Intervention de Jean Bizet

Réunion du 5 février 2008 à 16h00
Organismes génétiquement modifiés — Discussion d'un projet de loi

Photo de Jean BizetJean Bizet, rapporteur de la commission des affaires économiques :

Madame la présidente, madame, messieurs les ministres, mes chers collègues, pour la deuxième fois en deux ans - deux fois sur le métier remettez votre ouvrage ! -, le Sénat se voit soumettre un projet de loi sur les OGM, le premier étant « tombé dans les oubliettes » après une première lecture au Sénat, en mars 2006.

Je ne peux que me féliciter de l'inscription à l'ordre du jour de ce projet de loi fondateur sur les biotechnologies et de sa prochaine lecture à l'Assemblée nationale, que vous avez pris soin, monsieur le ministre d'État, de programmer au début du mois d'avril, ce dont je vous remercie.

Puisque le Président de la République a renoncé à déclarer l'urgence sur ce texte, permettez-moi de formuler ici le souhait que son examen en deuxième lecture intervienne avant l'été.

Ce projet de loi répond à une nécessité, et cela pour trois raisons.

Tout d'abord, il est une urgence démocratique : le Grenelle de l'environnement, « dialogue à cinq » inédit entre syndicats, entreprises, organisations non gouvernementales, élus et administration, constitue un exemple incontestablement réussi de démocratie participative. Ce succès, je le reconnais, tient beaucoup à votre implication, monsieur le ministre d'État.

S'agissant précisément des OGM, le Grenelle a permis de dépasser l'opposition réductrice entre pro et anti-OGM, et de faire émerger de grands principes consensuels.

C'est désormais au Parlement, expression de la démocratie élective, qu'il revient de se prononcer et de débattre. En prenant appui sur les réflexions et les pistes constructives ouvertes par le Grenelle, nous devons finaliser, mes chers collègues, au nom du peuple français, que nous représentons, le cadre législatif qui manque à la France en matière d'OGM.

Dans l'attente de l'élaboration de ce cadre légal, le Gouvernement a jugé nécessaire de prendre immédiatement ses distances avec le cadre juridique en place. Ainsi, il a écarté les instances d'expertise existantes, jusque là chargées d'évaluer les risques et d'autoriser l'utilisation des OGM.

Anticipant leur refonte en une seule et nouvelle instance, et à l'heure du renouvellement de l'autorisation décennale du maïs Bt MON810, un décret du 5 décembre 2007 a institué un comité de préfiguration d'une Haute autorité sur les OGM, chargée de « réévaluer les risques et bénéfices pour l'environnement et la santé publique, susceptibles d'être attachés à la dissémination volontaire de maïs MON810 ».

Ce dispositif d'expertise, conçu comme provisoire, ne saurait perdurer et c'est à la loi de refonder de manière démocratique un système indépendant et légitime, sans lequel ne peut s'envisager une saine mise en oeuvre du principe de précaution.

Ce projet de loi répond donc à une urgence démocratique, mais aussi à une nécessité économique.

Je ne reviendrai pas ici sur le débat concernant la nature et l'ampleur du risque OGM, que la commission des affaires économiques a largement analysées dans son rapport d'information en 2003, dont l'excellent rapporteur était notre collègue Jean-Marc Pastor, que je tiens à saluer aujourd'hui. Je veux simplement rappeler l'enjeu économique que constituent les OGM.

D'abord, prévoir un cadre législatif pour l'utilisation prudente des OGM peut contribuer au développement d'une agriculture de production durable. En effet, monsieur le ministre, chacun s'accorde à reconnaître que l'agriculture doit respecter les milieux dans lesquels elle se déploie, mais qu'elle doit aussi se voir donner les moyens de le faire.

Parmi les outils susceptibles d'accompagner cette réorientation de l'agriculture, les OGM ne peuvent pas être écartés par principe. Si certains d'entre eux pourraient, par leurs conditions d'exploitation, mettre en danger l'environnement, d'autres peuvent présenter un très grand intérêt, par exemple comme alternative aux traitements phytosanitaires - c'est le cas des plantes génétiquement modifiées résistantes aux insectes et, bientôt, de celles qui permettront d'économiser de l'azote - ou comme outil d'adaptation aux changements climatiques, qui sont les principaux problèmes environnementaux auxquels nous devons faire face ; je veux parler des OGM économiseurs d'eau.

Une recherche ouverte sur ces potentialités, distinctes pour chaque OGM, peut seule permettre de savoir si ces promesses seront tenues, à l'heure où la demande alimentaire mondiale explose dans les pays émergents. Vous l'avez clairement dit, monsieur le ministre d'État ; vous l'avez également rappelé, monsieur le ministre de l'agriculture.

D'ores et déjà, je constate que le rendement accru du maïs Bt et la quasi-absence de mycotoxines dans ces cultures ont entraîné un nombre croissant d'agriculteurs français à faire le choix, en 2007, de cultiver cet OGM sur 22 000 hectares, essentiellement localisés dans le Sud-Ouest.

Fixer un cadre légal à la culture d'OGM dans notre pays, c'est aussi prendre acte de la structure actuelle des échanges agricoles mondiaux.

D'une part, notre pays, comme l'Europe entière d'ailleurs, est extrêmement dépendant des importations pour l'alimentation de ses animaux d'élevage, essentiellement les porcs et les volailles, particulièrement depuis l'interdiction des farines animales intervenue en 2000. Ainsi l'Europe doit-elle importer 75 % de ses protéines végétales en provenance des États-Unis, du Brésil et de l'Argentine. Or, en 2006, les cultures transgéniques ont représenté 100 millions d'hectares dans l'ensemble du monde. De ce fait, 80 % des importations européennes de soja contiennent des OGM. Pour sa part, la France importe chaque année environ 3, 5 millions de tonnes de tourteaux de soja OGM, sur les 5 millions de tonnes que consomme l'ensemble de son bétail.

Il n'existe donc pas, aujourd'hui, d'alternative économiquement viable au soja OGM. Il serait irréaliste d'imaginer une alimentation animale sans OGM, car, dans un contexte de hausse généralisée du prix des matières premières agricoles, cela conduirait à renchérir encore les coûts de l'industrie agro-alimentaire et porterait les prix à des niveaux que le consommateur, déjà soucieux de son pouvoir d'achat, refuserait de payer. Les filières de viande blanche, porc et volaille, en seraient profondément déstabilisées.

Il n'est donc pas envisageable d'interdire les importations d'OGM. Dès lors, ne pas introduire, de manière encadrée et responsable, de cultures OGM en France serait se priver du moyen de réduire notre dépendance en protéines végétales et de préserver le pouvoir d'achat.

D'autre part, la France appartient au système commercial international et se trouve soumise aux règles de l'Organisation mondiale du commerce, l'OMC. Attaquée par les États-Unis sur sa législation protectrice à l'égard des OGM, l'Union européenne encourt des rétorsions que Mme Fischer Boel, commissaire européen chargé de l'agriculture et du développement durable, évalue à ce jour à 800 millions de dollars, voire à 1 milliard de dollars par an. Vous l'avez entendue comme moi, monsieur le ministre de l'agriculture, lors de notre récente rencontre à Bruxelles.

Ces rétorsions prendraient la forme de taxes à l'entrée des États-Unis sur des produits agricoles européens emblématiques, en particulier nos vins, dont le champagne, nos fromages AOC et nos foies gras. Il est évident que la France serait l'un des premiers pays ciblés. Si, aujourd'hui, le problème des OGM affecte essentiellement les filières céréalières et, par contrecoup, celles de la viande blanche, l'onde de choc atteindrait demain la filière viticole. Je pense que certains de nos collègues - M. César et d'autres - n'en seraient pas spécialement ravis !

Enfin, tarder à légiférer sur les OGM emporte un dernier coût économique, d'un poids colossal pour l'avenir : en entretenant la confusion, la France a fini par décourager ses chercheurs en sciences du vivant. Même les lignes budgétaires ouvertes pour la recherche en biotechnologies ne sont plus consommées. Il ne suffit pas d'afficher un consensus en faveur de la recherche, il faut aussi lui donner un cadre sécurisé lui permettant de se déployer. Là encore, il y va de notre indépendance : si nous persistons dans une attitude défensive à l'égard des OGM, nous risquons de voir des multinationales étrangères monopoliser la propriété des traits génétiques.

Enfin, ce projet de loi répond à un impératif juridique : la France est, notamment, poursuivie pour défaut de transposition de la directive 98/81/CE relative à l'utilisation confinée d'OGM. La Cour de justice des communautés européennes, saisie en février 2007, s'autoriserait à demander une sanction de plus de 42 millions d'euros... Nous ferons tout pour l'éviter. Ce montant viendrait encore gonfler la facture résultant de la confusion française.

Le projet de loi que nous soumet le Gouvernement était donc attendu. Il se présente sous une forme nouvelle par rapport à 2006. Il est, en effet, bâti sur les grands principes dégagés lors du Grenelle, à savoir : la liberté de produire ou de consommer avec ou sans OGM, l'expertise indépendante, la responsabilité des producteurs et la transparence des informations relatives aux OGM. Ces principes sont, ensuite, déclinés dans le texte.

Concernant le projet de création d'une Haute autorité sur les OGM, destinée à remplacer la Commission de génie génétique et la Commission du génie biomoléculaire, la commission des affaires économiques se félicite que cet organe nouveau soit chargé d'évaluer les risques pour la santé et l'environnement, mais aussi les bénéfices de chaque utilisation d'OGM. Elle vous proposera de rebaptiser cet organisme « Haut Conseil des biotechnologies », pour marquer son rôle essentiellement consultatif, la décision politique étant, bien évidemment, de la responsabilité du Gouvernement.

Elle souhaiterait également bien distinguer, entre les deux comités prévus, l'avis des experts, c'est-à-dire du comité scientifique, de la parole de la société civile, qui exprimera des valeurs et sera portée par le comité de la société civile. Il vous sera, enfin, proposé un mode de dialogue entre ces deux comités venant se substituer au collège prévu.

La commission des affaires économiques tient aussi à bien dissocier l'évaluation du risque, qui sera l'apanage de ce Haut Conseil, de la surveillance biotechnologique du territoire, qui doit être assurée par le comité de biovigilance et qui concernera aussi bien les OGM que les produits phytosanitaires, par exemple. C'est important.

Enfin, la commission plaidera pour une évaluation scientifique, par ce nouvel organe d'expertise, de toute information nouvelle avant de décider de toute mesure d'interdiction ou de suspension de l'autorisation déjà donnée à un OGM.

Le second volet du projet de loi concerne la responsabilité des cultivateurs d'OGM.

Tout d'abord, la commission vous propose d'élargir ce cadre pour parler plus généralement de « responsabilité et de coexistence des cultures ». Surtout, elle a décidé d'accepter une transparence des cultures OGM à la parcelle, afin d'éviter de nourrir la suspicion.

Cependant, cette avancée majeure doit s'accompagner de garanties protégeant les exploitants et leurs cultures, ce qui justifie l'introduction d'un délit de destruction de champs à l'article 4 du projet de loi, délit aggravé lorsque la destruction porte sur un essai. Monsieur le ministre, sur ce point précis, qui a fait l'objet de négociations, je vous ai déjà fait part de mon ouverture, à laquelle j'ai d'ailleurs rallié l'ensemble de mes collègues : si le champ est devenu un espace social, il n'est pas pour autant un espace de non-droit.

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