Certes, une telle méthode peut se concevoir sur des sujets techniques qui nécessitent des simplifications. Mais dans des domaines aussi importants que la réforme du code civil en matière de filiation ou la question des marchés publics, nous persistons à considérer que cette procédure n'est pas la bonne et que le Parlement ne doit pas être dessaisi.
Nous nous sommes déjà exprimés sur ce point. C'est la raison pour laquelle je vous épargnerai de longs discours qui ne seraient que répétition pour me concentrer sur deux points importants : en premier lieu, les contrats d'obsèques ; en second lieu, les contrats de partenariat public-privé créés par l'ordonnance du 17 juin 2004.
S'agissant des contrats d'obsèques, je tiens à remercier MM. Jean-Jacques Hyest et Bernard Saugey, respectivement président et rapporteur de la commission des lois, de l'attention qu'ils ont de nouveau portée à cette question importante et sensible.
Le projet de loi que nous allons adopter aujourd'hui contient deux articles dont le grand mérite est de fournir un cadre juridique aux contrats d'obsèques.
Permettez-moi de revenir un instant sur la loi du 8 janvier 1993 : elle avait pour objet, d'une part, d'instaurer une concurrence sur des bases saines, alors qu'en matière d'opérations funéraires régnait un monopole qui était devenu archaïque, injuste, inefficace et, d'autre part, de redéfinir des règles de service public. Car les obsèques ne sont ni un commerce ni une activité anodine ou banale : la dignité des êtres humains, l'idée que nous nous faisons de la civilisation supposent que des règles de service public soient mises en oeuvre par l'ensemble des opérateurs habilités, dans leur diversité.
Plus de dix ans après l'adoption de cette loi, nous constatons un certain nombre d'évolutions, notamment sur la question des contrats d'obsèques. En effet, la loi de 1993 impose aux opérateurs funéraires le respect des dispositions du règlement national des pompes funèbres.
C'est dans ce cadre que le législateur de 1993 avait précisé - il s'agit de l'article L. 2223-20 du code général des collectivités territoriales - que le règlement national des pompes funèbres détermine les conditions d'application des dispositions du code des assurances aux formules de financement en prévision d'obsèques qui peuvent être proposées.
Le décret n° 95-653 du 9 mai 1995 pris en application de ce texte prévoit que les formules de financement en prévision d'obsèques visées au 2° de l'article L. 2223-20 du code général des collectivités territoriales et proposées par les régies, les entreprises, les associations et leurs établissements habilités sont des contrats dont l'exécution dépend de la durée de la vie humaine au sens de l'article L. 310-1 du code des assurances.
Par ce cadre juridique rénové, le législateur garantissait donc aux familles la pérennité des sommes d'argent mobilisées à l'avance pour financer des obsèques, de manière que ces sommes soient véritablement consacrées, le moment venu, à cet objet, et ce quels que soient les aléas économiques pouvant survenir dans la vie des entreprises.
Or - j'entre dans le détail, car cela me semble utile - une circulaire ministérielle du 10 novembre 1997 est venue rompre l'équilibre voulu par le législateur de 1993 en ne reconnaissant que l'élément financier de ces contrats d'obsèques et en méconnaissant la relation essentielle entre la famille, le souscripteur et l'opérateur funéraire.
Dans cette brèche s'est engouffré le système de la « banque-assurance ». Dans le dispositif actuel, nombre de contrats ne respectent ni la loi de 1887 sur la liberté des funérailles ni la loi de 1993, ce qui n'est pas sans poser des problèmes.
Je souhaite être précis, monsieur le secrétaire d'Etat, car vous avez mis en cause notre capacité à examiner posément ces dispositions. Or c'est ce que nous faisons depuis des mois, voire des années.
On établit une distinction entre l'assurance vie et l'assurance décès, mais il ne s'agit pas d'obsèques ! Dès lors que l'on parle d'obsèques, un devis doit préciser les éléments du contrat d'obsèques et les clauses prévues doivent être strictement respectées.
L'article 8 bis tel qu'il émane de la commission mixte paritaire dispose : « Toute clause d'un contrat prévoyant des prestations d'obsèques à l'avance sans que le contenu détaillé de ces prestations soit défini est réputée non écrite. » Cela signifie que tout contrat d'obsèques imprécis, sans devis détaillé, qui n'entraînerait pas un dialogue personnalisé avec une entreprise funéraire serait sans valeur. Car on ne vend pas des obsèques comme des marchandises : l'idée que chacun se fait de ses propres obsèques relève de l'intimité, a trait à la conscience et à la dignité de chacun. C'est de cela qu'il est question, monsieur le secrétaire d'Etat.
C'est pourquoi, dans le respect des lois de 1887 et de 1993, nous refusons une financiarisation du processus des obsèques.
Par ailleurs, l'article 8 bis, dans la rédaction adoptée par la commission mixte paritaire, s'applique à tous les contrats d'obsèques, y compris ceux qui existent aujourd'hui. Cela conduira à préciser certains contrats.
J'en viens à l'article 8 ter. Je m'étonne, monsieur le secrétaire d'Etat, que vous puissiez mettre en doute la sérénité qui a présidé à la rédaction de cet article, alors que nous en avons pesé chacun des termes.
En vertu de la loi de 1887, jusqu'à son dernier jour, tout individu a le droit d'opérer les choix qu'il veut en matière d'obsèques. Il peut donc changer d'avis !
Aux termes de l'article 8 ter, le contractant ou le souscripteur peut modifier « la nature des obsèques, le mode de sépulture, le contenu des prestations et fournitures funéraires, l'opérateur habilité désigné pour exécuter les obsèques et, le cas échéant, le mandataire désigné pour veiller à la bonne exécution des volontés exprimées ».
Toute clause d'un contrat d'obsèques qui ne stipule pas qu'à tout moment le souscripteur peut modifier ses choix est nécessairement contraire à la loi. Le grand mérite de cet article 8 ter est de le formuler explicitement.
Ainsi, quand le présent projet de loi entrera en vigueur, chaque entreprise pourra faire de la publicité et proposer d'organiser des obsèques, y compris pour des personnes qui auront conclu un contrat d'obsèques avec une autre entreprise. Cette liberté, pourtant inscrite dans la loi depuis plus d'un siècle, sera enfin effective !
De nombreuses entreprises de pompes funèbres redoutent une « monopolisation rampante ». Le monopole, qui était sorti par la porte avec la loi de 1993, risque de revenir par la fenêtre ! Un certain nombre de banques ou de compagnies d'assurances proposent des contrats d'obsèques : non seulement ils ne définissent pas avec précision les prestations, ils ne favorisent pas le dialogue avec une entreprise spécialisée, mais ils renvoient à un groupement, dont la plupart des souscripteurs ignorent qu'il est la filiale d'une entreprise importante du secteur.
Par conséquent, ce que nous recherchons, c'est la transparence à l'égard des familles, le respect du pluralisme et une saine concurrence entre des entreprises habilitées au service d'une mission de service public.
Je me félicite donc, monsieur le secrétaire d'Etat, de la présence de ces deux articles dans le projet de loi. Tout à l'heure, vous avez dit que nous devrons peut-être revenir sur ce sujet. Vous avez raison, car des textes d'application seront nécessaires. D'ailleurs, la circulaire ministérielle actuellement en vigueur n'aura plus de sens une fois que ce texte aura été adopté.
Par conséquent, j'émets le voeu qu'un vaste dialogue soit organisé avec l'ensemble des parties prenantes - les professionnels, les élus, les familles et leurs représentants -, afin que les circulaires à venir respectent strictement l'esprit dans lequel ces deux articles ont été rédigés.
J'en viens aux contrats de partenariat public-privé. Ce sujet n'a aucun lien avec le précédent, mais le projet de loi que nous examinons a la particularité de traiter d'un grand nombre de questions qui n'ont pas de rapport les unes avec les autres.
L'ordonnance du 17 juin 2004 pose un grand nombre de problèmes, monsieur le secrétaire d'Etat. Puisque vous avez évoqué l'arrêt récent du Conseil d'Etat, qu'un certain nombre de mes collègues et moi-même avions saisi, je formulerai deux remarques liminaires sur cette décision d'une haute juridiction administrative pour laquelle nous avons le plus grand respect.
Première remarque : le Conseil d'Etat a considéré que dix articles de l'ordonnance précitée avaient été ratifiés « implicitement », au motif que la loi du 9 août 2004 relative à la santé publique faisait référence à cette ordonnance. Ce fait n'est pas anodin eu égard à l'idée que l'on se fait du droit et de la loi.
Si le Gouvernement avait appliqué l'arrêt du Conseil d'Etat, qui s'impose à tout le monde, il aurait nécessairement déposé devant le Parlement un amendement tendant à supprimer la ratification des articles qui sont implicitement ratifiés. Or la majorité du Sénat va ratifier dix articles dont le Conseil d'Etat estime qu'ils le sont déjà implicitement. C'est étrange !