Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, nous voici parvenus au terme de la discussion de ce deuxième projet de loi d'habilitation, en attendant le troisième.
Pour ma part, j'insisterai encore aujourd'hui sur l'utilisation récurrente de certaines procédures. En effet, depuis 2002, les parlementaires sont régulièrement amenés à connaître de projets de loi contenant des demandes d'habilitation du Gouvernement à prendre par ordonnance des mesures qui sont normalement du domaine de la loi.
Certes, le recours aux ordonnances n'est pas nouveau et doit normalement répondre à une certaine lenteur du processus législatif. Tous les gouvernements, de droite comme de gauche, l'ont d'ailleurs utilisé.
Pour ce qui les concerne, les sénateurs communistes républicains et citoyens se sont toujours opposés à cette pratique, qu'ils considèrent comme spoliatrice des pouvoirs du Parlement.
Nous pourrions également qualifier le recours aux ordonnances d'exponentiel. Force est en effet de constater que nous avons assisté à une intensification de l'utilisation de cette procédure au cours des vingt dernières années et à un bel exemple d'abus en la matière lors des deux dernières années.
En 2003, le projet de loi habilitant le Gouvernement à simplifier le droit comportait initialement vingt-neuf articles. La loi du 2 juillet 2003 qui en découle comporte, quant à elle, trente-sept articles.
Le projet de loi que nous achevons d'examiner comportait à l'origine soixante et un articles. Le voici doté, après son ultime examen par la commission mixte paritaire, de quatre-vingt-quatorze articles.
C'est un triste record : le Parlement se trouve complètement écarté de l'élaboration de la loi. Des domaines entiers échappent ainsi à son contrôle.
La procédure des ordonnances, procédure d'exception, est tout simplement en train de se banaliser. Jean Gicquel, professeur de droit à l'université Paris I, résume parfaitement la situation : « Non seulement il ne s'agit pas d'une procédure normale de gouvernement mais elle dévalorise le rôle du Parlement. » Nous ne pouvons que partager cet avis et réaffirmer que les parlementaires ne devraient pas accepter de se dessaisir d'un pouvoir qu'ils tiennent du peuple français.
Par ailleurs, il convient de relever certaines incohérences au sein de cette procédure.
De nombreux articles de ce projet de loi d'habilitation auraient pu faire l'objet d'une discussion approfondie à l'occasion de l'examen d'autres textes. Je prendrai quelques exemples.
L'article 13 du projet de loi est censé permettre au Gouvernement de simplifier le code de l'urbanisme. Pourquoi cette question n'a-t-elle pas été évoquée lors des débats sur le projet de loi de rénovation urbaine ?
Le problème est identique pour l'article 27 portant sur les logements sociaux : il aurait pu en être question dans le cadre du projet de loi de cohésion sociale dont nous avons débattu durant plus d'une semaine, il y a de cela quinze jours à peine.
Il en va de même pour les articles 30 et 32 portant respectivement sur les abattoirs, les accords interprofessionnels laitiers et les sociétés coopératives agricoles, dont les dispositions auraient pu être discutées dans le cadre du projet de loi sur le développement des territoires ruraux.
Toutes ces dispositions auraient donc pu faire l'objet d'un débat public au sein du Parlement. Il n'en a rien été et nous déplorons fortement cette absence de transparence dans le processus législatif.
Il convient donc de s'interroger sur la pertinence des recours aux ordonnances. Pourquoi les multiplier, alors que nous examinons moult projets de loi - l'ordre du jour est plutôt chargé depuis deux ans ! - qui pourraient tout à fait comprendre les dispositions qui sont prises par ordonnances ? Cela aurait au moins le mérite de la clarté et de la transparence : les parlementaires pourraient en débattre démocratiquement.
L'absence de débat public et démocratique est-il le prix à payer pour simplifier notre droit et réformer l'Etat ? Je ne le pense pas.
Une telle utilisation de la procédure des ordonnances ne peut que nous inciter à nous interroger sur votre volonté d'écarter le Parlement de ces deux enjeux primordiaux pour nos concitoyens.
Simplifier le droit, nous l'avons dit à de multiples reprises lors de l'examen de ce projet de loi, est un objectif essentiel aujourd'hui. Avec plus de 8 000 lois et 400 000 textes réglementaires, nous détenons un triste record en termes d'inflation législative.
Il est temps de mettre fin à celle-ci, nous en sommes d'accord, mais pas au détriment du Parlement, et donc de nos concitoyens ! Le recours intensif aux ordonnances porte en effet préjudice à ces derniers puisqu'il les empêche d'avoir accès au droit dans des conditions acceptables : les projets de loi d'habilitation passent totalement inaperçus, de même que les ratifications implicites, comme celles qui sont prévues aux articles 51 bis et suivants de ce projet de loi.
Comment, dans ces conditions, rendre la loi plus accessible et plus compréhensible à nos concitoyens ? C'est impossible !
Par ailleurs, la superposition des ordonnances, des lois et des règlements ne fait qu'accroître la complexité de notre législation. Or l'accumulation des normes juridiques entraîne inégalité et insécurité pour les Françaises et les Français. Et l'objectif de simplification du droit défendu ici par le Gouvernement s'avère finalement contre-productif.
Ce projet de loi d'habilitation, outre qu'il fait peser une fois encore de lourdes menaces sur le rôle du Parlement, conforte la situation actuelle d'insécurité juridique et de non- accessibilité de la norme pour nos concitoyens.
L'habilitation considérable, portant sur des pans entiers de notre droit, que nous réclame aujourd'hui le Gouvernement, pose une véritable question de vie démocratique. Le Parlement ne peut se dessaisir de son pouvoir sans que cela ait des conséquences sur notre démocratie. Il est temps que nous nous posions la question de la redéfinition des rôles respectifs de la loi et du Parlement dans l'élaboration de celle-ci.
Pour ces raisons, le groupe communiste républicain et citoyen a décidé de voter contre ce texte.