La quasi-totalité des magistrats ressentent ce texte comme une nouvelle marque de profonde défiance à leur égard, après les « petits pois » et autres anathèmes contre le tribunal de Bobigny. Peut-être est-ce à tort, mais, vous le savez, en politique comme dans d’autres domaines, l’important, c’est la manière dont sont ressenties les choses.
Les juridictions sont non pas au bord de la crise de nerfs, mais en plein dedans ! Dotées de moyens insuffisants, elles sont submergées, surchargées de tâches nouvelles en raison de l’accumulation des textes, même si certains d’entre eux sont intéressants, je le reconnais. Pour ne prendre que quelques exemples, j’évoquerai la réforme de la garde à vue et les nouvelles dispositions relatives aux soins psychiatriques sous contrainte. Vous annoncez certes des créations de postes, monsieur le garde des sceaux, mais pour l’heure elles ne sont pas budgétées.
Dans ces conditions, était-il si urgent de présenter un tel texte ? Pourquoi ne pas avoir suivi le cours normal du processus pénal ? Vous n’êtes pourtant pas dépourvu de bon sens, monsieur le garde des sceaux !
Le Conseil constitutionnel a contraint le Gouvernement à réformer la garde à vue, alors que votre prédécesseur nous avait pourtant affirmé à plusieurs reprises que la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme ne concernait pas la France et qu’il était inconvenant de comparer le cas de la Turquie à celui d’une nation civilisée comme la nôtre !
Ensuite, la réforme de la procédure de l’instruction a été jetée aux oubliettes. Sera-t-elle plus accusatoire ou plus inquisitoire, le juge d’instruction sera-t-il maintenu ? Le silence est retombé sur toutes ces questions, et on est passé sans transition à une refonte en profondeur de la procédure de l’audience, y compris en matière d’application des peines et de droit des mineurs. Qu’est-ce qui motive une telle précipitation ? Depuis le début de cette discussion, nous n’avons obtenu aucune réponse à cette question.
S’il était vraiment urgent d’introduire des citoyens assesseurs en matière correctionnelle, il fallait décider que cette mesure entrerait en vigueur sur l’ensemble du territoire au 1er janvier 2012, voire dès la prochaine rentrée. Mais, faute de moyens, vous prévoyez des expérimentations boiteuses, douteuses sur le plan constitutionnel…
En revanche, pour ce qui concerne le droit des mineurs, les dispositions du projet de loi sont d’application immédiate. Vous pourrez ainsi afficher aux yeux de l’opinion publique, dans une période de précampagne électorale, votre fermeté envers les petits délinquants et votre souci de la sécurité des citoyens.
Or, en fait, le véritable enjeu est d’éviter que les mineurs en difficulté ne tombent dans la délinquance. Cela renvoie aux problématiques de l’éducation, du travail, de la prévention, de la politique des quartiers, de la toxicomanie, qui concernent l’ensemble du Gouvernement ; mais celui-ci reste muet ! On peut bien déplorer l’accroissement de la délinquance des mineurs, prévoir des mesures toujours plus coercitives, mais cela ne répond pas aux questions de fond.
Dans ces conditions, le groupe socialiste votera résolument contre ce texte.