Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, mesdames, messieurs les sénateurs, en clarifiant le statut pénal du chef de l’État, la loi constitutionnelle du 23 février 2007 a modifié la lettre de la Constitution, dans le respect de ses principes.
Aux termes de la norme suprême, le Président de la République veille au respect de la Constitution. Il assure le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l’État. Il est le garant de l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire et du respect des traités.
Le Président de la République est donc la clé de voûte de nos institutions ; ce principe, bien que parfois critiqué, a été admis.
L’unité nationale exige « qu’au-dessus des contingences politiques, soit établi un arbitrage national qui fasse valoir la continuité au milieu des combinaisons ». C’était la volonté du général de Gaulle. C’est l’esprit de notre Constitution, et je crois que nous y sommes finalement tous attachés.
Le principe d’irresponsabilité pénale du chef de l’État en découle directement. Il est commun, ne l’oublions jamais, à la plupart des démocraties contemporaines.
Parce que le Président de la République est le représentant de la nation, il bénéficie des immunités qui s’attachent à cette qualité.
Parce qu’il participe directement à l’exercice de la souveraineté, il doit pouvoir exercer en toute indépendance le mandat dont il est investi.
Parce que, tout en étant soumis au respect de la règle générale, il doit être soustrait aux intimidations ou aux pressions qui s’exerceraient sur lui et l’empêcheraient de remplir sa fonction, les procédures judiciaires de droit commun sont suspendues.
Mesdames, messieurs les sénateurs, l’immunité dont bénéficie le Président de la République ne saurait pour autant avoir le caractère d’un principe général et absolu. Elle est attachée à une fonction, elle n’est pas attachée à une personne. C’est pourquoi elle ne dure que le temps de son mandat. Tout délai de prescription ou de forclusion est suspendu pendant cette période. C’est pourquoi aussi la protection cesse dès lors que la fonction présidentielle elle-même est mise en péril.
Une procédure de destitution du Président de la République par la Haute Cour est donc prévue « en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat. »
La nouvelle rédaction de l’article 68 a renforcé la cohérence de notre Constitution sur ce point. M. le président de la commission des lois a rappelé qu’était retenue, auparavant, la notion de « haute trahison ». La raison en est évidente : on n’échappe jamais à son histoire, et cette rédaction faisait surtout référence à des situations de guerre, tout en mettant en lumière le caractère exceptionnel de la procédure.
La proposition de loi organique soumise à votre examen vise à préciser les conditions d’application de cette nouvelle rédaction.
Vous avez eu raison de rappeler, monsieur Patriat, que l’article 68 de la Constitution appelait le vote d’une loi organique. Mais, depuis 2007, nous avons été occupés par un travail législatif intense, qui tendait à répondre à un certain nombre de situations, non pas d’urgence, mais d’application quotidienne. Or les cas où la responsabilité du Président de la République aurait pu être mise en cause ont été tout à fait exceptionnels depuis le début de la Ve République, aucune tentative en la matière n’ayant d’ailleurs abouti. Le travail législatif a donc porté, légitimement, sur d’autres urgences et d’autres priorités.
Monsieur Patriat, j’ai le sentiment que votre démarche traduit une certaine impatience, que je peux certes comprendre. Pour autant, l’impatience ne doit pas conduire à légiférer dans la précipitation. C’est d’ailleurs presque un paradoxe puisque vous me reprochez souvent, comme à l’ensemble du Gouvernement, de légiférer trop vite, même si les textes examinés sont parfois dans le circuit parlementaire depuis de longs mois, voire de nombreuses années. Nous raisonnons là un peu à fronts renversés.
Si savoir prendre le temps de la réflexion est une exigence qui vise tous les domaines, c’est particulièrement nécessaire à l’égard de nos institutions. Sur ce sujet, dans la mesure du possible, nous devons rechercher le consensus, et vous le savez bien, mesdames, messieurs les sénateurs, quelles que soient les travées sur lesquelles vous siégiez dans cet hémicycle : en effet, ce sont fondamentalement les institutions qui nous permettent de vivre et de travailler ensemble.
Le texte aujourd'hui soumis à votre examen comporte un certain nombre de pistes intéressantes. Néanmoins, comme le président Hyest, je considère qu’il n’apporte pas de garanties suffisantes face au risque de dénaturation de l’esprit des dispositions constitutionnelles, esprit que vous me semblez partager. C'est la raison pour laquelle il est important que nous sachions travailler ensemble pour régler un certain nombre de questions soulevées, à fort juste titre, par M. Jean-Jacques Hyest. Pour ma part, sans les reprendre toutes, je veux souligner ma préoccupation quant au risque d’un double glissement relatif, d’une part, à la portée du texte et, d’autre part, à la procédure prévue par l’article 68 de la Constitution.
La présente proposition de loi organique tend à modifier la portée de la procédure de présentation du chef de l’État devant la Haute Cour, laquelle doit demeurer l’exception. C’est une exigence constitutionnelle, une nécessité institutionnelle, parce que la stabilité du fonctionnement de l’État repose largement sur celle de la fonction présidentielle. Remettre en cause cette réalité reviendrait à porter atteinte à l’ensemble de nos institutions. C’est bien la raison pour laquelle l’encadrement juridique des propositions de résolution tendant à la réunion de la Haute Cour doit tenir compte de ce caractère d’exception. Or, monsieur Patriat, les conditions de recevabilité de tels textes prévues par la présente proposition de loi organique sont encore insuffisantes.
Deux conditions sont visées à l’article 1er.
Premièrement, la proposition de résolution doit être motivée. Cette règle, indiscutable dans son principe, sera, je le pense, systématiquement respectée.
Deuxièmement, une telle proposition doit être signée par soixante députés ou soixante sénateurs. Monsieur le sénateur, vous reconnaissez vous-même que ce seuil est identique à celui qui est requis pour la saisine du Conseil constitutionnel. Or cette dernière saisine n’est pas exceptionnelle, c’est le moins que l’on puisse dire, puisque tous les projets de loi sont soumis quasiment systématiquement au Conseil constitutionnel. J’estime, quant à moi, que la gravité de la procédure tendant à la destitution du Président de la République exige que les parlementaires déposant une proposition de résolution soient plus nombreux que ceux qui peuvent intenter un recours devant le Conseil constitutionnel, faute de quoi, même si ces deux conditions sont satisfaites, le contrôle de recevabilité effectué par le Parlement dans un délai de six jours ne pourra pas jouer un rôle de filtre efficace.
Pour ma part, je considère que la procédure de l’article 68 de la Constitution ne doit pas devenir une procédure de droit commun, ne doit pas, en quelque sorte, être banalisée ; sinon, la portée du texte constitutionnel serait modifiée, et la nature du dispositif voulu par le constituant serait altérée.
En raison de son caractère exceptionnel, la mise en cause du chef de l’État devant la Haute Cour vise des cas qui doivent être eux-mêmes exceptionnels – mettons de côté la haute trahison, dont l’interprétation est difficile – et dépasser les clivages partisans.
Aujourd'hui, alors que nous étudions le fonctionnement de nos institutions, nous devons avoir à l’esprit, quelle que soit notre opinion politique, le fait que la procédure en cause ne doit pas devenir un instrument utilisé à de pures fins partisanes. Nous savons bien que l’alternance fait partie de la vie politique et que, les uns et les autres, nous pouvons être confrontés à une telle situation. Par conséquent, par-delà nos préoccupations immédiates, nous devons voir les conséquences d’une telle procédure sur le long terme.
Un recours trop facile à la procédure de destitution favoriserait le détournement des dispositions constitutionnelles. D’aucuns pourraient être tentés de la transformer en tribune contre le président de la République du moment.
Il faut prendre en compte non seulement les principes, mais également la réalité de notre vie politique, qui, malheureusement selon moi, est largement axée sur la communication. Vous voyez fort bien l’incidence que peut avoir le seul déclenchement d’une procédure sur la stabilité de nos institutions, comme sur la vie internationale, de plus en plus prégnante et présente.
Tout d’abord, la procédure pourrait présenter un risque d’incohérence avec nos principes institutionnels. Rappelons que, en vertu de la Constitution, le Président de la République n’est pas responsable devant le Parlement, contrairement au Premier ministre et au Gouvernement. Or, si la procédure en question avait pour résultat de conduire le chef de l’État à rendre des comptes aux assemblées sur la politique qu’il conduit et sur laquelle il a été élu, la cohérence de nos institutions ne serait plus assurée.
La procédure pourrait également présenter un risque de déstabilisation de l’exécutif. Si la responsabilité, que vous qualifiez de « politique », du Président de la République était mise en cause trop fréquemment, la procédure deviendrait une sorte de machine à provoquer des crises institutionnelles. C’est un véritable risque pour le fonctionnement de nos institutions, au moment où, plus que jamais, notre société a besoin de stabilité et de visibilité.
Par ailleurs, comme le démontrent certains faits qui se sont produits dans d’autres grandes démocraties, la seule mise en œuvre de la procédure produirait immédiatement un écho international qui décrédibiliserait la personne représentant notre pays au niveau international, c'est-à-dire le Président de la République. Point n’est besoin de vous rappeler ce qui s’est passé aux États-Unis à deux ou trois reprises au cours de ces dernières années : nous avons bien vu que la position d’un président susceptible d’être mis en cause, comme celle du pays qu’il représente, s’est trouvée affaiblie.
C'est la raison pour laquelle, mesdames, messieurs les sénateurs, je crois réellement que le débat sur la mise en œuvre de la procédure de l’article 68 de la Constitution nécessite que nous prenions le temps d’une véritable réflexion commune de fond sur l’équilibre de nos institutions, tout en reconnaissant que les choses ont sans doute trop tardé.
Monsieur Patriat, comme vous l’avez souligné tout à l’heure, cette démarche doit être exempte de toute polémique et doit associer tous les groupes politiques.
Le Gouvernement travaille sur ce sujet. Si je ne vous ai pas présenté aujourd'hui un texte, c’est parce qu’un certain nombre d’hésitations demeurent quant aux questions de fond soulevées par le président Hyest. Je vous propose – et je réponds en cela à la demande de M. Hyest – de reprendre notre discussion sur la base du projet de loi organique que le Gouvernement est en train d’élaborer et que je vais présenter en conseil des ministres dans le courant du premier semestre de cette année. La procédure aurait pu être plus rapide, mais l’interruption des travaux parlementaires résultant de la tenue des élections régionales bouscule quelque peu notre calendrier. Notre travail commun permettra de trouver un juste équilibre entre le respect de la Constitution et la nécessaire effectivité du mécanisme prévu à l’article 68 de ce même texte.
Mesdames, messieurs les sénateurs, telle est la raison pour laquelle le Gouvernement partage la position de M. Hyest, qui propose le renvoi à la commission de la proposition de loi organique.