Monsieur le président, monsieur le ministre d'État, mes chers collègues, « une civilisation débute par le mythe et finit par le doute » disait Cioran. Notre débat s'imposait donc, monsieur le ministre d'État.
Il y a deux ans, lors notre premier débat sur les OGM, je nous invitais à douter afin d'atteindre la vérité. Aujourd'hui, nous doutons encore et la vérité ne s'est que peu rapprochée.
Deux ans après, le débat est toujours aussi passionné. Les faits quant à eux déroulent toujours leur litanie de chiffres implacables, et on ne peut les ignorer.
Le nombre de pays cultivant des OGM est passé de vingt et un en 2005 à vingt-deux en 2006, soit onze pays développés et onze pays en développement.
Les OGM augmentent dans les pays déjà fortement engagés dans la culture des OGM. Une croissance soutenue de plus de 11 % a été atteinte chaque année.
La seule chose qui diminue réellement, c'est la part de surfaces OGM que cultivent les États-Unis par rapport au reste du monde, tellement les OGM se développent ailleurs.
Envisager les OGM en général n'a pas de sens, me semble-t-il, car chaque organisme doit faire l'objet d'un examen spécifique. Par exemple, le riz doré, riche en vitamine A permettant de réduire les risques de cécité, n'a rien à voir avec les peupliers dont la quantité et la qualité de lignine ont été modifiées afin de produire de la pâte à papier en utilisant moins de polluants.
Si nous parlons régulièrement des plantes génétiquement modifiées, il ne faut pas pour autant oublier les animaux génétiquement modifiés.
Ainsi un poisson d'aquarium à qui l'on a injecté un gène fluorescent de couleur corail, appelé le GloFish, est désormais commercialisé aux États-Unis.
Une demande pour la commercialisation d'un saumon génétiquement modifié, qui atteindrait sa taille adulte plus rapidement, est toujours pendante devant l'administration américaine et pourrait se voir acceptée dès 2008.
Il y a également des recherches au Québec sur une chèvre qui produirait dans son lait une protéine d'un type de soie connu chez l'araignée. On hallucine !
L'Union européenne étant actuellement confrontée au problème de savoir si oui ou non elle doit autoriser la vente de viande d'animaux clonés, je pensais qu'il était nécessaire de faire ce petit rappel sur ce que le concept d « organisme génétiquement modifié » peut recouvrir.
Je me réjouis que le cadre européen de la directive de 2001, que nous sommes appelés à transposer définitivement, renforce l'évaluation des OGM a priori, fixe des règles de traçabilité et d'étiquetage et impose une biovigilance après la mise sur le marché. J'apprécie également qu'il définisse le cadre de la coexistence entre les différents types d'agriculture afin de « permettre à chaque agriculteur de choisir le mode de production qu'il souhaite, qu'il soit biotechnologique, conventionnel ou biologique », bien que je doute que le choix du consommateur, en bout de ligne, soit un véritable choix.
Nous sommes dans un débat de société, face à un vrai choix de civilisation. C'est l'occasion d'affirmer, me semble-t-il, des valeurs différentes de celles du profit immédiat. Si les OGM ont une justification, elle ne peut être uniquement commerciale. Je suis donc opposé aux projets d'OGM ayant pour ambition de transformer les animaux en « réservoir de matières premières » pour l'industrie ou en « ornements décoratifs » pour le commerce.
Il faut, en votant ce texte, affirmer des valeurs qui sont les nôtres, le respect de l'environnement, la santé publique, la liberté, nos libertés. Il s'agit également de rappeler l'importance de la démocratie et du rôle des citoyens dans le processus de décision, la nécessaire indépendance alimentaire que nous devons préserver et, par-dessus tout, notre volonté de civiliser la technique.
Le futur haut conseil des biotechnologies, par sa composition et par les pouvoirs qui lui sont conférés, me semble être l'organisme susceptible de donner aux citoyens les réponses que nous appelions de nos voeux en 2006.
Ce haut conseil, en devenant le lieu du débat et de la réflexion, devrait permettre une pacification du débat public. Le consensus qui devrait en résulter permettra d'établir des méthodes d'analyse encadrées par une méthodologie acceptée de tous. L'existence d'un comité économique, éthique et social à côté du comité scientifique nous prémunit contre une dérive technocratique de cette instance.
Je suggère d'ailleurs, monsieur le ministre d'État, qu'en collaboration avec l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, présidé par notre collègue Henri Revol, ce haut conseil devienne l'interlocuteur des citoyens et le garant d'un débat apaisé en atteignant le niveau maximal d'information.
Ce haut conseil se voit, en effet, confier le pouvoir de mener des actions d'information se rapportant à ses missions. Je forme le voeu qu'il use et abuse de ce pouvoir en direction du grand public.
Il est un argument qui, aujourd'hui, ne rencontre pas l'écho qu'il mérite, c'est celui de notre souveraineté en matière de biotechnologies. Cependant, le consensus sur ce sujet est impressionnant, comme on a encore pu le constater lors du Grenelle de l'environnement. Il est intéressant de noter qu'en France, la recherche réunit autour d'elle un accord politique rare et, pourtant, on ne cesse de parler du retard français en la matière.
La France n'a pas à rougir de sa recherche, elle fait partie des cinq pays où se concentrent 82 % des investissements en recherche et développement, et l'INRA occupe la deuxième place mondiale pour la publication en science agricole et en sciences de la plante et de l'animal.
Les données restent simples : si nous ne sommes pas à la pointe de la recherche en la matière, d'autres le seront pour nous. Nous avons un « devoir de recherche » comme le rappelait encore récemment Mme Valérie Pécresse, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, devant l'Assemblée nationale. C'est donc tout naturellement que je salue l'effort du Gouvernement de débloquer 45 millions d'euros de crédits supplémentaires pour la recherche en biotechnologie d'ici à 2011.
Quoi que l'on pense des OGM, il me semble possible de s'accorder sur le fait qu'il est plus que souhaitable de voir des entreprises françaises comme Limagrain être à la pointe de la recherche plutôt que Monsanto, entreprise américaine. Ainsi, lorsque l'on saccage un champ de maïs OGM, il serait utile de conserver à l'esprit que les bénéficiaires de ces destructions sont les firmes américaines, chinoises ou brésiliennes, et non notre connaissance ni peut-être même l'environnement.
Cela ne m'empêche pas de continuer à m'interroger, monsieur le ministre d'État, au risque de me répéter, sur le devenir des AOC dans un monde « OGMisé ». Comment allons-nous les protéger à l'avenir ? Voilà une vraie question d'aménagement du territoire.
Enfin, je souhaiterais clore mon propos par une invitation à la réflexion sur la nécessaire civilisation de la technique. Cela ne peut se faire sans une véritable éthique.
Nous créons des techniques et nous apparaissons souvent dépassés par elles. Il n'y a pas cependant de « fatalité inhérente à la machine » disait Bergson. La technique n'est ni fondamentalement bienfaitrice, ni essentiellement dangereuse. La logique de la technique est simple, c'est celle de la réalisation de tous les possibles. La technique pose non pas la question des fins mais celle des moyens, répondre à cette délicate question est la responsabilité qui nous échoit.
En désaccord avec Edgar Morin - cité par notre collègue Jean-François Le Grand - quand il dit que « la civilisation occidentale d'aujourd'hui apporte plus d'effets négatifs que d'effets positifs », il nous appartient désormais de repenser une éthique globale de la technique. Sans éthique, celle-ci n'est rien, car elle n'a pas de sens. Notre rôle politique est de la contrôler et de la soumettre à notre volonté. Cette nouvelle « éthique de la responsabilité » est définie par Hans Jonas par la maxime suivante : « Agis de telle sorte que les effets de ton action soient compatibles avec la permanence d'une vie authentiquement humaine sur terre. »
Nous commençons doucement mais sûrement à en faire un axe véritable de nos politiques, comme en témoignent les engagements pris par la France et l'Europe en matière de développement durable.
Éthique et technique marchent ensemble, la composition du futur haut conseil en témoigne. Nous avons voté en 2004 une loi sur la bioéthique d'où ressortait la nécessité de l'enseignement de l'éthique et d'un fort encadrement éthique pour lutter contre toutes les dérives de la recherche sur le vivant. Il me semble qu'il s'agit ici du même débat et que les valeurs énoncées à l'époque sont toujours d'actualité.
Pour finir sur une note d'espoir à propos des biotechnologies agricoles, je voudrais saluer l'étude parue dans la revue Science le 18 janvier dernier signée par plusieurs scientifiques américains de l'université Cornell et du ministère de l'agriculture, qui expose une belle réussite de la recherche agronomique sans utilisation de la transgénèse. La méthode appliquée en l'occurrence fut celle de la génétique d'association, qui consiste à trouver, au sein d'une espèce, les gènes codant des caractères intéressants susceptibles d'être ensuite transférés par des croisements classiques à d'autres variétés de la même espèce.
Le processus du Grenelle de l'environnement a été un premier pas ambitieux qui a permis de dégager des consensus. Désormais, c'est à nous d'en profiter pour bâtir une véritable politique éthique de la recherche sur les OGM.
Avec ce projet de loi, nous faisons un premier pas dans la direction d'un meilleur encadrement des OGM. Il nous faudra continuer sur cette voie et sans cesse remettre l'ouvrage sur le métier.
Ce propos, monsieur le ministre d'État, mes chers collègues, vous apparaîtra sans doute plus philosophique que pratique et concret, voire utopique, mais, en ce domaine, craint par beaucoup mais imposé par le respect de nos valeurs, il ne faut pas perdre l'esprit qui doit toujours dominer.