Prendre le pas sur la passion, c'est se fonder sur une expertise scientifique, légitime et acceptée par tous ; c'est faire usage du principe de précaution - que je connais bien, puisque, avec votre concours, j'ai été le premier ministre de l'environnement à l'inscrire dans la loi, en février 1995 - au seul regard de la connaissance scientifique et de son évolution ; c'est prendre en compte de nouveaux critères, tels que les risques économiques, sociaux ou éthiques ; c'est enfin redonner au débat public sa dimension pédagogique et démocratique.
En 2050, c'est-à-dire après-demain, il faudra nourrir 9 milliards d'être humains sur notre planète. La tension sur les marchés sera très forte ; elle l'est, d'ailleurs, déjà. Nous ne pourrons pas indéfiniment augmenter les surfaces cultivables et utiliser toujours plus d'eau. Nous ne pouvons pas non plus ignorer le réchauffement de la planète - qui touche, en premier lieu, les agriculteurs et qui constitue, à mes yeux, le défi principal - et toutes ses conséquences sur les systèmes agricoles. Enfin, nous ne pouvons pas sous-estimer les risques de pollution face à une agriculture trop intensive.
Il nous faut donc intégrer les contraintes croissantes liées à la gestion des ressources naturelles, et en particulier de l'eau, mais aussi répondre aux enjeux de l'autonomie alimentaire, du pouvoir d'achat et de l'indépendance économique.
Produire plus - pour disposer de suffisamment de nourriture - et produire mieux : voilà le grand défi d'une agriculture durable, pour aujourd'hui et pour demain ! Ce défi paraissait improbable et il le reste encore dans une certaine mesure, sauf à mettre en oeuvre massivement, comme le ministre d'État l'a souligné, des programmes de recherche et d'innovation dans le domaine des biotechnologies.
Nous devons impérativement rester dans la course de l'innovation, y compris pour la recherche sur les OGM de demain, qui concernent en particulier le blé ou le colza, productions végétales clés pour l'Europe et pour la France ; nous devons nous maintenir dans la course pour participer au développement des nouvelles variétés qui intégreront les contraintes climatiques et les enjeux écologiques nouveaux. Et je ne parle pas seulement des OGM ; il faut que nous soyons capables de produire, à l'échelon européen, des plantes qui résistent à la sécheresse et qui consomment moins d'engrais.
Abandonner ces objectifs nous rendrait, dans un avenir proche, définitivement dépendants des puissances économiques qui, elles, ont fait sans ambigüité le choix du développement biotechnologique et qui investissent massivement, en ce moment, dans la recherche. Je vous indique que les États-Unis, par exemple, réalisent cent fois plus d'essais dans le domaine des biotechnologies que l'Europe tout entière. Dans ce domaine, comme dans d'autres - vous m'avez, d'ailleurs, souvent entendu le dire à cette tribune -, je ne me résoudrai jamais à ce que l'Europe - et la France, en particulier - soit un jour totalement sous l'influence et sous-traitante de l'industrie chinoise, américaine, ou indienne !