Intervention de Jean-Pierre Vial

Réunion du 2 mai 2005 à 21h30
Énergie — Discussion d'un projet de loi d'orientation en deuxième lecture

Photo de Jean-Pierre VialJean-Pierre Vial :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne voudrais pas donner l'impression, après mon collègue Yann Gaillard, que nos interventions n'ont pour thèmes que les causes oubliées ou considérées comme perdues. (Sourires.)

Le débat sur les orientations de la politique énergétique de la France était attendu. En 2002, au sommet de Johannesburg, le Président de la République lançait : « La maison brûle mais l'on regarde ailleurs »... La maison a-t-elle cessé de brûler ? Et regarde-t-on au bon endroit ?

Beaucoup a déjà été dit et vous me permettrez d'évoquer rapidement quelques interrogations sur une partie du volet des énergies renouvelables avant que d'insister sur une énergie qui me semble la grande délaissée - encore une, monsieur le ministre ! - de ce projet de loi : le solaire.

Permettez-moi d'abord quelques considérations sur certaines énergies renouvelables.

Je n'évoquerai pas la pile à combustible fonctionnant à l'hydrogène, qui constitue un enjeu majeur pour le transport et représente à elle seule la vraie révolution à attendre des prochaines années. Elle mérite de se trouver aujourd'hui au coeur des programmes de recherche que l'Etat doit soutenir avec la même ambition que celle qu'il a manifestée hier pour le nucléaire.

Dois-je par ailleurs rappeler que 56% de l'électricité française était produite par l'énergie hydraulique en 1960 ? Cette part, qui n'est plus aujourd'hui que de 12 %, ne peut que continuer à diminuer encore en valeur relative compte tenu du niveau d'exploitation des capacités hydrauliques de notre pays.

En qualité d'élu d'un département de montagne, j'ai été sensible aux propos que vous avez tenus le 24 mars dernier à l'Assemblée nationale, monsieur le ministre, lorsque vous avez fait référence au débat relatif à la loi sur l'eau en même temps que vous avez souligné l'engagement pris par Thierry Breton et vous-même de « renforcer la mobilisation des compétences de vos ministères dans le domaine de l'eau et d'approfondir avec l'ensemble des acteurs la connaissance de notre potentiel de développement hydraulique pour définir les voies d'une meilleure gestion de ce potentiel ».

On peut toutefois regretter, car cela n'a pas facilité le travail législatif, que ces deux thèmes de l'eau et de l'énergie aient été traités séparément, le texte sur l'eau conduisant à une diminution des capacités alors que le projet de loi sur l'énergie se donne pour objectif de les accroître.

Cela est d'autant plus regrettable que la mise en place d'une procédure de classement des cours d'eau aurait dû constituer la chance à saisir. Votre détermination, monsieur le ministre, m'apparaît comme un gage, et j'espère que la mise en oeuvre de ces deux lois permettra de trouver un point d'équilibre dans la procédure de classement des cours d'eau.

S'agissant de l'éolien, je me félicite que notre rapporteur veuille en revenir à des propositions plus équilibrées.

Au-delà du débat de fond, nous sommes confrontés à une question essentielle en matière d'énergie renouvelable : il s'agit de l'efficacité des mesures d'accompagnement, qui doivent reposer sur la constance, la durée, la sécurité, c'est-à-dire la crédibilité à l'égard des investisseurs, qui sont la plupart du temps les usagers eux-mêmes.

On parle de bouquet énergétique, et il est bien vrai que toute énergie peut être utile et donc prise en considération. C'est ainsi que l'aérothermie doit être traitée au même titre que la géothermie, d'autant plus que l'on se trouve dans un domaine industriel particulièrement mature.

Par ailleurs, ce projet de loi ne doit pas nous faire oublier le marché et les usagers, notamment industriels. Vous me permettrez, monsieur le ministre, de vous interroger sur la situation particulièrement difficile des industries électro-intensives, situation aggravée, pour certaines d'entre elles, par leur localisation dans les vallées au pied des chutes hydrauliques, qui s'explique historiquement.

Là encore, nous comptons sur votre soutien, en souhaitant que les amendements déposés sur ce sujet permettent d'aboutir à un point d'équilibre, dans le prolongement des amendements adoptés en première lecture, pour préserver une industrie nécessaire mais fragile, face à une concurrence non équitable, notamment dans le domaine du développement durable.

J'en viens maintenant, monsieur le ministre, aux enjeux du solaire.

Très sincèrement, je suis surpris, pour ne pas dire davantage, du manque d'ambition dans ce domaine.

Ce débat sur les énergies, M. le Président de la République l'avait appelé de ses voeux dès le printemps 2003. Lors du discours d'ouverture du débat sur les énergies, M. le Premier ministre soulignait sa volonté de mettre en oeuvre « une politique forte de soutien à la recherche-développement » et se demandait « comment faire émerger des leaders en matière de solaire ».

Les conclusions de Jean Besson, député du Rhône, à qui avait été confiée une mission sur les énergies aboutissaient à de vraies perspectives pour le solaire et dégageaient des orientations prometteuses.

Je n'ai donc pu manquer d'être sensible au message du Président de la République et du Premier ministre japonais, lors du forum franco-japonais du 28 mars dernier, concernant leur proposition d'une alliance franco-japonaise au service du développement durable et à l'annonce de nouvelles incitations en faveur des énergies renouvelables, dont le solaire photovoltaïque.

Le Président de la République a raison, et vous me permettrez de citer quelques chiffres qui devraient vous convaincre, même si je connais les arguments véhiculés ici et là.

Pourquoi ne pas rappeler qu'il s'agit de l'énergie propre par excellence, celle qui est la mieux acceptée par nos concitoyens, suscitant même une vraie sympathie ?

Un chiffre est éloquent : 0, 01 % de l'énergie émise par le soleil suffirait à couvrir les besoins de toute la planète. Or l'énergie solaire en France ne représente, précisément, que 0, 01 % de l'énergie totale utilisée.

La France est-elle en retard ? Oui, assurément !

Est-ce une fatalité ? Non !

La société Photowatt, qui fabrique des capteurs photovoltaïques en région Rhône-Alpes, occupe plus de 500 personnes. Elle était l'une des trois sociétés leaders à l'échelle mondiale il y a dix ans, avant de rétrograder à la onzième place, alors même que sa production a continué de croître de plus de 75 % en 2004, mais avec à peine 4 % de son chiffre d'affaires réalisés sur le territoire national d'.

En 2003, le parc solaire photovoltaïque était en France de 5 mégawatts, contre 200 mégawatts en Allemagne. En 2004, il est passé à 5, 8 mégawatts en France, pour 363 mégawatts en Allemagne et 280 mégawatts au Japon. Le différentiel entre la France et l'Allemagne, qui était dans un rapport de 1 à 40 en 2003, est passé à un rapport de 1 à 60 en 2004.

Faut-il rappeler que, dans le même temps, le marché européen a progressé de près de 70 % en 2004 par rapport à 2003 et que la France occupe le onzième rang au sein du classement de la puissance photovoltaïque par habitant des pays de l'Union européenne et de la Suisse en 2004 ?

Or, en Allemagne, ce secteur d'activité regroupe aujourd'hui plus de 450 entreprises, ce qui représente 27 000 emplois et ouvre, selon le gouvernement allemand, une perspective de 93 000 emplois à l'horizon 2010-2015.

Nous pouvons considérer qu'en France le même secteur ne représente pas plus de 800 emplois.

J'ai évoqué le photovoltaïque, mais j'aurais pu parler en termes identiques du solaire thermique, avec 56 000 mètres carrés supplémentaires de surface couverte en France en 2004, pour 750 000 mètres carrés en Allemagne et 6 millions en Chine.

Pour relever le défi du solaire, la France doit répondre à trois enjeux : la recherche, la simplification administrative et le coût de rachat de l'électricité solaire.

S'agissant de l'enjeu de la recherche et du développement, M. le Premier ministre a eu raison de faire appel à la mobilisation des collectivités, essentiellement des départements et des régions, car, aujourd'hui, ce sont ces collectivités qui, au côté des associations et de l'ADEME, ont relevé ce défi. La région Rhône-Alpes en est l'illustration.

Vous me permettrez de citer aussi le département de la Savoie, qui occupe aujourd'hui la cinquième place européenne en ce qui concerne la surface équipée par tête d'habitant. La ville de Chambéry inaugurera d'ailleurs dans quelques jours une station solaire photovoltaïque de 600 kilowatts.

Le solaire est marginalisé par certains, à tort. Hier, la fabrication du silicium correspondait à une consommation d'énergie de cinq années. Celle-ci sera bientôt ramenée à deux années. Par ailleurs, les experts et spécialistes estiment que le rapport puissance/coût devrait progresser dans un rapport de 5 à 7.

La recherche, notamment la recherche et développement industriel, dispose de vraies marges de manoeuvre car, dans ce domaine, on n'attend guère de ruptures technologiques.

C'est ainsi que, six ans après l'engagement pris en 1998 par Michel Barnier et le président de l'ADEME, j'aurai le plaisir, dans quelques semaines, au nom du conseil général de la Savoie, de signer avec la région Rhône-Alpes, le Commissariat à l'énergie atomique, le CNRS et l'Etat, par l'intermédiaire du ministère de la recherche, une convention-cadre portant sur une enveloppe d'environ 60 millions d'euros pour la création de l'Institut national des énergies solaires, qui permettra d'accueillir une première équipe de quarante chercheurs. Un pilote industriel de silicium est également en cours d'installation et sera mis en activité à la fin de l'année 2005.

Certes, monsieur le ministre, ces projets sont suivis par vos services. Mais je me permets d'attirer tout particulièrement votre attention sur les candidatures qui ont été déposées ces dernières semaines au titre des pôles de compétitivité : celles-ci représentent, dans le domaine des énergies nouvelles comme dans les autres filières d'excellence, une vraie opportunité et la possibilité pour l'Etat de soutenir efficacement à la fois la recherche et le développement industriel.

Monsieur le ministre, votre engagement dans ce domaine constituera un signe fort.

J'en viens à l'enjeu de la simplification administrative et de la facilité des raccordements.

Les problèmes rencontrés en ce domaine résultent aussi bien des complexités administratives que des difficultés et des délais de raccordement. Dans une délibération en date du 6 mars 2003, la Commission de régulation de l'énergie insistait d'ailleurs sur les difficultés rencontrées par les producteurs.

Reconnaissons qu'en deux ans la situation a évolué, mais elle est encore loin d'être satisfaisante.

Il n'en demeure pas moins que la simplification administrative repose pour partie sur le regroupement des procédures et de l'accompagnement : nombreux sont ceux qui formulent le voeu du guichet unique.

C'est pourquoi, monsieur le ministre, l'évaluation de la mise en oeuvre de la loi constituera un élément sérieux de progrès dans ce domaine.

Enfin, le coût de rachat de l'électricité d'origine solaire est un point essentiel.

L'abaissement des coûts du photovoltaïque est une perspective réelle, bien qu'elle soit contestée par certains. Une récente étude européenne démontrait qu'à l'horizon de dix ou quinze ans l'énergie solaire photovoltaïque deviendrait économiquement compétitive.

Il s'agit donc d'accompagner ce développement, ce que fait et continue de faire l'Etat en soutenant la recherche et le développement d'autres énergies.

Les chiffres communiqués par l'Observatoire européen sont sans équivoque : tous les pays européens qui ont engagé une politique volontariste et qui voient progresser fortement leur parc solaire ont adopté une politique voisine de la pratique allemande ou s'acheminent vers des démarches identiques, comme c'est le cas de l'Italie.

Mais pourquoi chercher chez les autres un exemple que nous pouvons trouver chez nous ?

Alors que l'essentiel du gisement solaire français se trouve en métropole, le marché français est porté par l'outre-mer, qui représente le double de la puissance installée en France continentale. Or, justement, le tarif de rachat de l'électricité, qui est de 15 centimes le kilowatt en métropole, représente le double en Corse et en outre-mer, soit 30 centimes le kilowatt.

Monsieur le ministre, je vous ai précisé que mon intervention porterait pour une part importante sur l'enjeu du solaire.

En fait, la problématique du solaire est celle des énergies renouvelables. C'est le défi européen des 21 % d'énergie renouvelable en 2010. C'est aussi le défi de Kyoto. C'est, tout simplement, le défi que doit relever notre civilisation.

Depuis des millénaires, le mythe du soleil a traversé toutes les civilisations : grecque, perse, romaine, égyptienne, japonaise, indienne, chinoise ou aztèque.

Faisons en sorte que les mythes ne soient pas plus puissants que le soleil lui-même, qui est, selon les scientifiques, « cette extraordinaire machine qui émet en une seule seconde plus d'énergie que l'humanité n'en a jamais consommé ».

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