicalement la vision de notre société sur la prévention des risques professionnels.

A mon sens, trois conditions doivent être réunies.

Premièrement, il faut une forte volonté politique du pouvoir exécutif comme du Parlement sur les questions de santé au travail. Nous devons développer notre arsenal législatif et réglementaire en la matière au même titre que les autres volets de la santé publique.

Deuxièmement, il faut un renforcement des contrôles de l'application de la réglementation et des sanctions. Les services de santé au travail, les prérogatives des inspecteurs du travail, l'indépendance des médecins du travail doivent être développés.

Troisièmement, il faut une réforme de la prévention reposant plus sur une logique de santé publique que sur une logique d'entreprise.

Le plan « santé au travail », proposé par le Gouvernement et en cours de concertation avec les partenaires sociaux, doit en être la concrétisation. Nous espérons pouvoir en débattre assez rapidement, monsieur le secrétaire d'Etat.

L'enjeu en termes de santé publique et d'assurance maladie est majeur. Les cancers professionnels sont suspectés de provoquer, chaque année, le décès de 6 000 personnes.

Selon les experts, le phénomène de sous-déclaration des cancers professionnels cache une réalité bien plus sombre : alors que près d'un salarié sur dix serait exposé à des risques biologiques dans le cadre de son activité professionnelle, 4 % à 8, 5 % des cancers - 7 000 à 20 000 - sont aujourd'hui suspectés d'être d'origine professionnelle.

En outre, parmi les 270 000 nouveaux cancers survenant chaque année en France, 7 000 à 10 000 sont dus à des cancérogènes présents sur le lieu de travail ; 15 % des cancers du poumon, 10 % des cancers de la vessie, de la peau et des leucémies chez les hommes seraient d'origine professionnelle.

Si la question des cancers professionnels et de leur prévention n'est plus taboue, elle reste mal considérée par les pouvoirs publics et les entreprises.

Du côté des entreprises, depuis le décret CMR - cancérogènes, mutagènes, reprotoxiques - de février 2001, tout employeur se doit de procéder à une évaluation des risques, à un recensement des matières dangereuses et à la mise en place de mesures de prévention dans ses établissements : mesures de substitution, de protection collective et individuelle, de sensibilisation, etc. Mais, de l'avis de tous, l'application de ce décret reste très parcimonieuse.

Du coté des pouvoirs publics, prévenir c'est aussi contraindre les industriels fabricant des produits chimiques à évaluer les risques sanitaires et environnementaux avant leur commercialisation. C'est l'un des objectifs du programme européen REACH. Critiqué par la France, l'Allemagne et la Grande-Bretagne, ce dernier a aujourd'hui du plomb dans l'aile. Pourriez-vous, monsieur le ministre, nous donner les raisons de cette opposition ?

Afin que le plan « santé au travail » soit véritablement le tournant attendu, permettez-moi de proposer quelques pistes.

Pour remplir pleinement sa mission d'impulsion, l'Etat doit tout d'abord avoir une vue d'ensemble des risques professionnels et des actions menées. Il convient ainsi qu'il se dote d'un outil public de connaissance et d'évaluation des risques, indépendant et fort : ce pourrait être le rôle d'une agence spécialisée aux pouvoirs étendus et aux moyens conséquents. Il est enfin nécessaire de renforcer les services de santé au travail, et ce grâce à la mutualisation de leur financement. La disposition en ce sens prévue dans la première version du plan semble avoir disparu de la deuxième.

Comment ne pas rapprocher cela du décret pris cet été et réformant la médecine du travail, décret aussi absurde que dangereux ? Alors qu'il est déjà notoire que le nombre de médecins du travail est insuffisant, ce texte aura inéluctablement pour conséquence une dégradation du suivi médical des salariés et de la qualité de ce service public.

Le rôle de l'inspection du travail est, lui aussi, primordial. Son budget et ses effectifs doivent être renforcés.

Que restera-t-il de ce plan après concertation ? Quels moyens l'Etat sera-t-il prêt à consacrer à la question de la prévention des risques professionnels ? Il est à craindre que les contraintes budgétaires ne laissent que peu de marges de manoeuvre. Or l'ampleur des changements nécessaires réclame des efforts financiers et humains plus importants que ceux qui sont actuellement dévolus au ministère du travail.

Monsieur le secrétaire d'Etat, si je me suis quelque peu éloigné du strict sujet qui nous occupe aujourd'hui, celui du financement de la sécurité sociale et de la branche accidents du travail et maladies professionnelles, c'est pour insister sur un point que je crois essentiel : les ministères de la santé et du travail doivent travailler de concert et mutualiser leurs efforts. Les conditions de travail en seraient améliorées, la santé publique renforcée et la pérennité de la sécurité sociale assurée.

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