Intervention de Jean-Pierre Sueur

Réunion du 18 novembre 2004 à 15h00
Simplification du droit — Adoption des conclusions du rapport d'une commission mixe paritaire

Photo de Jean-Pierre SueurJean-Pierre Sueur :

Certes !

La conception du Conseil d'Etat quant à la ratification implicite n'est pas sans poser quelques problèmes. En effet, si cette ratification était implicite au 9 août 2004, il est tout à fait singulier, monsieur le secrétaire d'Etat, que le Gouvernement ait déposé ultérieurement un projet de loi de ratification, d'abord devant le Conseil d'Etat, puis sur le bureau de l'Assemblée nationale. S'il a agi ainsi, c'est parce qu'il n'a pas considéré que la référence faite à l'ordonnance dans la loi du 9 août 2004 valait ratification implicite.

Par ailleurs, si vous nous avez proposé un article de ratification, monsieur le rapporteur, c'est parce que vous avez estimé qu'à la date du 9 août 2004 il n'y avait pas eu de ratification partielle de dix articles de l'ordonnance précitée. Sinon, vous nous auriez proposé de ne ratifier que les autres articles.

Je veux insister sur un point de droit. Devant le Conseil d'Etat, le commissaire du Gouvernement a parlé, en l'espèce, d'une ratification « accidentelle ». J'insiste sur les conséquences d'une telle conception : une ordonnance ou une partie d'ordonnance pourrait se trouver ratifiée implicitement, de manière « accidentelle », alors que ce n'est l'intention ni du Parlement ni du Gouvernement. On serait, en quelque sorte, face un processus législatif qui se ferait tout seul.

Deuxième remarque : ni en référé ni sur le fond le Conseil d'Etat ne s'est prononcé sur la délicate question de savoir si des parlementaires avaient ou non intérêt à agir eu égard à une ordonnance qui, au moment où elle est publiée sans être ratifiée par le Parlement, a incontestablement un caractère réglementaire.

J'en viens au fond.

Au moment où va intervenir le vote définitif sur ce projet de loi, je veux indiquer que nous sommes en total désaccord avec la philosophie de cette ordonnance : elle pose l'obligation, dès lors que l'on décide de construire un équipement public, de choisir en une seule fois l'architecte, le banquier, l'ensemble des entreprises de construction, le gestionnaire, l'exploitant, l'entreprise qui assure la maintenance et celle qui fait face à l'entretien. Seuls quelques grands groupes pourront concourir, ce qui porte atteinte au pluralisme et à l'indépendance des professions.

En conclusion, je formulerai deux observations.

En premier lieu, je considère que cette ordonnance est contraire aux termes de la loi d'habilitation. Celle-ci dispose, dans son article 6, que l'ordonnance devra prévoir les conditions d'un accès équitable des architectes, des concepteurs, des petites et moyennes entreprises et des artisans aux contrats prévus au présent article. Où sont ces conditions ? Je vous remercie de me le dire, mes chers collègues !

D'ailleurs, le Conseil d'Etat a pris acte de l'absence d'accès équitable, puisqu'il a estimé contradictoire de vouloir instaurer un tel accès et de conclure, dans le même temps, des contrats globaux. Dès lors, il faut reconnaître qu'il y a contradiction avec la loi d'habilitation votée par le Parlement, selon laquelle doivent être définies les conditions d'un accès équitable.

On aurait pu imaginer que les groupes répondant aux appels d'offres soient eux-mêmes dans l'obligation de mettre en concurrence, par exemple un certain nombre d'architectes ou d'entreprises. Mais rien de tel n'a été prévu, monsieur le rapporteur !

L'ordonnance prévoit l'obligation d'identifier une équipe de maîtrise d'oeuvre, d'élaborer un projet architectural et de prendre en compte la qualité parmi les critères de choix retenus. Mais cette disposition ne garantit nullement l'équitable accès des architectes, ce qui est très dangereux pour l'avenir de cette profession. Ceux-ci ont d'ailleurs intenté des recours. Les PME du bâtiment, les entreprises de second oeuvre et les artisans du bâtiment sont extrêmement inquiets, car un tel processus ne va pas du tout dans le sens du pluralisme et de l'égal accès des uns et des autres à la commande publique.

Cette ordonnance est donc contraire à une disposition essentielle de la loi d'habilitation.

En second lieu, l'ordonnance en question n'est pas conforme aux décisions du Conseil constitutionnel. L'un de ses considérants est très important : de tels dispositifs doivent être exceptionnels. Or tout l'esprit de l'ordonnance vise à faciliter, à favoriser, à généraliser la mise en oeuvre du dispositif.

Et puis, le Conseil constitutionnel - suivi sur ce point par le Conseil d'Etat, qui est allé plus loin dans la précision - a indiqué que l'on ne pourra fait appel aux contrats de partenariat public-privé qu'en cas d'urgence objective et de complexité. Il faut évaluer l'urgence, la complexité et l'intérêt économique. C'est sur ce point qu'il y a tromperie !

Mes chers collègues, comme vous tous, j'ai lu avec attention l'ordonnance : l'un de ses articles prévoit une procédure d'évaluation. Pour ce qui est de l'Etat, cette procédure ne pourra être menée à bien que par un organisme agréé. Mais rien n'est dit au sujet des collectivités locales : il suffira donc de trouver un bureau d'études, un organisme, quelle que soit sa compétence, qui réalisera l'évaluation. Celui-ci devra démontrer l'urgence, la complexité - elle devra être supérieure aux capacités de la collectivité - et, surtout, l'intérêt économique pour une collectivité de faire appel au contrat de partenariat public-privé et non aux autres formules disponibles, c'est-à-dire les marchés publics ou les délégations de services publics.

C'est impossible ! Comment voulez-vous qu'un organisme dise a priori qu'il sera plus économique pour une collectivité locale de faire appel au contrat de partenariat public-privé, alors que ce contrat sera passé avec des candidats dont on ignorera le nombre, l'identité et leurs propositions au moment où aura lieu l'évaluation ?

Surtout, monsieur le secrétaire d'Etat, avec un tel processus, pendant vingt, trente, quarante ou cinquante ans, la collectivité paiera tous les ans un loyer à l'entité qui aura été chargée de réaliser l'ensemble du projet.

Comment prouver a priori qu'au final ce sera plus économique qu'un marché public ou qu'une délégation de service public ? Il est impossible d'apporter une telle preuve !

Cela démontre que les conditions d'évaluation relatives, notamment, à la complexité, à l'urgence et au gain économique, qui sont fixées par le Conseil constitutionnel et par la loi d'habilitation, ne sont pas respectées par l'ordonnance.

Le dispositif qui nous est proposé est dangereux. C'est la raison pour laquelle nous sommes en désaccord avec les contrats de partenariat tels qu'ils nous sont présentés.

Par conséquent, en dépit de son apport très important concernant les contrats d'obsèques, nous ne pourrons voter ce projet de loi.

Vous comprendrez que notre groupe saisisse le Conseil constitutionnel de manière qu'il statue sur la conformité de l'ordonnance avec la décision que lui-même a prise sur ce sujet.

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