Intervention de Robert Badinter

Réunion du 15 décembre 2005 à 15h00
Lutte contre le terrorisme — Article 9

Photo de Robert BadinterRobert Badinter :

Je ne suis pas sûr que l'effectivité de la disposition proposée soit à la mesure des espérances.

Je rappelle qu'aux termes de l'article VIII de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen « la loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires ». À chaque fois qu'est proposée une modification de peine, on peut s'interroger sur la pratique judiciaire. Si les peines prononcées s'établissent à deux ou trois ans d'emprisonnement, pourquoi les accroître soudainement ?

La criminalisation évoquée vise non pas les actes de terrorisme, mais l'adhésion à une association qui est constituée en vue de. Or ce concept est très flou. Par conséquent, sont concernées les personnes qui sont recrutées. En effet, le sergent recruteur - on pense notamment à un imam qui fanatise des jeunes gens - encourt déjà une peine de vingt ans d'emprisonnement. Est visée la période qui se situe en amont des actes eux-mêmes.

Monsieur le garde des sceaux, je me pose des questions, car la criminalisation que vous proposez n'a pas que des avantages. Pourquoi a-t-on décidé, en 1996, alors que l'on était en présence d'actes de terrorisme, de ne punir les personnes recrutées par l'organisateur que d'une peine d'emprisonnement de dix ans ? Une telle décision permettait à un tribunal de juger rapidement. Par nature, et chacun le sait, le renvoi à une cour d'assises est une procédure longue et lourde. En l'espèce, je ne suis pas sûr que l'on y trouve le moindre avantage. J'y vois au contraire des inconvénients.

Si les personnes visées ont déjà commis des actes de préparation effective, elles sont passibles de sanctions criminelles.

Je me demande donc si l'aggravation de la peine proposée n'aura pas plus d'inconvénients que d'avantages.

Par ailleurs, s'agissant de la période de sûreté, elle existe déjà dans le droit actuel. Elle peut être prononcée à partir du moment où la durée de l'emprisonnement est supérieure à cinq ans, et la juridiction peut décider de la porter aux deux tiers de la peine.

L'unique avantage de la mesure est que la détention provisoire fixée à trois ans peut passer à quatre ans. Mais dans ce domaine, faites attention ! Trop d'affaires attendent des années avant d'être jugées. Or je crois beaucoup, ici, à l'exemplarité, à la décision qui est rendue rapidement. La durée de dix ans me paraît tout à fait conforme à ce que l'on doit attendre.

Monsieur le rapporteur, des statistiques ont été évoquées. Je les ai étudiées avec attention. Jusqu'en 2004, la moyenne des peines atteint au maximum quarante mois d'emprisonnement - contrairement à ce qui a été indiqué -, sans toutefois que l'on connaisse la durée ferme de cet emprisonnement.

Faut-il, en raison de l'affaire de Strasbourg, renoncer à la promptitude, à la nécessité de rendre rapidement une décision ? Nous sommes tous des adversaires, y compris dans les cas de figure que nous examinons aujourd'hui, d'instructions qui n'en finissent plus. Le prononcé rapide d'une peine est plus efficace, en termes d'effet dissuasif.

Je ne pense pas que la proposition qui nous est faite soit bonne. Je sais bien que les magistrats de la section antiterroriste souhaitent son adoption, mais je ne suis pas sûr que les autres magistrats pensent de même.

Même si j'ai depuis longtemps de la considération pour M. Jean-Louis Bruguière, je ne suis pas certain que, avec cette disposition, le Parlement ne soit pas entraîné dans la mauvaise direction que constitue l'inflation répressive.

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