La séance est ouverte à neuf heures.
Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
J’informe le Sénat que M. le Premier ministre, par lettre en date du 13 janvier 2010, a estimé souhaitable, sans attendre l’adoption des règles organiques qui permettront la mise en œuvre de l’article 13 de la Constitution, de mettre la commission intéressée en mesure d’auditionner, si elle le souhaite, M. Alain Grimfeld, qui pourrait être prochainement renouvelé dans ses fonctions de président du Comité national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé.
Acte est donné de cette communication, et ce courrier est transmis à la commission des affaires sociales.
L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi organique portant application de l’article 68 de la Constitution, présentée par MM. François Patriat et Robert Badinter et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés (proposition de loi n° 69, rapport n° 187).
Dans la discussion générale, la parole est à M. François Patriat, auteur de la proposition de loi organique.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, j’ai l’honneur de vous présenter la proposition de loi organique portant application de l’article 68 de la Constitution qu’au nom du groupe socialiste j’ai rédigée et à laquelle Robert Badinter a apporté son expertise éclairée.
Cet article 68 constitue le corollaire de l’article 67 de la Constitution, relatif au statut juridictionnel du chef de l’État.
Les dispositions de ces deux articles résultent de la loi constitutionnelle du 23 février 2007 portant modification du titre IX de la Constitution, largement inspirée du rapport de la commission de réflexion sur le statut pénal du Président de la République présidée par le professeur Pierre Avril.
La présente proposition de loi organique a pour objectif de combler une lacune.
En effet, le dernier alinéa de l’article 68 de la Constitution renvoie à une loi organique la fixation des conditions d’application de la procédure de destitution du Président de la République « en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat ».
Mais, trois ans après l’adoption de la loi constitutionnelle, le Gouvernement n’a toujours pas pris l’initiative de présenter au Parlement un projet de loi organique.
Ainsi, monsieur le président de la commission des lois, vous soulignez, en votre qualité de rapporteur, que la proposition de loi organique que j’ai l’honneur de présenter « apporte les éléments complémentaires nécessaires à la mise en œuvre de la procédure prévue par l’article 68 de la Constitution », et je vous en remercie.
Cette proposition de loi, que j’ai voulue comme « l’application de la Constitution, rien que la Constitution, mais toute la Constitution », décrit les conditions de dépôt et d’inscription à l’ordre du jour de la proposition de résolution portant réunion de la Haute Cour et les modalités de la procédure d’examen, de débat et de vote de la proposition de résolution.
Les principes de la révision du titre IX de la Constitution sont issus des travaux de la commission présidée par le professeur Pierre Avril, nommé par le Président Jacques Chirac en 2002. C’est, à peu de chose près, le texte de cette commission qui avait été déposé au Parlement et débattu en 2006 et en 2007.
Concernant le régime de la responsabilité du Président de la République, un principe simple avait été retenu : ce qui relève du politique doit être évalué dans un cadre politique ; ce qui engage la responsabilité personnelle du titulaire de la fonction doit être jugé par les voies juridictionnelles ordinaires.
Ainsi, la réforme constitutionnelle a précisé le statut juridictionnel du chef de l’État à l’article 67 en préservant le principe de l’irresponsabilité du Président de la République pour les actes accomplis en qualité de chef de l’État.
Quant à l’article 68, il introduisait dans notre Constitution une procédure de destitution du Président de la République en cas de manquement manifestement incompatible avec l’exercice de ses fonctions.
Je précise que la formulation retenue à l’article 68 visait à marquer sans ambiguïté que la destitution n’avait pas pour objet de mettre en cause la responsabilité pénale du Président de la République.
En effet, le législateur a voulu faire de cette procédure une procédure politique, au sens noble du terme, en vertu du principe selon lequel l’atteinte à une institution issue du suffrage universel ne peut être appréciée que par le représentant du peuple souverain.
Ainsi, le Parlement constitué en Haute Cour ne peut se prononcer sur la qualification pénale du manquement : il se prononce seulement sur l’atteinte portée à la dignité de la fonction, afin de rendre le Président de la République à la condition de citoyen ordinaire.
Cette possibilité de destitution est donc une procédure dépénalisée. Pour la Haute Cour, il s’agit non pas de se substituer à la justice afin de juger le chef de l’État, mais de se prononcer sur la capacité de ce dernier à poursuivre son mandat compte tenu des manquements qui lui seraient reprochés.
Aussi, siégeant en Haute Cour, les parlementaires ne deviennent pas des juges politiques ; ce sont des représentants prenant une décision politique afin de préserver les intérêts supérieurs de la nation.
Aujourd’hui, le chef de l’État bénéficie d’une double protection : d’une part, l’irresponsabilité, pour les actes accomplis dans l’exercice de ses fonctions, et, d’autre part, l’inviolabilité, qui le protège des poursuites judiciaires pendant la durée de son mandat.
Cette double protection, tout à fait légitime, ne doit cependant pas faire obstacle à la mise en cause de la responsabilité du Président de la République dans l’hypothèse où il se montrerait indigne de sa fonction.
Or, en l’absence de loi organique, l’irresponsabilité du chef de l’État reste totale, ce qui constitue, avouons-le, une condition très exceptionnelle, voire anormale, dans le fonctionnement de nos institutions, qui porte atteinte à l’équilibre de ces dernières, voire à la sérénité nécessaire à leur bon fonctionnement.
Le Président de la République ne peut avoir tous les droits sans aucune contrepartie : ceux qui sont attachés à ses prérogatives constitutionnelles et ceux qu’il prétend exercer comme tout justiciable, comme le droit – on l’a vu récemment – de se porter partie civile alors que l’article 67 interdit toute réciprocité pour la partie adverse. Il ne peut rester dans cette position d’irresponsabilité « intégrale » et, en la matière, nous en convenons tous, le transitoire ne peut devenir la règle.
Près de trois ans après l’adoption de cette réforme constitutionnelle, alors que le Président de la République en exercice a dépassé la mi-mandat, il est plus que temps de remédier à cette situation.
Cette réflexion ne vise aucun Président de la République en particulier. Vous connaissez d’ailleurs, mes chers collègues, les critiques de fond émises par l’opposition, notamment le groupe socialiste du Sénat, sur cette révision constitutionnelle lors de son examen. Mais depuis, la loi a été votée : encore faut-il maintenant qu’elle s’applique. C’est tout simplement ce que nous demandons.
Je souhaite rappeler que, lors du débat parlementaire sur la réforme constitutionnelle, le problème de l’utilisation de cette procédure à des fins politiciennes avait bien sûr été soulevé, ce qui était d’autant plus fondé de la part du législateur que, dans le texte initial du Gouvernement, le principe de la nécessité d’une majorité absolue pour la réunion de la Haute Cour et le déclenchement de la procédure de destitution avait été retenu. Ce principe pouvait, en effet, entraîner un usage abusif de la nouvelle procédure par des majorités parlementaires de circonstances.
Aussi, pour garantir la stabilité de la fonction présidentielle, un amendement socialiste, déposé par notre collègue député André Vallini, avait introduit la règle de majorité des deux tiers au lieu de celle de la majorité absolue pour les décisions prises en application de l’article 68 par les membres composant l’assemblée concernée ou par la Haute Cour.
Vous vous étiez d’ailleurs félicité, monsieur le président de la commission des lois, de l’introduction de ce garde-fou contre l’utilisation intempestive de la procédure d’exception, la majorité des deux tiers offrant, selon vous, « les garanties nécessaires » à la mise en œuvre de celle-ci. « Ce renforcement de la majorité nécessaire au déclenchement de la procédure évitera un détournement à des fins partisanes », écriviez-vous ainsi dans le rapport.
Il semble cependant – et c’est bien ce qui nous choque un peu – que ces garanties ne suffisent plus aujourd’hui pour prévenir un usage abusif de cette procédure : la commission des lois n’aurait-elle pas sinon accepté de présenter un texte en séance aujourd’hui, sans attendre le dépôt d’un projet de loi ?
En effet, ce n’est pas le nombre de signataires requis pour le dépôt d’une proposition de résolution tendant à la réunion de la Haute Cour qui pose problème – sur le conseil de Robert Badinter, j’ai calqué ma proposition sur le modèle de la saisine du Conseil constitutionnel, et vous auriez pu proposer de l’amender afin que nous puissions au moins en débattre –, ni même, vraisemblablement, la composition du Bureau de la Haute Cour ou la possibilité pour le Président de la République de se faire représenter. Non, la vraie question est de savoir pourquoi et comment les garanties contre une hypothétique dérive politicienne votées hier par la majorité sont devenues insuffisantes aujourd’hui : qu’est-ce qui a changé en trois ans ?
La Constitution est notre loi commune. Faut-il prendre en compte, et défendre, une manière d’exercice du pouvoir par le Président de la République actuel qui conférerait une nouvelle interprétation de l’équilibre institutionnel, ce « jeu des équilibres délicats » que vous évoquez dans votre rapport, monsieur le président de la commission des lois ? Je ne veux pas le croire !
Cet exercice du pouvoir motive-t-il la nécessité que vous mentionnez d’appliquer un filtre à l’exercice de la procédure inscrite à l’article 68 en restreignant le nombre de résolutions de ce type susceptibles d’être déposées au cours d’un mandat présidentiel ?
Vous rappelez dans votre rapport que cette condition avait été évoquée par la commission Avril, qui préconisait qu’un membre du Parlement ne puisse être signataire que d’une seule proposition de réunion de la Haute Cour au cours du même mandat présidentiel. Cette condition n’a cependant pas été introduite dans le texte présenté à l’époque par le Gouvernement, ce dont la majorité parlementaire ne s’était pas autrement émue alors…
Ce filtre portant sur les conditions de recevabilité de la procédure, qui n’a pas été prévu par le texte constitutionnel, traduit-il l’intention initiale du législateur ?
Disons-le clairement : pourquoi craindre aujourd’hui plus qu’hier la possibilité donnée par cet article d’une forme de censure du Président de la République ?
Vous le savez pourtant, la procédure de destitution de l’article 68 dont nous parlons, possible dans le cas d’une véritable crise de fonctionnement institutionnel, se distingue tout à fait de la motion de censure qui s’inscrit dans le cadre normal du régime parlementaire. La destitution est en effet une situation exceptionnelle. C’est une mesure sanctionnant le comportement d’une personne, alors que la censure vise une autorité collégiale, le Gouvernement, et sanctionne sa politique.
Même sur ce point, informée des intentions du Gouvernement, la commission des lois avait la possibilité, et la liberté, de présenter aujourd’hui un texte amendé dans ce sens. En effet, s’agissant de la mise en œuvre d’une forme de responsabilité issue du suffrage universel, le Parlement est tout à fait dans son rôle pour élaborer un texte organique mettant en œuvre une procédure qu’il peut seul conduire, sans en référer à l’exécutif.
Sur un tel texte, ensemble, tous les groupes politiques de la Haute Assemblée peuvent utilement travailler à faire œuvre commune.
Mes chers collègues, cette proposition de loi organique n’est pas polémique. Elle ne pose pas des positions de principes propres au groupe socialiste. Elle tend seulement à rendre applicable une disposition de la Constitution qui concerne tout président de la République, en exercice ou à venir.
Sur le fond, s’en tenant à la transcription stricte de la Constitution, nous voulions qu’elle soit susceptible – et c’est dans cet esprit que nous l’avons conçue – de recueillir l’adhésion de la majorité afin de consolider utilement nos institutions.
Refuser d’en débattre, et éventuellement de l’amender, revient finalement à politiser la mise en œuvre d’une disposition constitutionnelle, qui est pourtant notre loi commune, ce qui conduira à la diminuer, donc à la fragiliser. Croyez bien que je le regrette.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Mme Anne-Marie Escoffier applaudit également.
mes chers collègues, comme l’a rappelé l’auteur de la proposition de loi organique, l’article 68 de la Constitution institue une procédure de destitution du Président de la République « en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat ». Je rappelle que, avant la révision constitutionnelle, il était question de « haute trahison », notion incompréhensible sur laquelle les juristes se penchaient régulièrement, et qui n’a d’ailleurs jamais été appliquée.
Cet article 68 constitue, ainsi que M. Patriat l’a rappelé, le corollaire de l’article 67 de la Constitution relatif au statut juridictionnel du chef de l’État.
La loi constitutionnelle du 23 février 2007 portant modification du titre IX de la Constitution, dont j’étais le rapporteur, était largement inspirée du rapport de la Commission de réflexion sur le statut pénal du Président de la République, présidée par le professeur Pierre Avril.
Le dernier alinéa de l’article 67 renvoie la détermination des conditions d’application de la procédure de destitution à une loi organique qui, à ce jour, n’a fait l’objet d’aucune initiative du Gouvernement, ce que l’on peut regretter.
La commission des lois a observé que la proposition de loi organique présentée par MM. François Patriat et Robert Badinter, ainsi que par les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, répond à l’évidence à une lacune juridique touchant un aspect important du fonctionnement de nos institutions, même si elle vise, en pratique, des situations de crise mettant en cause le chef de l’État qui ne se sont jamais présentées sous la Ve République. Il y a bien eu, certes, la tentative individuelle d’un parlementaire que vous connaissez bien, monsieur Patriat, de déférer le précédent président de la République devant la Haute Cour, mais elle n’a jamais abouti, le nombre de signatures nécessaire n’ayant jamais pu être réuni. Il nous faut donc être extrêmement vigilants à ce qu’un tel dispositif ne puisse être utilisé à des fins politiciennes.
Le texte proposé prévoit de manière très complète les dispositions nécessaires à la mise en œuvre de l’article 68 de la Constitution, même si, à titre personnel, je suis réservé quant à la répétition systématique dans la loi organique de dispositions déjà prévues dans la Constitution. Soit ces dispositions sont reproduites purement et simplement, soit elles sont quelque peu modifiées, ce qui peut poser des problèmes de compréhension entre les deux textes.
Néanmoins, comme le révèlent certains des choix opérés par les auteurs de la proposition de loi organique, ces dispositions organiques ne correspondent pas seulement à de simples mécanismes procéduraux ; elles mettent aussi en jeu des équilibres institutionnels justifiant une réflexion approfondie. D’ailleurs, l’élaboration d’une loi organique de mise en œuvre de la Constitution prend souvent beaucoup de temps. Les lois organiques issues de la dernière révision constitutionnelle n’ont pas échappé à cette règle, certaines dispositions faisant l’objet de désaccords entre l’Assemblée nationale et le Sénat.
Je souhaiterais attirer plus particulièrement votre attention sur trois points.
Le premier sujet de réflexion concerne le nombre de signataires et, plus généralement, les conditions requises pour le dépôt d’une proposition de résolution tendant à la réunion de la Haute Cour.
La proposition de loi organique prévoit que la proposition de résolution doit être déposée par soixante députés ou soixante sénateurs, soit, comme nous sommes deux fois moins nombreux que nos collègues députés, une proportion deux fois plus grande de sénateurs. Le rapport de la commission Avril recommandait que la proposition soit signée par le dixième des membres de l’assemblée concernée, reprenant sur ce point les anciennes dispositions des règlements du Sénat et de l’Assemblée nationale concernant le nombre minimal de signatures exigées pour une proposition de résolution portant mise en accusation devant la Haute Cour de justice.
Si l’on peut s’interroger sur le nombre de signataires nécessaire, on peut également se demander si cette condition est par elle-même suffisante pour éviter un usage abusif de la proposition tendant à la réunion de la Haute Cour. La commission Avril suggérait qu’un membre du Parlement ne puisse être signataire que d’une seule proposition de réunion de la Haute Cour au cours du même mandat présidentiel. Selon le rapport de cette commission, « si la motion initiale n’aboutit pas mais que des circonstances ultérieures justifient une nouvelle proposition de réunion, celle-ci restera possible, à condition d’être signée par d’autres que ceux qui avaient pris la première initiative infructueuse ».
Faut-il prévoir d’autres mécanismes, comme, par exemple, la possibilité que l’assemblée ne soit pas appelée à délibérer d’une motion si le Bureau s’y oppose à l’unanimité ?
Le deuxième sujet de réflexion concerne la composition du Bureau de la Haute Cour et le rôle qui lui est imparti.
Tout d’abord, le choix de faire du Bureau de la Haute Cour la réunion des Bureaux des deux assemblées ne conduit-il pas à doter cette instance d’un effectif trop important – 48 personnes ! –, qui ne paraît pas adapté au rôle décisionnel qui lui serait confié ?
Surtout, les décisions du Bureau devraient-elles être prises au cas par cas, ou prendre la forme d’un règlement ? Certains des professeurs de droit constitutionnel que j’ai entendus, dans le bref délai dont je disposais, ont jugé souhaitable que tous les aspects de la procédure soient réglés avant que ne soient mises en œuvre les dispositions de l’article 68. D’aucuns, au contraire, peuvent ne pas juger opportun d’établir un règlement de la Haute Cour sur le modèle du règlement du Congrès. Celui-ci avait été élaboré le 20 décembre 1963 par le Bureau du Congrès qui, en vertu de l’article 89 de la Constitution, est celui de l’Assemblée nationale, et soumis au Conseil constitutionnel, le Congrès étant assimilé à une assemblée parlementaire au sens du premier alinéa de l’article 61 de la Constitution.
Le troisième sujet de réflexion porte sur la possibilité pour le Président de la République de se faire représenter tant devant la commission que devant la Haute Cour. La notion de représentant n’est-elle pas préférable, d’ailleurs, à celle de « conseil », utilisée dans la proposition de loi organique, qui conserve une connotation sans doute excessivement judiciaire ? Comme vous l’avez rappelé, monsieur Patriat, il ne s’agit pas d’une procédure judiciaire. Il faut donc absolument distinguer les deux procédures – la procédure devant la Haute Cour et la procédure judiciaire –, car elles présentent des différences évidentes.
Ces quelques questions importantes n’épuisent pas les différents sujets sur lesquels, je le crois, notre réflexion doit encore mûrir.
Par ailleurs, la commission a été informée par le Gouvernement qu’un projet de loi organique portant application de l’article 68 de la Constitution serait rapidement présenté au Parlement.
C’est pourquoi, avant de nous prononcer sur la présente proposition de loi organique – une initiative que je salue et dont je remercie les auteurs ! –, nous avons estimé nécessaire de prendre connaissance du texte du Gouvernement dans un domaine qui intéresse directement la stabilité de nos institutions et peut justifier, de la même manière, l’initiative du Parlement et celle de l’exécutif. Nous avons considéré que nous serions mieux éclairés par l’analyse comparée des dispositions proposées par les deux textes, s’agissant en particulier des aspects les plus complexes de la procédure de destitution. De toute façon, quatre heures n’auraient pas suffi pour épuiser un tel sujet…
Aussi la commission des lois souhaite-t-elle permettre un examen concomitant de la proposition de loi organique et du projet de loi organique. Elle propose en conséquence de ne pas établir de texte et d’adopter, à ce stade, une motion tendant au renvoi à la commission de la présente proposition de loi organique.
Bien entendu, nous attendons des engagements du Gouvernement sur ce sujet. Il ne saurait être question, monsieur Patriat, de renvoyer indéfiniment ce texte en commission. Par conséquent, si un projet de loi n’était pas déposé dans des délais raisonnables, votre proposition de loi serait reprise et examinée au fond par la commission.
Applaudissements sur les travées de l ’ UMP. – Mme Anne-Marie Escoffier et M. Pierre Fauchon applaudissent également.
Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, mesdames, messieurs les sénateurs, en clarifiant le statut pénal du chef de l’État, la loi constitutionnelle du 23 février 2007 a modifié la lettre de la Constitution, dans le respect de ses principes.
Aux termes de la norme suprême, le Président de la République veille au respect de la Constitution. Il assure le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l’État. Il est le garant de l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire et du respect des traités.
Le Président de la République est donc la clé de voûte de nos institutions ; ce principe, bien que parfois critiqué, a été admis.
L’unité nationale exige « qu’au-dessus des contingences politiques, soit établi un arbitrage national qui fasse valoir la continuité au milieu des combinaisons ». C’était la volonté du général de Gaulle. C’est l’esprit de notre Constitution, et je crois que nous y sommes finalement tous attachés.
Le principe d’irresponsabilité pénale du chef de l’État en découle directement. Il est commun, ne l’oublions jamais, à la plupart des démocraties contemporaines.
Parce que le Président de la République est le représentant de la nation, il bénéficie des immunités qui s’attachent à cette qualité.
Parce qu’il participe directement à l’exercice de la souveraineté, il doit pouvoir exercer en toute indépendance le mandat dont il est investi.
Parce que, tout en étant soumis au respect de la règle générale, il doit être soustrait aux intimidations ou aux pressions qui s’exerceraient sur lui et l’empêcheraient de remplir sa fonction, les procédures judiciaires de droit commun sont suspendues.
Mesdames, messieurs les sénateurs, l’immunité dont bénéficie le Président de la République ne saurait pour autant avoir le caractère d’un principe général et absolu. Elle est attachée à une fonction, elle n’est pas attachée à une personne. C’est pourquoi elle ne dure que le temps de son mandat. Tout délai de prescription ou de forclusion est suspendu pendant cette période. C’est pourquoi aussi la protection cesse dès lors que la fonction présidentielle elle-même est mise en péril.
Une procédure de destitution du Président de la République par la Haute Cour est donc prévue « en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat. »
La nouvelle rédaction de l’article 68 a renforcé la cohérence de notre Constitution sur ce point. M. le président de la commission des lois a rappelé qu’était retenue, auparavant, la notion de « haute trahison ». La raison en est évidente : on n’échappe jamais à son histoire, et cette rédaction faisait surtout référence à des situations de guerre, tout en mettant en lumière le caractère exceptionnel de la procédure.
La proposition de loi organique soumise à votre examen vise à préciser les conditions d’application de cette nouvelle rédaction.
Vous avez eu raison de rappeler, monsieur Patriat, que l’article 68 de la Constitution appelait le vote d’une loi organique. Mais, depuis 2007, nous avons été occupés par un travail législatif intense, qui tendait à répondre à un certain nombre de situations, non pas d’urgence, mais d’application quotidienne. Or les cas où la responsabilité du Président de la République aurait pu être mise en cause ont été tout à fait exceptionnels depuis le début de la Ve République, aucune tentative en la matière n’ayant d’ailleurs abouti. Le travail législatif a donc porté, légitimement, sur d’autres urgences et d’autres priorités.
Monsieur Patriat, j’ai le sentiment que votre démarche traduit une certaine impatience, que je peux certes comprendre. Pour autant, l’impatience ne doit pas conduire à légiférer dans la précipitation. C’est d’ailleurs presque un paradoxe puisque vous me reprochez souvent, comme à l’ensemble du Gouvernement, de légiférer trop vite, même si les textes examinés sont parfois dans le circuit parlementaire depuis de longs mois, voire de nombreuses années. Nous raisonnons là un peu à fronts renversés.
Si savoir prendre le temps de la réflexion est une exigence qui vise tous les domaines, c’est particulièrement nécessaire à l’égard de nos institutions. Sur ce sujet, dans la mesure du possible, nous devons rechercher le consensus, et vous le savez bien, mesdames, messieurs les sénateurs, quelles que soient les travées sur lesquelles vous siégiez dans cet hémicycle : en effet, ce sont fondamentalement les institutions qui nous permettent de vivre et de travailler ensemble.
Le texte aujourd'hui soumis à votre examen comporte un certain nombre de pistes intéressantes. Néanmoins, comme le président Hyest, je considère qu’il n’apporte pas de garanties suffisantes face au risque de dénaturation de l’esprit des dispositions constitutionnelles, esprit que vous me semblez partager. C'est la raison pour laquelle il est important que nous sachions travailler ensemble pour régler un certain nombre de questions soulevées, à fort juste titre, par M. Jean-Jacques Hyest. Pour ma part, sans les reprendre toutes, je veux souligner ma préoccupation quant au risque d’un double glissement relatif, d’une part, à la portée du texte et, d’autre part, à la procédure prévue par l’article 68 de la Constitution.
La présente proposition de loi organique tend à modifier la portée de la procédure de présentation du chef de l’État devant la Haute Cour, laquelle doit demeurer l’exception. C’est une exigence constitutionnelle, une nécessité institutionnelle, parce que la stabilité du fonctionnement de l’État repose largement sur celle de la fonction présidentielle. Remettre en cause cette réalité reviendrait à porter atteinte à l’ensemble de nos institutions. C’est bien la raison pour laquelle l’encadrement juridique des propositions de résolution tendant à la réunion de la Haute Cour doit tenir compte de ce caractère d’exception. Or, monsieur Patriat, les conditions de recevabilité de tels textes prévues par la présente proposition de loi organique sont encore insuffisantes.
Deux conditions sont visées à l’article 1er.
Premièrement, la proposition de résolution doit être motivée. Cette règle, indiscutable dans son principe, sera, je le pense, systématiquement respectée.
Deuxièmement, une telle proposition doit être signée par soixante députés ou soixante sénateurs. Monsieur le sénateur, vous reconnaissez vous-même que ce seuil est identique à celui qui est requis pour la saisine du Conseil constitutionnel. Or cette dernière saisine n’est pas exceptionnelle, c’est le moins que l’on puisse dire, puisque tous les projets de loi sont soumis quasiment systématiquement au Conseil constitutionnel. J’estime, quant à moi, que la gravité de la procédure tendant à la destitution du Président de la République exige que les parlementaires déposant une proposition de résolution soient plus nombreux que ceux qui peuvent intenter un recours devant le Conseil constitutionnel, faute de quoi, même si ces deux conditions sont satisfaites, le contrôle de recevabilité effectué par le Parlement dans un délai de six jours ne pourra pas jouer un rôle de filtre efficace.
Pour ma part, je considère que la procédure de l’article 68 de la Constitution ne doit pas devenir une procédure de droit commun, ne doit pas, en quelque sorte, être banalisée ; sinon, la portée du texte constitutionnel serait modifiée, et la nature du dispositif voulu par le constituant serait altérée.
En raison de son caractère exceptionnel, la mise en cause du chef de l’État devant la Haute Cour vise des cas qui doivent être eux-mêmes exceptionnels – mettons de côté la haute trahison, dont l’interprétation est difficile – et dépasser les clivages partisans.
Aujourd'hui, alors que nous étudions le fonctionnement de nos institutions, nous devons avoir à l’esprit, quelle que soit notre opinion politique, le fait que la procédure en cause ne doit pas devenir un instrument utilisé à de pures fins partisanes. Nous savons bien que l’alternance fait partie de la vie politique et que, les uns et les autres, nous pouvons être confrontés à une telle situation. Par conséquent, par-delà nos préoccupations immédiates, nous devons voir les conséquences d’une telle procédure sur le long terme.
Un recours trop facile à la procédure de destitution favoriserait le détournement des dispositions constitutionnelles. D’aucuns pourraient être tentés de la transformer en tribune contre le président de la République du moment.
Il faut prendre en compte non seulement les principes, mais également la réalité de notre vie politique, qui, malheureusement selon moi, est largement axée sur la communication. Vous voyez fort bien l’incidence que peut avoir le seul déclenchement d’une procédure sur la stabilité de nos institutions, comme sur la vie internationale, de plus en plus prégnante et présente.
Tout d’abord, la procédure pourrait présenter un risque d’incohérence avec nos principes institutionnels. Rappelons que, en vertu de la Constitution, le Président de la République n’est pas responsable devant le Parlement, contrairement au Premier ministre et au Gouvernement. Or, si la procédure en question avait pour résultat de conduire le chef de l’État à rendre des comptes aux assemblées sur la politique qu’il conduit et sur laquelle il a été élu, la cohérence de nos institutions ne serait plus assurée.
La procédure pourrait également présenter un risque de déstabilisation de l’exécutif. Si la responsabilité, que vous qualifiez de « politique », du Président de la République était mise en cause trop fréquemment, la procédure deviendrait une sorte de machine à provoquer des crises institutionnelles. C’est un véritable risque pour le fonctionnement de nos institutions, au moment où, plus que jamais, notre société a besoin de stabilité et de visibilité.
Par ailleurs, comme le démontrent certains faits qui se sont produits dans d’autres grandes démocraties, la seule mise en œuvre de la procédure produirait immédiatement un écho international qui décrédibiliserait la personne représentant notre pays au niveau international, c'est-à-dire le Président de la République. Point n’est besoin de vous rappeler ce qui s’est passé aux États-Unis à deux ou trois reprises au cours de ces dernières années : nous avons bien vu que la position d’un président susceptible d’être mis en cause, comme celle du pays qu’il représente, s’est trouvée affaiblie.
C'est la raison pour laquelle, mesdames, messieurs les sénateurs, je crois réellement que le débat sur la mise en œuvre de la procédure de l’article 68 de la Constitution nécessite que nous prenions le temps d’une véritable réflexion commune de fond sur l’équilibre de nos institutions, tout en reconnaissant que les choses ont sans doute trop tardé.
Monsieur Patriat, comme vous l’avez souligné tout à l’heure, cette démarche doit être exempte de toute polémique et doit associer tous les groupes politiques.
Le Gouvernement travaille sur ce sujet. Si je ne vous ai pas présenté aujourd'hui un texte, c’est parce qu’un certain nombre d’hésitations demeurent quant aux questions de fond soulevées par le président Hyest. Je vous propose – et je réponds en cela à la demande de M. Hyest – de reprendre notre discussion sur la base du projet de loi organique que le Gouvernement est en train d’élaborer et que je vais présenter en conseil des ministres dans le courant du premier semestre de cette année. La procédure aurait pu être plus rapide, mais l’interruption des travaux parlementaires résultant de la tenue des élections régionales bouscule quelque peu notre calendrier. Notre travail commun permettra de trouver un juste équilibre entre le respect de la Constitution et la nécessaire effectivité du mécanisme prévu à l’article 68 de ce même texte.
Mesdames, messieurs les sénateurs, telle est la raison pour laquelle le Gouvernement partage la position de M. Hyest, qui propose le renvoi à la commission de la proposition de loi organique.
Applaudissements sur les travées de l ’ UMP. – Mme Anne-Marie Escoffier applaudit également.
Monsieur le président, madame la ministre d’État, mes chers collègues, la réforme du statut pénal du chef de l’État, déclarée urgente nécessité lors de la campagne présidentielle de 2002, n’est toujours pas achevée en 2010.
La motion tendant au renvoi à la commission de la proposition de loi organique que nous examinons aujourd’hui montre, s’il en était besoin, la pertinence de l’initiative de mes collègues François Patriat et Robert Badinter – le président Hyest l’a reconnu –, …
… initiative qui a sans doute contribué à hâter les réflexions du Gouvernement.
Selon vos dires, madame la ministre d’État, le Gouvernement se prépare à présenter un projet de loi organique pour préciser la procédure de destitution du chef de l’État « en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat », aux termes de l’article 68 de la Constitution. Notre initiative a donc stimulé son ardeur.
Lorsque ce projet de loi organique sera déposé, nous pourrons alors comparer les dispositions résultant de l’initiative parlementaire et de l’initiative gouvernementale et prendre le meilleur des mesures proposées ! Mais le dépôt d’un texte gouvernemental ne suffit pas, comme nous avons pu le constater à de nombreuses reprises : en effet, nous devons parfois attendre de nombreuses années avant d’en discuter. Or nous avons l’opportunité d’examiner dès aujourd’hui la présente proposition de loi organique.
L’encombrement de l’ordre du jour parlementaire, que nous évoquons si souvent et qui n’est en rien diminué par nos nouvelles méthodes de travail, fait craindre en effet que nous ne devions attendre encore longtemps. Nous constatons cette difficulté tous les jours.
Pourtant, l’absence de loi organique paralyse la volonté du constituant : le statut pénal du chef de l’État est en suspens – je n’ose le qualifier de « bancal ». Il le protège complètement, mais cette immunité absolue n’est pas équilibrée par la mise en œuvre de la procédure de destitution. Je ne veux pas croire que cette paralysie soit volontaire.
Par ailleurs, que peuvent signifier les droits de l’opposition dès lors que toutes nos initiatives sont systématiquement écartées, comme l’est, certes de manière élégante, celle qui est soumise ce matin à la Haute Assemblée et qui a été reconnue comme étant dénuée de tout esprit polémique ? Mais rien n’empêchait le Sénat d’examiner notre proposition, de prendre position dès aujourd’hui, sans attendre toujours le feu vert du Gouvernement. Cette attitude passive contredit la notion même d’initiative parlementaire.
Mes chers collègues de la majorité, si vous voulez que le Sénat occupe une plus grande place dans le paysage institutionnel, il faut de temps en temps faire preuve d’un peu d’audace pour faire avancer ce sujet. Craindriez-vous les foudres de la plus haute autorité ? Les initiatives parlementaires à l’Assemblée nationale, notamment celles du président du groupe UMP, M. Copé, me semblent davantage prises en considération, …
… même lorsqu’elles paraissent émaner d’un cabinet d’avocats très important.
Voilà donc trois ans que le Congrès du 19 février 2007 a définitivement adopté une révision de la Constitution précisant le statut pénal du chef de l’État.
Bien sûr, nous n’avons pas voté cette révision constitutionnelle. Nous avons alors invoqué des motifs sérieux pour nous abstenir. Ces derniers se confirment aujourd’hui compte tenu d’une conception très particulière du chef de l’État de son privilège pénal, laquelle pose un problème juridique grave qui constitue une atteinte à l’État de droit.
Lors de la réforme du statut pénal, nous avions estimé que l’inviolabilité générale pour tous les actes accomplis pendant ou avant le mandat présidentiel était excessive, car elle englobait tous les événements de la vie ordinaire. Madame la ministre d’État, une telle règle ne peut être justifiée par la responsabilité du Président de la République quant à l’incarnation de l’unité nationale. Le Président est chef de l’État, certes, mais il demeure aussi un citoyen soumis au principe d’égalité devant la loi, qui fait partie de notre héritage républicain !
Nous avions estimé également que la procédure de destitution était à relier à la responsabilité politique du Président, …
… qu’elle était un acte politique et non juridique puisque le motif de la destitution n’est pas précisé.
En conséquence, seule l’Assemblée nationale pouvait selon nous mettre en jeu cette responsabilité politique, puisque le Sénat ne peut être frappé de dissolution et que ses membres ne sont pas élus au suffrage universel direct.
Enfin, nous avions fait remarquer que, même destitué, le Président de la République pouvait continuer à siéger au Conseil constitutionnel.
Malgré leur bon sens, nos propositions de suppression de cette disposition baroque n’avaient pas été retenues.
Ces trois raisons avaient motivé notre abstention.
Le texte que François Patriat vient de présenter au nom du groupe socialiste aujourd’hui au Sénat a un but modeste : il vise en effet simplement à préciser les conditions de dépôt et d’inscription à l’ordre du jour de la proposition de résolution portant réunion de la Haute Cour, d’une part, et les modalités de la procédure d’examen, de débat et de vote de la proposition de destitution, d’autre part.
Modeste, cette initiative parlementaire nous paraît cependant particulièrement opportune alors que, de notre point de vue, la pratique présidentielle depuis 2007 a substantiellement modifié l’équilibre que le constituant avait recherché avec cette réforme du statut pénal du chef de l’État.
Cette réforme voulait équilibrer immunité et destitution. Mais l’immunité était trop large, et la destitution était une arme trop facile en cas de cohabitation pour une majorité sénatoriale qui, jusqu’à ce jour, paraît immuable.
Or, cette réforme du statut pénal du chef de l’État a bien donné naissance, comme l’a indiqué à cette même tribune M. Frimat le 7 février 2007, « à des situations invraisemblables qui priveraient de manière choquante, pour une période de cinq ou dix ans, et peut-être davantage, des citoyens du droit de réclamer à la justice le respect des droits les plus élémentaires concernant leur personne ou leurs biens du simple fait que le Président serait concerné ».
Je ne souhaite pas non plus entrer dans la polémique, mais il faut tout de même aborder les questions telles qu’elles se posent, et constater – nous le voyons tous les jours, en particulier dans les colonnes de la presse – les changements de la fonction présidentielle en termes de style comme de contenu. Nous pouvons néanmoins faire de ce point un élément d’illustration de la question qui est posée.
Madame la ministre d’État, vous avez regretté la trop grande importance de la communication dans la vie publique. Mais l’hyper-présidence de M. Sarkozy est également une hyper-exposition de sa vie personnelle. Et lorsque la frontière entre la vie privée et la vie publique est aussi volontairement brouillée, les risques de dérapage s’en trouvent augmentés. C’est ce qui est arrivé.
Je veux simplement rappeler un certain nombre de faits qui dénotent cette évolution.
Le chef de l’État, qui a fait un choix concernant l’exposition de sa vie privée, a multiplié les procès : contre la publicité d’une compagnie aérienne, ce qui a permis à son épouse d’obtenir 60 000 euros de dédommagement
Protestations au banc de la commission.
Cela n’a aucun rapport avec la responsabilité politique du chef de l’État !
Multiplier les procès pour protéger sa vie privée n’est pas anodin lorsque l’on a les relations que l’on sait avec des patrons de presse, et surtout lorsque l’on dispose d’un statut juridique intouchable…
Je croyais que l’on était hors polémique, monsieur Bel !
Je ne vois pas pourquoi nous n’aborderions pas dans cette assemblée des sujets traités quotidiennement dans les chroniques, sur les ondes et à la télévision !
J’ai noté qu’un ancien Premier ministre – mais je ne veux pas épiloguer sur cette affaire –, M. de Villepin, avait constaté – je cite ses avocats – « une rupture du principe du procès équitable, le Président jouissant par sa fonction d’une immunité pendant son mandat ».
Peut-être ne fallait-il pas en parler, mais ces points ont été repris dans la presse ; ils pouvaient donc être cités aujourd’hui.
Il y a donc de toute façon un problème à régler sur ce plan, dans la mesure où le Président de la République peut attaquer en justice sans pouvoir être attaqué lui-même.
Le problème n’est pas de savoir si le chef de l’État dispose de droits dont ne bénéficie aucun autre justiciable, mais bien de remédier au déséquilibre résultant de ses initiatives procédurales. En effet, lorsque le Président de la République s’invite à un procès, ce dernier ne peut être équitable puisque l’une des parties jouit d’une immunité et d’une inviolabilité constitutionnelle et générale.
Ces privilèges doivent avoir comme contrepartie le fait que le chef de l’État s’abstient au maximum d’intervenir dans les procès qui le concernent en tant que citoyen.
Mes chers collègues, vous voyez que les réticences et les critiques que nous avions formulées lors de la discussion de la réforme constitutionnelle de 2007 étaient fondées. Cette réforme est allée trop loin sur le plan de l’immunité, ce qui se traduit par une impunité excessive.
Ce n’est pas une raison pour refuser de mettre en application l’autre volet de la révision constitutionnelle, à savoir la procédure de destitution.
La décision que va rendre le Sénat sur le sort de notre initiative parlementaire risque selon nous d’être équivalente à l’enterrement d’une loi organique pourtant voulue par le constituant en 2007 alors qu’il incombe au chef de l’État de veiller au respect de la Constitution. Aucune raison ne s’oppose à l’examen – je dis bien « l’examen » – aujourd’hui de cette initiative parlementaire qui ne fait que remédier à la carence du Gouvernement que vous avez constatée.
C’est la raison pour laquelle notre groupe s’opposera à la motion de renvoi à la commission et vous demande de débattre de cette proposition de loi organique.
Dans le cas contraire, j’aurais une proposition à faire : si cette motion devait être adoptée, et avant que la commission ne se saisisse de nouveau de ce texte, je demanderais au président du Sénat – et il serait dans son rôle – de saisir, en application de l’article 39 de la Constitution, le Conseil d’État afin que ce dernier donne un avis éclairé à notre assemblée. Il y a un précédent. Ce serait un grand pas en avant qui permettrait de clarifier des points essentiels sur un sujet sensible : c’est important pour nous, mais aussi pour l’idée que les Françaises et les Français se font de l’équité entre citoyens, et tout simplement de la démocratie dans notre République. §
Monsieur le président, madame la ministre d’État, mes chers collègues, la proposition de loi de nos collègues du groupe socialiste vient opportunément combler un espace législatif laissé vacant par le Gouvernement depuis la révision constitutionnelle du 23 février 2007. Faut-il rappeler que le régime de responsabilité du Président de la République a été modifié à cette occasion et qu’une loi organique aurait dû en fixer les nouvelles modalités d’application ? Je ne veux imputer ce vide juridique évident qu’à la complexité du dispositif à mettre en œuvre pour le combler.
Avant cette révision constitutionnelle, l’irresponsabilité du chef de l’État et l’inviolabilité en résultant ne pouvaient être renversées qu’en raison d’actes rattachables à sa fonction et relevant de la haute trahison. Une Haute Cour, qui ne s’est d’ailleurs jamais réunie, …
… constituée de magistrats professionnels et de douze parlementaires, avait pour fonction de juger le Président de la République.
À la suite d’un différend entre le Conseil constitutionnel et la Cour de cassation sur l’interprétation de la compétence de cette juridiction spéciale, la révision constitutionnelle a eu pour objet de modifier en ses articles 67 et 68 les modalités de mise en œuvre de la procédure de destitution du Président de la République.
Le nouvel article 67 reprend les principes traditionnels d’irresponsabilité et d’inviolabilité ainsi que celui de suspension de la prescription introduit en 2001.
L’article 68, quant à lui, écarte la notion de haute trahison pour lui substituer celle de « manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat », notion cependant tout aussi floue que la première.
Le Parlement dans son ensemble est désormais érigé en Haute Cour appelée à se prononcer sur la destitution du chef de l’État à la majorité des deux tiers de ses membres.
Il était donc prévu qu’une loi organique viendrait préciser la nature de l’immunité, non seulement pénale, mais aussi civile et administrative, ainsi que la notion de manquement incompatible étendue à des actes antérieurs ou détachables.
Tel est l’objet de la proposition de loi examinée aujourd’hui, qui comporte cinq articles dont je rappellerai rapidement le contenu.
L’article 1er prévoit que la proposition de résolution tendant à demander la réunion de la Haute Cour doit être signée par soixante députés ou sénateurs qui l’auront motivée.
L’article 2 fixe les délais requis pour apprécier la recevabilité de la proposition de résolution et pour l’examiner. Il prévoit en outre que son adoption doit être approuvée à la majorité des deux tiers des membres de chacune des assemblées.
L’article 3 fixe la composition et les pouvoirs du bureau de la Haute Cour présidée par le président de l’Assemblée nationale.
L’article 4 fixe la composition et les pouvoirs d’une commission qui, comme le ferait une commission d’enquête, autorise le Président de la République à être entendu.
Enfin, l’article 5 arrête les modalités d’exercice des pouvoirs de la Haute Cour : publicité des débats, prises de parole, modalités de vote, majorité qualifiée, effet immédiat de la décision.
Cette proposition a très largement pris appui sur le rapport de la commission Pierre Avril remis le 12 décembre 2002 au Président de la République, lequel avait souhaité qu’une réflexion soit menée sur le statut pénal du chef de l’État.
Si nous tous ici présents ne pouvons que regretter que le Gouvernement n’ait pas pris l’initiative de déposer un projet de loi organique dans des délais convenables, le groupe du RDSE veut saluer la proposition qui a été faite, quand bien même ce texte reste d’une ambition limitée ; la rédaction des articles 67 et 68 laisse en effet peu de marge de manœuvre au final.
Néanmoins, cette proposition ouvre des voies de discussion, en particulier s’agissant du nombre des signataires de la proposition de résolution, ici fixé à soixante. Sous le régime de l’ancien article 67, ce nombre devait correspondre au dixième des membres de l’assemblée concernée. La commission Avril avait quant à elle suggéré qu’un parlementaire ne puisse être signataire que d’une seule proposition de destitution durant un même mandat présidentiel.
Parmi les autres objets de discussion, citons encore les délais d’inscription à l’ordre du jour, la possibilité d’introduire le principe de la navette entre les deux assemblées dans le cas où le texte n’aurait pas été adopté dans les mêmes termes dans les deux chambres, les critères de recevabilité pris en compte hormis ceux qui ont trait à la motivation et au nombre de signataires, enfin l’application des principes généraux du droit à un procès équitable, même si l’on ne se situe pas dans un cas relevant strictement du cadre juridictionnel.
Les discussions qui pourraient naître de ces interrogations montrent suffisamment l’intérêt d’un débat approfondi et ouvert.
En même temps, aiguillonné par cette proposition de loi, le Gouvernement se dit prêt à soumettre très vite – vous avez parlé du premier semestre de cette année, madame la ministre d’État – un projet de loi organique. Il est nécessaire que ce délai soit arrêté et respecté.
M. le rapporteur a, quant à lui, déposé une demande de renvoi à la commission, pour que ces deux textes soient examinés ensemble.
Je le répète, le groupe RDSE, auquel j’appartiens, salue l’initiative prise par nos collègues du groupe socialiste et souligne le bien-fondé de leur proposition de loi organique, car l’absence de texte organique, en empêchant toute procédure de destitution du Président de la République, contredit l’intention même du constituant.
Toutefois, le groupe RDSE, attaché au respect absolu des principes qui fondent l’esprit même de la République et de la Constitution, souhaite s’abstenir sur cette proposition de loi organique et sur la motion présentée par M. le rapporteur, qui est aussi le président de la commission des lois.
Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, avec notre débat d’aujourd’hui, nous reprenons, ou du moins nous pourrions le faire, la discussion engagée ici même, le 7 février 2007, sur une question particulièrement importante et sensible politiquement, à savoir la responsabilité pénale du chef de l’État. Ce débat avait abouti à l’adoption de la loi constitutionnelle du 23 février 2007, modifiant l’article 68 de la Constitution.
Curieusement, une disposition clef de cette réforme, c'est-à-dire la procédure de destitution du Président de la République prévue par l’article 68 « en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat », est inopérante : aucun projet de loi organique permettant la mise en œuvre de cette procédure par le Parlement n’a été présenté par le Gouvernement, ni donc, bien sûr, voté par le Parlement.
Avant de rappeler les raisons qui, il y a trois ans, justifiaient notre opposition au projet de révision constitutionnelle, je souhaite indiquer que l’absence de volonté du Gouvernement de donner au Parlement un droit de regard, et même de contrôle, sur le comportement pénal du chef de l’État constitue tout un symbole…
En effet, le renforcement du régime présidentiel organisé par le chef de l’État, qui trouve sa concrétisation dans la révision constitutionnelle de juillet 2008 et dans l’attitude du Président de la République au quotidien, ne s’accorde guère avec l’instauration d’une forme d’« impeachment à la française ».
L’idée même d’une convocation par un Parlement constitué en Haute Cour ne plaît guère, à mon avis, à celui qui a obligé les députés et sénateurs, réunis en Congrès selon son bon vouloir, à l’écouter sans aucune contrepartie.
D'ailleurs, il faut toujours le souligner, le chef de l’État, outre ses fonctions étendues de Président de la République, exerce celles de chef du Gouvernement, de dirigeant de la majorité parlementaire et de leader du parti dominant de la majorité. À ses prérogatives s’ajoutent d’importants pouvoirs de nomination dans les médias et la justice !
Chacun le sait ici, la présidence actuelle a modifié l’équilibre institutionnel, et elle continue chaque jour de le faire, pour favoriser, plutôt que l’émergence d’un système présidentiel, car celui-ci exigerait des contre-pouvoirs, celle d’un pouvoir personnel de type néo-bonapartiste.
Le débat de 2007 apparaît donc à la fois bien proche et bien lointain. En effet, comment ne pas nous rendre compte que nous sommes en train de changer de régime ?
Il est légitime de vouloir prendre les dispositions législatives nécessaires à l’application de l’article 68, et nous ne nous opposerions pas à cette proposition de loi de nos collègues du groupe socialiste si la majorité, protectrice du pouvoir exécutif, n’occultait pas le débat, en proposant une motion pour renvoyer ce texte en commission sine die.
Bien sûr que si !
Autrement dit, la majorité fait en sorte que l’initiative parlementaire ne s’applique pas dans certains domaines. En effet, ce débat pourrait avoir lieu s’il existait une égalité entre l’initiative législative du Parlement et celle du Gouvernement, ce qui n’est pas le cas.
Toutefois, nous estimons, quant à nous, que l’heure viendra où le Parlement devra se saisir de son propre devenir, s’interroger sur son rôle et sa place dans l’architecture institutionnelle de notre pays, proposer et faire adopter des dispositions de rééquilibrage entre les pouvoirs exécutif et législatif.
Voilà pour le contexte.
Sur le fond, nous avions exposé en 2007 notre position quant au statut actuel du Président de la République.
Il n’est pas contestable, pour nous, que la fonction du chef de l’État doit être protégée, mais nous considérons que, en dehors des actes commis par ce dernier dans le cadre de sa charge, et à tout moment, un seul principe doit prévaloir, celui qui fait du Président de la République un citoyen comme les autres. À ce titre, le chef de l’État doit être redevable de ses actes devant les tribunaux de droit commun, y compris au cours de son mandat.
Nous n’adoptions pas à l’époque une attitude provocatrice, puisque nous rejoignions une tradition forte de la doctrine constitutionnelle française, symbolisée par l’éminent professeur Léon Duguit. Celui-ci, évoquant en 1924 l’article 6 de la loi constitutionnelle du 25 février 1875, indiquait ceci : « Le président n’est responsable que dans le cas de haute trahison. On s’est demandé quelquefois si cette formule excluait la responsabilité du président pour les infractions de droit commun. Évidemment, non. Dans un pays de démocratie et d’égalité comme le nôtre, il n’y a pas un citoyen, quel qu’il soit, qui puisse être soustrait à l’application de la loi et échapper à la responsabilité pénale. » Mes chers collègues, c’était le régime applicable en 1875... Depuis lors, nous avons en quelque sorte avancé à reculons !
Jean Foyer, ancien garde des sceaux, l’un des pères de l’article de la Constitution dont nous discutons, rappelait, en s’opposant au Conseil constitutionnel, que le Président de la République devrait être considéré sur le plan pénal comme un simple citoyen, en dehors de l’exercice de ses fonctions bien entendu.
Ainsi, responsabilité et inviolabilité sont-elles aujourd’hui organisées : le Président de la République est irresponsable ad vitam aeternam des actes commis dans le cadre de ses fonctions, et, pour les autres, il faudra attendre la fin de son mandat !
Or, nous le savons tous, une instruction engagée cinq ans ou plus probablement dix ans après les faits reprochés perd fortement de ses moyens et de son efficacité.
En 2007, nous avions défendu une position claire, qui reprenait une idée portée par l’Assemblée nationale en 2001 : les tribunaux communs doivent être compétents pour les actes commis par le Président de la République en tant que citoyen ordinaire et pendant l’exercice de son mandat, qu’il s’agisse d’un divorce, d’un accident de la circulation, ou pire.
Cette voie préservait le principe de la séparation des pouvoirs, ainsi que celui, qui ne souffre aucune exception, de l’égalité des citoyens devant la loi. Une telle modification de la Constitution se révélerait d’autant plus opportune que, je le répète, le Président de la République actuel multiplie les procédures judiciaires, y compris contre des insultes proférées à son égard, alors que la réciproque n’est pas possible ; pourtant, chacun a en tête certaines occasions qui auraient pu permettre à un simple citoyen de saisir la justice contre lui.
La cour d’appel de Versailles vient d’affirmer que le chef de l’État était une victime comme une autre, et donc qu’il avait droit à des réparations en toutes circonstances. En l’occurrence, il devrait être aussi un justiciable comme un autre, pour les affaires de droit commun.
En conclusion, comment ne pas évoquer une certaine frustration devant les limites du débat ouvert aujourd’hui ? D'ailleurs, c’est la fonction présidentielle dans son ensemble qui, selon moi, doit être revue, mais ceci est une autre histoire...
Nous voterons donc contre la motion tendant au renvoi de ce texte à la commission, car le débat doit et peut avoir lieu. Néanmoins, si la procédure avait suivi son cours, nous nous serions sans doute abstenus sur la proposition de loi de nos collègues.
Monsieur le président, madame le ministre d’État, mes chers collègues, la discussion que nous engageons aujourd’hui sur la proposition de loi organique, présentée par le groupe socialiste et portant application de l’article 68 de la Constitution, nous confronte à deux types de problèmes, tant sur la forme que sur le fond.
En premier lieu, cette proposition de loi, loin de n’aborder que des questions de mécanismes procéduraux, aurait, si elle était adoptée, une réelle incidence sur la stabilité institutionnelle de notre pays. Or, cette dernière doit faire l’objet d’une réflexion à laquelle nous souhaitons que le Gouvernement soit associé.
En effet, nous ne saurions mettre à l’écart le Gouvernement dans un domaine qui implique l’équilibre de nos institutions et qui intéresse tout autant le Parlement que le pouvoir exécutif.
En second lieu, nous soutenons la position de M. le rapporteur, qui a mis en relief de nombreuses lacunes dans cette proposition de loi. Sur chacun des articles se pose un problème majeur. Pour ma part, j’en relèverai cinq qui ont retenu particulièrement notre attention.
Premièrement, aux termes de l’article 1er du présent texte, pour être recevable une proposition de résolution tendant à réunir la Haute Cour doit être déposée par soixante députés ou sénateurs et être motivée.
Or nous estimons que les auteurs de ce texte ne sont pas allés assez loin pour garantir qu’il ne soit fait aucun usage abusif des propositions de résolution. Tant la commission Avril que le professeur Guy Carcassonne ont suggéré une troisième condition de recevabilité, dont les modalités devraient, selon nous, faire l’objet d’une réflexion approfondie.
Deuxièmement, ce texte prévoit, en son article 2, que le rejet éventuel de la proposition de résolution par l’une des deux assemblées mettrait un terme à l’initiative. Là encore, nous estimons que doit être étudiée la possibilité de mettre en place une navette entre les deux chambres, dans le cas où la motion tendant à réunir la Haute Cour n’aurait pas été adoptée dans les mêmes termes.
Troisièmement, les dispositions de la présente proposition soulèvent deux interrogations essentielles sur l’article 3, quant à la composition du Bureau de la Haute Cour, d’une part, et à la forme de ses prises de décision, d’autre part.
Tout d’abord, les auteurs de cette proposition de loi ayant choisi de réunir les Bureaux des deux assemblées pour composer le bureau de la Haute Cour, ce dernier serait constitué de quarante-huit personnes ! Un tel effectif nous paraît bien trop important au regard du rôle que l’on entend confier à cette instance.
De plus, les auteurs de cette proposition de loi ne nous semblent pas avoir suffisamment approfondi leur réflexion sur le processus de prise de décision du bureau. En effet, ils ne tranchent pas le problème de la forme que devraient revêtir lesdites décisions : doivent-elles être prises au cas par cas ou faire l’objet d’un règlement ?
Ici encore, nous soutenons la position de notre rapporteur, visant à permettre que cette question essentielle des règles applicables devant la Haute Cour soit débattue dans le cadre de la commission.
Par ailleurs, en ce qui concerne la mise en place de la commission ad hoc prévue en son article 4, la proposition de loi présente une réelle lacune. Alors que les vice-présidents des deux assemblées doivent concourir à la composition de cette commission, la présente proposition n’a pas prévu que leur nombre serait inégal. Or le Sénat compte huit vice-présidents, contre six pour l’Assemblée nationale.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Ce serait bien ! Pour une fois, les sénateurs seraient aussi nombreux que les députés !
Sourires
Enfin, au sujet de l’organisation des débats devant la commission ad hoc, l’intervention d’un représentant du chef de l’État n’a pas été envisagée.
Surtout, la notion de « conseil », employée à l’article 5 pour la représentation du Président de la République devant la Haute Cour ne nous paraît pas pertinente, au vu de sa proximité avec celle d’avocat. Nous préférons la neutralité du terme « représentant », qui ne comporte aucune connotation judiciaire sous-jacente.
Pour conclure, le groupe UMP soutient la position de M. le rapporteur, qui propose un renvoi à la commission, dans l’attente de la présentation d’un projet de loi organique. Je tiens d'ailleurs à souligner que nous attendons ce texte depuis plus d’un an, et que nous regrettons cette situation.
Madame le garde des sceaux, vous nous avez annoncé que ce projet de loi serait présenté au cours du second semestre de 2010, ce qui est positif, mais vous comprendrez aisément qu’une discussion de ce texte au cours du premier semestre aurait bien davantage répondu à notre légitime impatience !
Pour conclure, compte tenu des lacunes juridiques que j’ai relevées et de notre volonté d’associer le Gouvernement à cette réflexion majeure pour nos institutions, le groupe UMP votera en faveur de la motion de renvoi à la commission.
Applaudissements sur les travées de l ’ UMP et de l ’ Union centriste.
Monsieur le président, madame la ministre d’État, mes chers collègues, je regrette d’avoir à constater le caractère quelque peu théorique des exposés de la commission et du Gouvernement, ...
... alors que l’actualité récente jette une lumière crue sur le statut constitutionnel du chef de l’État.
Ainsi, un ancien Président de la République est renvoyé en correctionnelle pour abus de confiance et détournement de fonds publics. Ce n’est pas rien ! Rompant avec la tradition en vigueur depuis l’instauration de la Ve République, un Président de la République en exercice se constitue partie civile tous azimuts : ...
... contre la compagnie aérienne Ryanair, qui a utilisé une photo le montrant avec l’une de ses compagnes – elle n’était pas encore son épouse, personne ne savait d’ailleurs alors qu’elle le deviendrait –, contre un fabricant de tee-shirts, contre l’ancien directeur des renseignements généraux, contre le rédacteur en chef du Nouvel Observateur, etc. Et jusqu’à une affaire dont les dimensions politiques sont évidentes.
Contrairement à ce qu’a affirmé Jean-Pierre Bel, le chef de l’État ne porte pas plainte.
Il se constitue partie civile. Ce faisant, il intente une action civile concurremment avec le parquet, sur lequel, par votre entremise, madame le garde des sceaux, il a des pouvoirs. Il s’agit là d’un déséquilibre majeur et inquiétant.
Il est vrai que cette question est complexe et que la révision constitutionnelle a eu lieu dans un contexte passionnel qui n’a pas permis d’apporter les clarifications nécessaires. Je le dis comme je le pense : cette révision constitutionnelle est très mauvaise, à tous points de vue.
Depuis l’adoption de ce texte, le Président de la République n’est plus un justiciable comme un autre : le statut dont il bénéficie est totalement déséquilibré. Or, la procédure dite « de destitution » ou impeachment qui devait rééquilibrer l’inviolabilité totale du chef de l’État n’est toujours pas applicable, faute d’initiative gouvernementale. Madame la ministre d’État, vous n’en êtes pas responsable : vous n’occupez les fonctions de garde des sceaux que depuis quelques mois et cela fait trois ans que cette réforme aurait dû avoir lieu.
L’actualité récente a révélé une rupture d’égalité des armes et du procès équitable que garantit la Convention européenne des droits de l’homme. Le statut actuel du Président de la République est en contradiction totale avec ce texte, j’y reviendrai tout à l’heure. Elle a également montré une rupture de l’unité de temps judiciaire. Peut-on en effet prétendre qu’une procédure qui concerne des faits vieux de plus de vingt ans se déroule « dans un délai raisonnable » ? Non, même s’il est impossible de se prévaloir de sa propre turpitude et même si c’est parce que l’intéressé lui-même s’était à l’époque opposé à toute convocation par le juge d’instruction.
Monsieur le rapporteur, j’étais d'ailleurs l’un des parlementaires signataires que vous avez tout à l’heure stigmatisés, et je m’en flatte.
En effet, s’il venait à être condamné, l’ancien Président de la République serait inéligible pour cinq ans, par l’effet de l'article L. 7 du code électoral, mais il pourrait continuer à siéger au Conseil constitutionnel et serait donc juge de l’élection des parlementaires !
Pour cette raison mais aussi pour celles qu’a, à juste titre, soulevées Jean-Pierre Bel, une réforme s’impose : les anciens présidents de la République ne doivent plus pouvoir siéger au Conseil constitutionnel.
Tout s’y oppose.
L’unité d’action judiciaire est également remise en cause. En effet, si le Président de la République peut utiliser ses prérogatives constitutionnelles, ce que personne ne conteste, il peut également utiliser les droits réservés à tout justiciable. Est-ce légitime ? La question se pose. La cour d’appel de Versailles, qui a pourtant jugé que le Président de la République pouvait être partie civile, reconnaît que cela aboutit à une rupture d’égalité des armes dans les procédures.
Le Président de la République actuel a plusieurs fois usé de son droit à saisir la justice. À chaque fois, il est partie à un procès dans lequel il a nommé des magistrats – certes, en conseil des ministres et après avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature – et dans lequel il a, comme le souligne la juridiction versaillaise, une proximité avec le chef du parquet. Tout cela ne manque pas d’être troublant.
D’ailleurs, dans le cadre de la contestation du décret du 31 octobre 2008 par M. Dominique de Villepin, le rapporteur public du Conseil d’État, Mme de Silva, est convenu qu’il y avait une rupture structurelle dans le statut de l’égalité des parties et qu’un procès pénal ne pouvait totalement se dérouler alors que l’une des parties civiles disposait d’une immunité radicale. Par ailleurs, en cas de relaxe ou de non-lieu, l'article 67 de la Constitution empêchera le Président de la République d’être poursuivi pour dénonciation calomnieuse, ce qui se produit pourtant toujours dans ces cas-là.
Là encore, cette situation soulève une difficulté grave et révèle que le statut du chef de l’État introduit un déséquilibre grave.
Si elle est relaxée, la partie qui a été attraite a le droit d’attaquer devant la juridiction pour dénonciation calomnieuse celui qui est à l’origine de la procédure. Or ce droit ne peut être exercé contre le Président de la République, alors qu’il a usé du droit reconnu à tout citoyen de déférer quiconque devant le tribunal correctionnel.
À l’évidence, depuis la révision constitutionnelle de 2007, le Président de la République n’est pas un citoyen comme les autres devant la justice. J’en veux pour preuve la contestation juridique qu’a entraînée son divorce. Pouvait-il divorcer ? Au regard tant de la Convention européenne des droits de l’homme que des droits individuels, la réponse est incontestablement oui. Comment interdire à quelqu’un de divorcer ? Comment l’en empêcher ?
En revanche, le Président de la République ne peut agir devant aucune juridiction. Or, en cas de divorce, même par consentement mutuel, le juge doit vérifier la réalité des consentements. L’a-t-il fait ? Où ? Comment ? Dans quel cadre ? Toujours est-il que le Président de la République a pu divorcer. C’est heureux pour lui, pour le citoyen qu’il est, pour sa nouvelle épouse et peut-être plus encore pour sa précédente femme.
Sourires
La rédaction de l’article 67 de la Constitution qui a pour objet de fixer le statut pénal du chef de l’État est beaucoup trop large et pose de nombreux problèmes. Par conséquent, sa révision s’impose. C’est d’ailleurs ce que la cour d’appel de Versailles, dans l’arrêt qu’elle a rendu voilà quelques jours, souligne expressément. L’organisation judiciaire française et la Convention européenne des droits de l’homme se révélant incompatibles, seule une réforme de la Constitution serait en mesure de résoudre cette contradiction.
Madame le garde des sceaux, je connais votre longue pratique des institutions de la République en tant que parlementaire comme en qualité de ministre : je ne doute pas que votre réflexion sur cette question sera beaucoup plus large que celle que le groupe socialiste propose aujourd'hui avec ce texte. Je sais que, en raison des fonctions éminentes de gardienne des lois constitutionnelles et de leur bonne application que vous exercez, vous aurez à cœur de résoudre ces contradictions dans l’intérêt du bon fonctionnement des institutions, notamment de l’institution judiciaire, et dans l’intérêt du Président de la République lui-même, qu’il s’agisse du chef de l’État actuel ou de ceux qui lui succéderont. Aujourd'hui, en effet, il se trouve dans une situation tout à fait contestable au regard de l’égalité des droits devant le procès public, je n’y insiste pas.
Monsieur le rapporteur, la commission des lois n’a pas commencé par le commencement, c’est-à-dire par les dispositions bien modestes que contient cette proposition de loi organique. Rendons applicable cette procédure de destitution qui est un peu le complément et le contrepoint de l’immunité totale dont bénéficie le Président de la République.
Quelle prudence, quelle crainte révérencielle vous ont enveloppés, mes chers collègues ? Je dois avouer que vous m’avez surpris, monsieur le rapporteur : la motion tendant au renvoi à la commission que vous avez déposée est une mascarade.
La commission a discuté assez longuement de cette proposition de loi organique : vous avez présenté des arguments sérieux et formulé des propositions qui auraient permis d’amender judicieusement le texte. Pourquoi ne l’avez-vous pas fait ?
Mme le garde des sceaux affirme qu’une vaste réflexion a lieu dans son ministère : elle aussi aurait pu déposer des amendements au nom du Gouvernement, que ce soit en commission ou en séance publique. Une telle initiative aurait permis d’aboutir à l’adoption d’un texte qui aurait ensuite été examiné par l'Assemblée nationale, et vous auriez d’ailleurs pu à tout moment interrompre le processus législatif. Vous avez préféré l’arrêter d’emblée.
Tout cela n’est pas satisfaisant. Par vos atermoiements, vous aggravez encore la situation, alors que nous aurions pu, aujourd'hui, la clarifier au moins sur un point. Cela aurait été le mérite du Sénat.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…
La discussion générale est close.
La parole est à Mme la ministre d'État.
Monsieur le président, je répondrai rapidement aux remarques formulées par les différents intervenants.
Monsieur Bel, vous vous êtes étonné de la lenteur du processus. Alors que la modification constitutionnelle avait été déclarée urgente en 2002, vous avez souligné que rien n’avait changé en 2010. Pourtant, un certain nombre de propositions ont été formulées et un projet de loi a même été élaboré par Pascal Clément, lorsqu’il exerçait les fonctions de garde des sceaux. Les différentes échéances électorales et les changements de gouvernements n’ont pas permis d’aller au bout du processus.
Certes, nous pouvons regretter de nous trouver encore dans la situation de 1958, mais je ferai remarquer que le groupe socialiste a exercé des responsabilités pendant une quinzaine d’années et qu’il aurait eu tout le temps de prendre des initiatives en la matière.
La démonstration à laquelle vous vous êtes livré, monsieur Bel, témoigne d’une faiblesse que j’ai déjà relevée dans les interventions de vos collègues socialistes, c'est-à-dire la confusion entre la responsabilité judiciaire du Président de la République ou sa non-responsabilité et ce que l'article 68 de la Constitution tend à instaurer.
Les exemples concrets de mise en jeu de la responsabilité du Président de la République qui ont été évoqués...
... montrent bien que le risque d’une instrumentalisation politicienne de la procédure à des fins qui seraient contraires à l’objectif visé est grand.
C’est ce que nous devons éviter, car c’est du fonctionnement de nos institutions et de la garantie de stabilité de nos institutions qu’il est question. Il nous faut faire très attention.
Le fait qu’un Président de la République décide d’aller non pas contre l’esprit d’un texte mais contre la tradition de ne pas saisir un tribunal suffirait-il à déclencher cette procédure ?
Il faudra veiller à ce que cette procédure conserve bien le caractère exceptionnel qu’elle doit avoir, car les conséquences, tant internes qu’externes, sont trop graves pour notre pays.
Mme Escoffier a souligné que le groupe RDSE s’abstiendrait, car il souhaite que la question soit approfondie et qu’un travail en commun ait lieu pour que soient mises en place des structures et une procédure qui soit le plus à même de répondre aux cas de responsabilité graves mais qui ne soit limitée qu’à eux seuls. Je la remercie donc de son engagement et de sa volonté de trouver un texte commun qui soit le meilleur possible.
Mme Borvo Cohen-Seat a évoqué plusieurs éléments. Certains correspondent sans doute à ses convictions profondes mais contredisent exactement sa démonstration.
Mme la sénatrice, vous parlez d’un pouvoir absolu du Président de la République mais, depuis la modification constitutionnelle, jamais les assemblées n’ont eu autant de pouvoirs. Ainsi, pour la première fois de toute notre histoire institutionnelle, il est désormais prévu dans la Constitution – et cette disposition va très prochainement entrer en application– que les nominations les plus importantes seront soumises préalablement à un avis des commissions de l’Assemblée nationale et du Sénat. C’est une avancée considérable qui va exactement à rebours de vos affirmations.
Vous évoquez également, madame Borvo Cohen-Seat, l’irresponsabilité pénale du Président de la République pendant son mandat. Comme je l’ai dit au début de mon intervention, c’est un principe que l’on retrouve dans toutes les grandes démocraties. Par ailleurs, cette irresponsabilité se limite à protéger la fonction du Président de la République et non sa personne. Lorsque la fonction prend fin, le Président de la République peut donc être poursuivi.
Nous discutons d’une proposition de loi portant application de l’article 68 de la Constitution. Or, madame Borvo Cohen-Seat, vous avez essentiellement évoqué, dans votre démonstration, l’article 67. Vous étiez donc hors sujet !
Mme Troendle nous a fait part de cinq réflexions sur cette proposition de loi, auxquelles je souscris totalement. Cependant, madame Troendle, il ne s’agit en aucun cas d’adopter une procédure dilatoire. Comme je l’ai précisé, je compte proposer un projet de loi organique d’application de l’article 68 non pas au cours du second semestre mais au cours du deuxième trimestre de 2010, l’ordre du jour du premier trimestre étant déjà bien chargé, sans parler de la coupure des élections régionales.
Monsieur Michel, vous avez – et je vous remercie de votre courtoisie – souligné qu’il y avait inégalité entre le citoyen et le Président de la République au motif que, lorsque celui-ci se porte partie civile, il a tous les moyens de déclencher l’action publique. Mais toute plainte avec constitution de partie civile, formulée par n’importe quel citoyen, déclenche l’action publique. Le Président de la République, contrairement à ce que vous affirmez, est considéré comme un citoyen comme les autres : tout citoyen a autant de pouvoirs que le Président de la République en la matière.
Protestations sur les travées du groupe socialiste.
Par ailleurs, tous les exemples que vous avez cités, monsieur Michel, outre qu’ils relèvent davantage du champ de l’article 67, notamment du risque pénal, font apparaître un risque d’instrumentalisation à des fins politiciennes de l’article 68 et montrent la nécessité de prévoir des barrages juridiques pour le déclenchement de cette procédure.
Tous vos arguments portent essentiellement contre l’article 67 de la Constitution et non contre l’article 68. Cela démontre que le débat sur la proposition de loi organique portant application de l’article 68 n’est pas mûr, même dans les rangs de l’opposition.
En conséquence, un renvoi de ce texte à la commission me paraît judicieux, car il nous permettrait de continuer à échanger nos arguments afin d’aboutir à un texte conforme à la volonté du constituant et raisonnable pour nos institutions. Je remercie M. le rapporteur d’avoir exprimé cette demande au nom de la commission des lois.
Applaudissements sur les travées de l ’ UMP et de l ’ Union centriste.
Je suis saisi, par M. Hyest, au nom de la commission, d'une motion n° 1.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 5, du règlement, le Sénat décide qu'il y a lieu de renvoyer à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale, la proposition de loi organique portant application de l'article 68 de la Constitution (n° 69, 2009-2010).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
Aucune explication de vote n’est admise.
La parole est à M. le rapporteur.
En conclusion de mon intervention dans la discussion générale, j’ai insisté sur la complexité des problèmes non résolus par ce texte, ce qui justifie la demande de renvoi à la commission.
En conséquence, cette motion ayant été largement défendue, je n’y insisterai pas davantage.
Le groupe socialiste votera contre la motion tendant au renvoi à la commission, pour les raisons que j’ai exprimées tout à l’heure.
Madame la ministre d’État, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés, je vous précise, avec courtoisie, comme toujours – il n’y a pas lieu de s’insulter – que les articles 67 et 68 sont intimement liés.
D’ailleurs, l’article sur l’impeachment a été introduit pour contrebalancer l’inviolabilité totale du Président de la République devant toutes les juridictions.
Par ailleurs, madame la ministre d’État, vous déclarez que le Président de la République agit devant les juridictions comme tout citoyen, en se constituant partie civile. Je suis d’accord avec vous. Mais là où vous n’avez pas très bien compris mes propos – peut-être me suis-je mal exprimé –, c’est quand je souligne que, dans cette situation, le Président de la République a un double pouvoir.
D’une part, il a le pouvoir de tout citoyen de se constituer partie civile, c’est-à-dire de mettre en mouvement l’action publique et non pas seulement de déposer plainte. D’autre part, il a le pouvoir du Président de la République, supérieur hiérarchique du parquet, par votre entremise. Il peut donc vous demander – et vous l’accepterez vraisemblablement – de faire enclencher l’action publique par un magistrat du parquet.
Mme la ministre d’État fait un signe de dénégation.
Tel est bien le statut du parquet. Nous en reparlerons ultérieurement, à l’occasion de la réforme de la procédure pénale. Lorsque le garde des sceaux donne l’ordre au parquet de poursuivre, il n’y a aucune discussion : le parquet doit poursuivre ! Permettez-moi de rappeler que, dans l’affaire qui a eu lieu il y a quelques années, le garde des sceaux, malheureusement, avait demandé au parquet de ne pas poursuivre alors que des infractions étaient déclarées.
Le Président de la République dispose de deux voies pour mettre en mouvement l’action publique, celle du citoyen ordinaire et celle du Président de la République.
Il aurait été opportun, aujourd’hui, de discuter sérieusement de cette proposition de loi.
Nous sommes d’accord avec vous, madame la ministre d’État : il ne s’agit pas de faire dériver ces débats vers des finalités politiciennes. Cela n’a aucun sens ! Il s’agit de respecter l’équilibre délicat des pouvoirs et l’intégralité des pouvoirs du Président de la République tels que vous les avez énumérés au début de votre première intervention, et qui sont inscrits dans la Constitution.
De tout cela nous sommes, comme vous, les garants, car, comme vous, nous croyons aux institutions, en espérant qu’un jour l’un des nôtres en sera le garant, comme cela a déjà été le cas durant quatorze ans. Ce point ne fait pas discussion.
En revanche, vous déclarez, madame la ministre d’État, qu’un délai est encore nécessaire. Près de trois ans après la révision constitutionnelle, permettez-moi d’en douter ! Nous savons que des études ont déjà été réalisées au sein de votre ministère en vue de l’élaboration d’une loi organique et qu’il existerait même un projet préparé par l’un de vos prédécesseurs. Il est tout à fait normal, dans le cadre d’une révision constitutionnelle, que les services compétents soient mobilisés afin de préparer les diverses lois organiques qui doivent en permettre l’application.
C’est ce que fait le Gouvernement aujourd’hui pour la dernière révision. La commission des lois est saisie de textes de loi organique qui se succèdent dans un ordre qui n’est peut-être pas celui que l’opposition aurait souhaité, mais, quoi qu’il en soit, le Parlement est saisi.
Le facteur temps n’est donc pas en cause aujourd’hui. Vous ne pouvez pas dire qu’il nous faut encore réfléchir. Mais, paraît-il, le Président de la République craint toujours qu’on ne l’aime pas, qu’on lui en veuille, et sans doute redoute-t-il d’être attaqué personnellement à l’occasion de l’examen de cette proposition de loi ! Ce n’est absolument pas le cas, sa personne n’est pas en cause, elle n’est rien au regard de sa fonction constitutionnelle qui, seule, compte aujourd’hui.
Pour toutes ces raisons, madame la ministre d’État, nous voterons contre cette motion tendant au renvoi à la commission, dont nous regrettons profondément le dépôt.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.
Je mets aux voix la motion n° 1, tendant au renvoi à la commission.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant de la commission.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin a lieu.
Il est procédé au comptage des votes.
Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 121 :
Le Sénat a adopté.
En conséquence, le renvoi à la commission est ordonné.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
La séance, suspendue à dix heures quarante-cinq, est reprise à dix heures cinquante.
L’ordre du jour appelle la discussion de la question orale avec débat n° 53 de M. Jean-Louis Carrère à M. le ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales sur l’application de la loi n° 2009-971 du 3 août 2009 relative à la gendarmerie nationale.
Cette question est ainsi libellée :
« M. Jean-Louis Carrère attire l’attention de M. le ministre de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales sur l’application de la loi n° 2009-971 du 3 août 2009 relative à la gendarmerie nationale.
« Les craintes alors exprimées concernant les conséquences du rattachement de la gendarmerie au ministère de l’intérieur sont hélas en voie de confirmation. La mutualisation des moyens entre la police et la gendarmerie, les synergies induites par le rattachement en matière de matériels et de formation mènent de manière rampante vers une fusion des forces, vers la force unique hors statut militaire.
« La gendarmerie perdra 1 300 emplois en 2010 par l’application brutale de la révision générale des politiques publiques. Cette évolution, faite de réductions d’effectifs et de menaces de fermeture de brigades, est dangereuse pour le maillage du territoire et néfaste pour la présence de la gendarmerie auprès des populations rurales. Il apparaît que ce processus de rattachement et ses déclinaisons budgétaires conduisent progressivement au démantèlement du service public de la sécurité.
« Il s’interroge sur la volonté du Gouvernement de maintenir et consolider le statut militaire de la gendarmerie. Il s’interroge sur la détermination du Gouvernement d’avoir une force de sécurité à statut militaire et une force de sécurité à statut civil et de laisser à l’autorité judiciaire le libre choix entre les deux services. Il est nécessaire de faire un bilan d’étape et une première évaluation des conséquences du rattachement de la gendarmerie au ministère de l’intérieur.
« Il souhaite que la présente question orale avec débat permette de débattre des méthodes et des objectifs de la politique du Gouvernement à l’égard de la gendarmerie. »
La parole est à Mme Virginie Klès, en remplacement de M. Jean-Louis Carrère, auteur de la question.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, il était initialement prévu que la question qui nous occupe ce matin soit mise à l’ordre du jour et débattue en février prochain. C’est la raison pour laquelle j’ai l’honneur et le plaisir de poser en lieu et place de notre éminent collègue Jean-Louis Carrère, retenu en province, ce dont il vous prie de bien vouloir l’excuser, cette question sur la sécurité et la gendarmerie nationale, qui traite de sujets qui m’intéressent tout particulièrement.
À l’heure actuelle, la sécurité est de tous les débats, on en entend parler tous les jours, et sans doute la proximité de prochaines échéances électorales n’y est-elle pas étrangère. En tout cas, quelques mois après le rattachement effectif de la gendarmerie nationale au ministère de l’intérieur, imposé par le Président de la République malgré de nombreux avis contraires exprimés au sein même de la majorité, je m’interroge, et d’autres avec moi, sur l’opportunité d’une telle décision.
Malgré sa volonté, affichée de manière ostensible, de conserver à la gendarmerie nationale son identité, non pas « nationale », mais militaire, quelles sont les intentions réelles du Gouvernement en la matière ?
Quelle est la véritable plus-value de ce rattachement en termes d’organisation, d’efficacité et d’équité territoriale du service public de la sécurité ?
Comment apaiser les tensions ou les inquiétudes qu’a provoquées, tout à fait inutilement à mon sens, ce rapprochement mal préparé et mal compris au sein de nos deux forces de sécurité ?
En tant que femme, je n’ai pas, contrairement aux hommes de ma génération, effectué mon service militaire. Aujourd'hui, tout le monde en est dispensé, et c’est sans doute regrettable. Je me suis donc interrogée sur la signification du terme « militaire » : renvoie-t-il à un statut ou à un état ? En effet, si l’on n’est pas au fait de ce qu’il recouvre précisément, comment apprécier l’importance du maintien de ce que les gendarmes appellent parfois leur « militarité » ?
J’ai alors cherché à comprendre pourquoi et comment cet état militaire était, d'une part, parfaitement indissociable de l’organisation territoriale de la sécurité dans notre pays, et, d'autre part, complémentaire de l’organisation civile des zones dites « de police nationale ».
N’ayant pas la science infuse, je suis allée à la rencontre des militaires. J’ai écouté ce qu’ils avaient à dire, mais aussi lu un certain nombre de témoignages, pour connaître le fond de leur pensée sur leur « état » militaire, car c’est à cela qu’ils font référence et non à leur « statut ».
J’ai d’abord appris, chose non négligeable, à m’y retrouver un tant soit peu dans les différents galons, avant de comprendre, chose essentielle, que le port de l’uniforme ne suffit pas à transformer un civil en militaire.
L’uniforme – que ne dit-on pas de son prétendu « prestige » ! – a certes un rôle indéniable dans la symbolique du rapport du citoyen à la loi et à son représentant, lequel est ainsi conforté dans son autorité, la légitimité et l’exemplarité de son action. Mais il existe bien des uniformes, dans bien des professions, à l’image de la robe dans le monde judiciaire, qui, sans aucune confusion possible, ne « créent » pas cet état propre aux militaires.
J’ai approfondi mes recherches pour bien comprendre ce qui distinguait le militaire du civil. J’en suis sortie confortée dans ma conviction de l’absolue nécessité – je pèse mes mots – de conserver, dans notre démocratie, deux forces de sécurité sur le territoire, sauf à bouleverser complètement l’organisation de la sécurité et à oublier les caractéristiques géographiques, sociales et démographiques de la France, ses contrastes entre zones urbaines, zones rurales et, aujourd'hui, zones rurbaines.
Monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je voudrais m’inscrire en faux contre cette idée du gendarme qui ne serait militaire que lorsqu’il participe à des OPEX, qui ne serait officier de police judiciaire que lorsqu’il est saisi d’une enquête par l’autorité judiciaire, et qui pourrait donc s’apparenter à un policier civil lorsqu’il accomplit des missions de sécurité sous l’autorité du préfet.
Un gendarme est un militaire du matin au soir, vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept, sa famille est une famille de militaire, sa vie est celle d’un militaire. Son état ne peut se définir uniquement par les missions qui lui sont confiées, ni par le simple port de l’uniforme ou le respect de certaines valeurs.
Un soldat de l’armée de terre qui effectue des patrouilles à la gare Montparnasse – j’en croise souvent – devient-il civil par la seule nature de cette mission ponctuelle ? Un policier municipal devient-il militaire par le seul port de l’uniforme ? Un policier national ne respecte-t-il pas les mêmes valeurs et le même engagement au service des autres sans être pour autant un militaire ? Le gendarme qui « gèle » le théâtre d’une infraction et y relève les premières observations n’est-il pas déjà officier de police judiciaire ?
Les gendarmes sont des militaires. Ils ont évidemment de nombreux points communs avec celles et ceux qui, sans être entrés dans le monde militaire, sont aussi au service de la sécurité des Français ; je pense aux professions ou aux volontaires des secours d’urgence, de la sécurité, de la gestion de crise ou de la protection de nos concitoyens.
Les gendarmes ont choisi et accepté les contraintes et les compensations spécifiques de leur état militaire : la disponibilité, la vie en caserne dans un logement concédé pour nécessité absolue de service pour eux et leur famille, l’organisation du commandement, la rigidité de la gestion de leur temps de repos, la mobilité. Ce sont ces spécificités qui ont prévalu à l’organisation territoriale actuelle de la sécurité, caractérisée par une grande complémentarité entre la police nationale et la gendarmerie nationale.
Les modes d’action de la police nationale, le règlement d’emploi de ses services sont adaptés à la concentration urbaine. La police nationale est composée de femmes et d’hommes dont l’action est sous-tendue par les mêmes valeurs, le même souci de la sécurité publique, mais qui ont fait le choix, eux, de rester civils, avec les contraintes et les compensations de ce statut de fonctionnaire et une organisation spécifique. Ses moyens sont concentrés dans des circonscriptions de sécurité publique, à effectif souvent minimal de 55 agents environ. Leurs interventions ne sont pas affectées par la distance ou les délais.
À chaque type de territoire – et Dieu sait si la France en est riche ! – correspond une organisation optimale. Ainsi, monsieur le secrétaire d’État, de nombreux articles de presse développent aujourd’hui la décision du ministre de l’intérieur de mettre en place des polices d’agglomération avec des objectifs cohérents au vu de la loi d’orientation et de programmation pour la sécurité intérieure, la LOPSI, et selon un concept de territoire similaire à celui qui est développé par la gendarmerie nationale. Y aura-t-il des actions similaires en zone de gendarmerie par le transfert de responsabilités de circonscriptions de sécurité publique isolées, confrontées à des difficultés de fonctionnement, dans la logique affichée d’équilibre entre nos deux forces, logique réaffirmée dans le discours de l’Arche ?
Dans ces zones gendarmerie, zones rurales donc ou rurbaines, comment organiser la sécurité selon le modèle de la police nationale, alors que la continuité de l’engagement de la gendarmerie nationale est marquée par la dispersion dans le temps et dans l’espace ?
On compte aujourd’hui 3 500 brigades territoriales, dont l’effectif moyen est de 10 militaires par brigade. Et 95 % du territoire, pour environ 50 % de la population, ont accès à un véritable service de la sécurité publique de qualité, parfaitement comparable à celui des zones urbaines couvertes par la police nationale. Ce dispositif n’est possible que grâce à la dualité des statuts militaires et civils des hommes et des femmes responsables de notre sécurité.
Or le démantèlement de cette organisation, le démantèlement de la gendarmerie nationale, est bel et bien programmé : indépendamment même de cet état militaire, vous tenez à mettre en œuvre la révision générale des politiques publiques, la RGPP, dont je continue à contester la logique, exclusivement basée sur des chiffres, sur la comptabilité, sur une logique financière à court terme. La RGPP oublie de prendre d’abord en compte la nécessité et la qualité du service à rendre, qui oublie de se projeter dans le moyen et le long terme !
La mise en œuvre de la RGPP est pourtant un fait qui conduit à la diminution drastique des effectifs, tant pour la police nationale que pour la gendarmerie nationale. Et cependant, le Gouvernement, paradoxalement, se gargarise de chiffres en amélioration – je n’irai pas jusqu’à dire notable - quant aux débordements des nuits de réveillon récentes. Certains de ces chiffres ont été contestés. Je n’entrerai pas dans cette polémique, me contentant de citer ceux du ministère de l’intérieur, monsieur le secrétaire d’État : 1 137 voitures brûlées contre 1 147 l’an dernier. Mais vous oubliez de mentionner les augmentations, elles, plus que significatives du nombre d’hommes et de femmes déployés ! On a gagné un tout petit peu d’efficacité en déployant des milliers d’hommes et de femmes supplémentaires, et pourtant, au nom de la logique de RGPP, on est en train de diminuer les effectifs partout, dans la police nationale, comme dans la gendarmerie nationale !
Par ailleurs, les chiffres de progression de la délinquance sont annoncés en « diminution de la vitesse de la hausse » ou « ralentissement de l’intensité de la dégradation ». Comprenne qui pourra ! En tout cas, pour moi, la formule est trop obscure pour ne pas masquer une certaine gêne sur le sujet.
Revenons à la RGPP et à la diminution des effectifs. Je le rappelle, 1 300 emplois auront disparu en 2010 pour la gendarmerie nationale, 7 400 disparaîtront sur la période 2011-2013, sans compter de nouvelles suppressions confirmées d’escadrons de gendarmerie mobile ! À ces faits, que vous ne pouvez nier, car ils sont malheureusement certains, se rajoute le risque énorme, à probabilité tendant tangentiellement vers un, de la disparition du statut militaire des gendarmes.
Dois-je vous énumérer les conséquences de cette politique ? Les fermetures de brigades sont inévitables, de même que la reconcentration des forces de sécurité dans les centres urbains et l’abandon des zones rurales et rurbaines. Cette conclusion, je la tire logiquement. Comment assurera-t-on la sécurité ? Dans le prolongement de votre logique, les communes rurales et rurbaines assumeront, au terme d’un nouveau transfert, la responsabilité de la sécurité.
Aléas de l’histoire : il fut un temps où l’État imposait à la maréchaussée de se déplacer dans la campagne et de ne pas rester dans les cités. Il fut un temps où les polices municipales ont été créées pour sécuriser les villes. Il fut un temps où elles ont même été étatisées, dans la logique de compétence régalienne et de contrôle par l’État de la sécurité.
Et puis, tout à coup, la décentralisation, si souvent décriée, retrouve à nouveau grâce aux yeux de votre gouvernement ! C’est qu’il s’agit d’assumer de nouveau des dépenses ! L’État, qui économise, a, malgré tout, des dépenses à faire. Demandons donc aux collectivités locales de les prendre en charge ! Demandons aux maires de développer les polices municipales, de recruter et de former des policiers municipaux au statut desquels vous pensez déjà, discrètement, bien sûr : extension de leurs compétences plus ou moins à l’ordre du jour, possibilité de devenir officier de police judiciaire, port d’armes, harmonisation des tenues et des uniformes.
Vous oubliez juste un petit détail : peu de communes ont les ressources financières nécessaires et suffisantes pour créer ou entretenir des polices municipales, quelles que soient les compétences ou missions que l’on pourra demain leur confier.
Le maillage territorial de la sécurité, jusqu’à présent préservé par la gendarmerie nationale, permettait de compenser les différences de richesses des territoires. C’était un gage d’équité quant au droit à la sécurité pour tous. Cette équité va rapidement voler en éclats.
Je sais que vous allez encore protester de votre volonté de maintenir le statut militaire de la gendarmerie nationale, même si vous ne pouvez nier les suppressions d’emplois dont je viens de parler. Mais alors, qu’avez-vous fait, qu’allez-vous faire pour préserver et consolider ce statut, tout en continuant de préconiser le rapprochement entre nos deux forces de sécurité, que nous connaissons et estimons également ?
Ce sont les chefs militaires et la formation militaire dispensée qui sont les piliers du maintien du statut militaire.
Si telle était vraiment votre volonté, pourquoi ne pas avoir, en amont du rattachement au ministère de l’intérieur, travaillé avec les généraux de région de gendarmerie sur les liens à entretenir avec les préfets, sur les missions et les responsabilités respectives des uns et des autres ? Comment imaginer, par exemple, que les commandants de région conserveront leur motivation, qu’on ne gaspillera pas leurs compétences et qu’ils développeront toujours la même efficacité s’ils sont réduits à des tâches administratives sans plus exercer les responsabilités pour lesquelles ils ont été formés, s’ils ne conservent pas la plénitude du commandement combinant l’action opérationnelle, l’organisation et la gestion des ressources humaines et la logistique, sur un territoire pouvant dépasser les limites d’un département, voire, entrer dans le domaine du judiciaire ? Quid de la souplesse nécessaire pour parfois assurer la sécurité par une manœuvre régionale ou zonale ?
On ne naît pas militaire, on le devient ! Quelle formation initiale et continue pensez-vous offrir aux gendarmes des unités territoriales, alors que vous fermez des écoles de police – Saint-Malo, venons-nous d’apprendre, alors que cette ville voit aussi la suppression de son escadron de gendarmes mobiles – comme des écoles de gendarmerie – Montargis, Libourne, Châtellerault, Le Mans – selon, toujours, une logique d’économie financière et immobilière à court terme et de mutualisation, sans réflexion préalable sur les spécificités de chaque formation, sur le contenu, la cohérence et la continuité de l’offre de formation ?
Oui, bien sûr, des économies et un réajustement de l’outil de formation sont souhaitables. Peut-être mon raisonnement est-il trop logique pour le Gouvernement. Mais il me semble que l’outil restant devra être adapté au service à rendre. Commençons donc par le définir.
Quel est-il ? Comment, où, selon quelle logique, avec quelles obligations de formation pensez-vous que sera maintenue, préservée, protégée, la culture militaire des gendarmes ? Il est vrai que 84 % des gendarmes spécialisés bénéficient aujourd’hui d’une formation continue, mais ce chiffre tombe à 34 % pour les militaires des unités départementales. Fallait-il fermer des écoles avant d’avoir réfléchi à ce problème, ou bien la volonté plus ou moins cachée de fermer demain des brigades sous-tend-elle ces fermetures et les mutualisations annoncées ? Et je vous épargne la comparaison entre le nombre de jours de formation demandés par an aux gendarmes et aux policiers municipaux.
On n’embrasse pas une carrière qui ne présente que des contraintes. Des compensations doivent exister pour continuer d’attirer les jeunes vers le monde militaire : que faites-vous en matière d’immobilier, d’entretien et de rénovation des casernes et des logements ? À nouveau, force m’est de constater le transfert aux communes et aux collectivités locales, avec, qui, plus est, une nouvelle difficulté hypocritement passée sous silence.
En effet, les ajustements du maillage territorial ont conduit à la création des communautés de brigades. Je mentionne, au titre des avantages, une organisation plus efficiente pour la gendarmerie et des économies d’échelle tant en fonctionnement qu’en investissement immobilier pour l’État. Je signale, comme inconvénient, un attachement moins fort de la commune d’accueil pour une gendarmerie qui se trouve « partagée ». De plus, le territoire de compétence de la communauté de brigade n’est pas forcément cohérent avec l’organisation des collectivités locales, notamment en matière d’intercommunalité et de coopération intercommunale.
Tout cela rend difficile, voire aléatoire, l’identification d’un maître d’ouvrage public en matière d’investissement immobilier dans les logements et les locaux de service occupés par la majorité des petites brigades pour lesquelles l’État préfère déléguer plutôt que d’intervenir directement. Quelle politique d’incitation des collectivités locales envisagez-vous afin de leur permettre de continuer à assumer cette charge immobilière qui devrait revenir à l’État, qu’il ne compense jamais totalement, alors même qu’il a bénéficié d’économies grâce à cette organisation en communautés de brigades, même sur les unités spécialisées ?
Le rattachement de la gendarmerie nationale au ministère de l’intérieur ne présage pas d’une fusion des deux forces de police vers une seule force, à statut civil, nous affirmez-vous. Il nous est vraiment difficile de croire des engagements et des convictions à géométrie aussi variable ! Le 3 décembre 2008, alors aux commandes, Mme Alliot-Marie, sans doute aussi sincère qu’elle l’était quand, au ministère de la défense, elle défendait le maintien de la gendarmerie nationale au sein de ce ministère – affirmait : « Il n’est pas question de fusionner les unités d’élite car j’ai besoin des savoir-faire des uns et des autres. Le GIGN et le RAID existeront comme tels. »
Aujourd’hui, 14 janvier 2010, je vous pose la question : jusqu’où ira le rapprochement aujourd’hui affirmé desdits GIGN et RAID ? Absorption et digestion de qui par qui ? Jusqu’où iront les autres rapprochements sans doute médités encore, en silence et en parfaite opacité, par le Gouvernement ?
La sécurité ne peut se résumer à la gestion de crise, et le renseignement y participe plus que peu. Le maillage territorial, l’implantation locale de la gendarmerie nationale, l’ancrage rural et rurbain des gendarmes, sont des atouts considérables en matière de collecte d’information et de renseignement, pour « surveiller le prix du chou », comme disent parfois les gendarmes de façon imagée, illustrant l’importance du recueil de détails qui peuvent sembler anodins à qui ne sait les interpréter.
Or le maillage territorial sera, une fois de plus, très prochainement mis à mal ! Et, comme si cela ne suffisait pas, votre gouvernement vient introduire un flou – artisanal, dirai-je, à défaut de pouvoir le qualifier d’artistique – dont tout le monde se serait pourtant bien passé en la matière : quelle organisation du renseignement est aujourd’hui envisagée entre les deux forces de sécurité ? Comment sera défini et encadré le travail confié à la gendarmerie ? En décembre dernier, M. le ministre nous a dit qu’un audit était en cours concernant les services départementaux de l’information générale : qu’en est-il aujourd’hui ?
Faut-il ici demander quelle place auront les gendarmes dans le « Grand Paris de la Sécurité » ? Faut-il reparler aussi de ces gendarmes que le Livre blanc de la défense envoie dans les départements d’outre-mer ou en OPEX en Afghanistan, pour y remplacer ou y aider des militaires des autres armes ? Sur quels effectifs, dans quelles brigades territoriales seront-ils « prélevés » ? De quels matériels disposeront-ils sur place ?
Faut-il reparler du budget, encore une fois en trompe-l’œil, des moyens insuffisants alloués, tant en investissement qu’en fonctionnement, à la gendarmerie nationale ? Quid du renouvellement des hélicoptères Écureuil, des véhicules blindés de la gendarmerie ? Comment agir en toute sécurité quand on en est réduit à prélever des pièces détachées sur les engins hors d’usage pour maintenir en condition, tant bien que mal, des engins et matériels déjà vétustes ?
Le Gouvernement auquel vous appartenez est responsable aujourd’hui d’un malaise profond, d’inquiétudes, de mal-être - je vais jusqu’à utiliser ce terme - tant chez les gendarmes que chez les policiers. Vous pratiquez la politique du chiffre, la réduction drastique des effectifs et la culture d’un résultat dont la définition et les contours ne sont ni clairement définis, ni consensuels, avec des moyens non adaptés et sans arrêt remis en cause.
Les conséquences de cette politique, ce sont la dégradation de l’efficacité de leur action, de leur sécurité même - aussi paradoxal que cela puisse sembler ! - la négation de leur rôle social et l’aggravation du fossé qui se creuse entre la population et des policiers ou gendarmes « à bout de souffle ».
Comment avoir encore confiance dans vos objectifs, dans vos affirmations, dans vos promesses ?
La maîtrise des dépenses publiques est indispensable. Des mesures doivent être prises en ce sens.
S’agissant de sécurité, si les mesures que vous comptez mettez en œuvre sont légitimes, qu’elles sont de nature à assurer un service public de qualité, pourquoi ne venez-vous pas à la tribune nous en convaincre et nous annoncer la mise en place d’un calendrier clair en toute transparence ?
Quand on parle de sécurité, il ne suffit pas de demander s’il est acceptable qu’un fait délictueux puisse être commis pour justifier d’une production accélérée de textes remettant en cause brutalement des équilibres, une organisation entre des forces de sécurité différentes et complémentaires. Il ne suffit pas qu’un homme dise « je veux » pour qu’il ait raison. Il ne suffit pas de parler de Kärcher, de racaille, de « droits-de-l’hommisme » pour être légitime.
Exclamations sur les travées de l ’ UMP.
Quand on parle de sécurité, on doit le faire de façon responsable et pondérée, …
Quelle pondération en effet !
… sereine et honnête.
Quand on parle de sécurité, on ne peut le faire sans respecter, écouter et entendre les femmes et les hommes à qui l’on a confié cette responsabilité, ce devoir, qui peut, il importe de le rappeler ici, aller jusqu’au sacrifice de leur vie.
L’ensemble de ces conditions seront-elles réunies un jour ? Allons-nous avoir le droit de parler vraiment de sécurité avec le ministre de l’intérieur ?
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le débat sur l’application de la loi du 3 août 2009 relative à la gendarmerie nationale vient très opportunément devant notre Haute Assemblée aujourd’hui, un an après le rapprochement budgétaire et financier des deux institutions, police nationale et gendarmerie, et près de six mois après la promulgation d’une loi qui avait suscité bien des inquiétudes sur l’ensemble de nos travées.
Que notre collègue Jean-Louis Carrère, que Mme Klès a bien voulu remplacer aujourd'hui, soit remercié d’avoir pris l’initiative de ce débat dont nous attendons qu’il apporte éclaircissements et explications sur certains points et apaise les craintes que nous avons entendu s’exprimer ici et là.
J’étais intervenue dans cet hémicycle, il y a un an, devant le prédécesseur de M. Hortefeux et je l’avais interrogée sur la nécessité de revenir sur un mode de fonctionnement de la police et de la gendarmerie, institué en 1798, qui faisait encore ses preuves avec deux forces distinctes placées sous deux autorités différentes œuvrant de conserve à la sécurité des biens et des personnes. Je m’étais inquiétée de la non-concordance des temps entre l’examen de la loi de finances mettant concrètement en œuvre des dispositions et le vote de ces dispositions qui ne devait intervenir que huit mois plus tard.
Je me dois d’admettre que l’épreuve du terrain donne raison au Gouvernement. Concrètement, le rapprochement, opéré de fait depuis bien longtemps, tend maintenant vers un enrichissement mutuel des cultures dont police et gendarmerie tirent un vrai bénéfice. La mise en commun de compétences et de savoir-faire, le renforcement de la cohérence et de la complémentarité de l’activité des deux forces ne sont plus à démontrer. La mutualisation de certaines formes de logistique contribue également à cette meilleure efficacité opérationnelle. Le spectre de la « fusion », que nous étions nombreux à redouter, s’est quelque peu éloigné. Le statut militaire des gendarmes n’est pas entamé ; la spécificité de la police est respectée comme celle de la gendarmerie.
Mais alors d’où vient ce malaise que font remonter jusqu’à nous certains gendarmes qui nous ont interpellés ?
En effet, certains sous-officiers en fin de carrière et certains officiers prononcent encore mezza-voce le mot « fusion ». S’agirait-il de problèmes statutaires que pourtant le ministre de l’intérieur s’efforce de régler selon les engagements pris ? Les décrets publiés à la fin du mois de décembre sont là pour en témoigner, comme ceux qui sont en préparation ou prêts à être publiés.
D’autres militaires ont cru que leur mode même d’action serait remis en cause dans le cadre de cette recherche d’efficience que le Gouvernement s’est donné pour objectif.
Il faut les rassurer : la quête de l’efficience ne passe pas par un appauvrissement des tâches. Il n’y a pas « doublon » entre police et gendarmerie lorsque, pour une activité donnée, les méthodes d’approche, les moyens, les objectifs sont différents. Le renseignement tel que pratiqué dans nos zones rurales par la gendarmerie n’a rien à voir, chacun s’accorde à le reconnaître, avec le renseignement recueilli par les nouveaux services unifiés de la police.
Je serai aux côtés de ces militaires pour veiller à ce que la spécificité de leur métier soit reconnue et respectée et qu’ils ne soient pas relégués, parce que là est leur crainte, à un rôle de « police des chemins creux ». Cette crainte est d’ailleurs partagée par bon nombre d’élus ruraux, dont je suis.
Nous connaissons les contraintes de la RGPP, nous mesurons la nécessité de réduire les effectifs, mais ne sommes-nous pas en droit de nous inquiéter de cette suppression de 1 303 postes en 2010, succédant à une suppression déjà réalisée de 1 246 emplois en 2009, soit au total 2 500 en deux ans alors que la LOPSI avait fixé à 7 000 emplois les renforts nécessaires ?
N’avons-nous pas raison de faire valoir que la seule prise en compte des statistiques du nombre des plaintes déposées ou du taux d’élucidation des crimes et délits ne doit pas gouverner toute la réflexion sur les conditions du maillage territorial de la gendarmerie ?
Il y a bien peu de temps qu’ont été réorganisées les communautés de brigade, avec leurs conséquences sur l’organisation quotidienne de l’activité de la gendarmerie. Et voilà que l’on se retrouve au pied du mur à chercher comment réparer le non-remplacement de gendarmes dans nos territoires ruraux où s’installe de plus en plus une forme de désespérance, à l’image de celle dont nous gardons tous la mémoire et qui avait atteint il n’y a pas si longtemps le département de la Creuse.
Avec les gendarmes et pour eux, nous avons maintenant, au-delà de la guerre des chiffres, besoin de nouveaux fondements.
M. le ministre de l’intérieur nous a montré qu’il veillait à lutter contre l’instabilité textuelle et je suis assurée de sa volonté de conduire à bonne fin les 147 décrets prévus par la loi.
La paix sociale est au cœur de ses préoccupations. Il le démontre aussi sur le plan statutaire. Néanmoins, il reste beaucoup à faire pour maintenir à bon niveau le fonctionnement des casernes, la part patrimoniale de l’État dans l’immobilier de la gendarmerie.
Mais plus que tout, me semble-t-il, il faut mettre en chantier ce qui jusqu’ici n’a été qu’approche partielle : je pense à la nécessaire répartition des territoires et à la fixation d’objectifs respectueux de la police et de la gendarmerie dans leurs différences en même temps que dans leur complémentarité.
Je suis sûre que M. le ministre saura entendre les inquiétudes des uns et des autres et y répondre.
Applaudissements sur les travées du RDSE. – M. Nicolas About applaudit également.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la loi relative à la gendarmerie nationale, dont j’ai eu l’honneur d’être le rapporteur au Sénat, a été adoptée définitivement par le Parlement le 23 juillet 2009 et promulguée par le Président de la République le 3 août dernier.
À ce jour, sur la quarantaine de décrets nécessaires à sa mise en œuvre, dix-sept décrets et neuf arrêtés ont été pris par le Gouvernement.
Vouloir débattre aujourd’hui de son application, moins de six mois après son adoption, comme nous y invitent nos collègues du groupe socialiste, peut sembler à première vue prématuré.
Je rappelle en effet que, en vertu de la loi de simplification du droit du 9 décembre 2004, le Gouvernement est tenu de présenter, six mois après l’adoption d’un texte de loi, …
… un rapport sur sa mise en œuvre portant notamment sur l’état d’avancement des décrets d’application. Il aurait donc été plus logique d’attendre la parution de ce rapport, prévue le mois prochain, pour pouvoir dresser un premier bilan de l’application de la loi relative à la gendarmerie nationale.
Par ailleurs, je voudrais rappeler que, sur l’initiative du Sénat, une disposition, que vous avez personnellement soutenue, monsieur Boulaud, a été introduite dans la loi aux termes de laquelle « le Gouvernement remet au Parlement, tous les deux ans à compter de l’entrée en vigueur de la présente loi, un rapport évaluant, …
La loi de programmation militaire prévoyait un rapport qu’on n’a jamais vu venir !
… d’une part, les modalités concrètes du rattachement organique et budgétaire de la gendarmerie nationale au ministère de l’intérieur et notamment son impact sur son organisation interne, ses effectifs, l’exercice de ses missions et sa présence sur le territoire […] ». Toutes ces questions ont justement été posées par Mme Klès.
Il est aussi prévu que « ce rapport comporte les éléments relatifs à l’obtention d’une parité globale entre les personnels des deux forces ». Ce point a également été soulevé par Mme Klès.
Enfin, la loi précise que ce rapport « est préparé par une instance extérieure aux services concernés ».
Ainsi, le Gouvernement devra remettre au Parlement, à l’été 2011, un rapport d’évaluation détaillé, comprenant notamment un bilan du rattachement de la gendarmerie au ministère de l’intérieur.
En introduisant cette disposition, nous souhaitions disposer d’une évaluation précise des conséquences du rattachement de la gendarmerie nationale au ministère de l’intérieur afin d’avoir la possibilité d’en corriger éventuellement les effets.
Je le répète, madame Klès, il me semble qu’il aurait été préférable d’attendre que la loi relative à la gendarmerie nationale ait pu produire tous ses effets, y compris ceux que vous dénoncez, …
... que l’ensemble des mesures réglementaires aient été adoptées et que le rapport d’évaluation ait été publié pour pouvoir débattre sereinement de son application.
Pour autant, en tant que parlementaire et démocrate, je reconnais que, en organisant un tel débat, le Parlement est pleinement dans son rôle en matière de contrôle de l’application des lois.
Ah ! sur les travées du groupe socialiste.
En revanche, la question des effectifs et des moyens consacrés à la gendarmerie me paraît relever davantage du débat budgétaire que d’un débat sur le contrôle de l’application des lois.
Ayant déjà longuement évoqué ce sujet dans mon rapport pour avis sur les crédits de la mission « Sécurité » dans le cadre du projet de loi de finances pour 2010, je ne reviendrai pas ici sur ces aspects. Toutefois, Mme Klès nous ayant laissé entendre qu’on ne lui avait pas communiqué tous les travaux effectués par la commission, en particulier ceux de la commission spéciale créée à l’occasion de l’examen du projet de loi relative à la gendarmerie nationale, je voudrais rappeler l’état d’esprit dans lequel nous avons abordé ce texte.
Ce projet de loi a présenté un caractère « historique », puisque, depuis 1798, le Parlement n’avait jamais légiféré dans ce domaine. En deux siècles, seul un simple décret, datant de 1903, portant règlement sur l’organisation et le service de la gendarmerie a été pris. Pourtant, depuis sa création, la gendarmerie a beaucoup évolué. Le rapprochement spontané avec le ministère de l’intérieur …
… a eu des conséquences sur le terrain qui ont obligé le ministre de l’intérieur à intervenir. Il fallait donc tenir compte de toutes les modifications qui sont intervenues au cours des années, voire des siècles.
Cette réforme est profonde puisqu’elle organise le rattachement de la gendarmerie nationale au ministère de l’intérieur, conformément, comme vous l’avez rappelé, madame Klès, à la volonté exprimée par le Président de la République dans son discours du 29 novembre 2007. Pour autant, ce n’est pas le Président de la République qui en a arrêté et défini les contours…
C’est lui et lui seul ! Il avait commencé lorsqu’il était ministre de l’intérieur.
Avant même le dépôt du projet de loi, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées avait souhaité constituer en son sein un groupe de travail chargé de réfléchir à l’avenir de l’organisation et des missions de la gendarmerie.
Par sa composition, ce groupe de travail, que je présidais, reflétait la diversité politique de notre assemblée. Il était composé de nos collègues Michèle Demessine, Hubert Haenel, Charles Pasqua et, pour le groupe socialiste, qui y était largement représenté, de Philippe Madrelle et André Rouvière, ce dernier ayant été extrêmement actif tout au long de nos travaux.
Nous avons présenté ensemble dix-sept recommandations, qui ont été adoptées à l’unanimité.
Je le sais, chère collègue, c’est pour cela que je me permets de faire ce rappel.
Nos dix-sept recommandations ont été reprises dans un rapport d’information publié en avril 2008, rapport dont le Gouvernement disposait pour la préparation du projet de loi.
Pour l’examen du projet de loi, je me suis largement fondé sur ces recommandations.
M’inspirant d’une phrase figurant dans le décret du 20 mai 1903 – j’y repensai en vous écoutant présenter vos observations, madame Klès –, j’ai également « cherché à bien définir la part d’action que chaque département ministériel peut exercer sur la gendarmerie, afin de sauvegarder cette arme contre les exigences qui ne pouvaient trouver leur prétexte que dans l’élasticité ou l’obscurité de quelques articles ». On le voit, il y a une continuité dans la réflexion.
Je tiens également à souligner l’excellente collaboration avec le rapporteur pour avis de la commission des lois, notre collègue Jean-Patrick Courtois.
Le texte initial du projet de loi, déposé en premier lieu au Sénat, ne comportait que dix articles. Lors de son examen, j’ai présenté une vingtaine d’amendements, qui ont tous été adoptés par la commission. À l’issue de son adoption par le Sénat en décembre 2008, le projet de loi comportait vingt-deux articles, soit plus du double. Le travail parlementaire a donc été très significatif. Après son adoption par l’Assemblée nationale en juillet dernier, le projet de loi en comportait vingt-six, soit quatre de plus. Quant au texte issu de la commission mixte paritaire, il en comprenait vingt-sept.
Un véritable travail parlementaire, fait d’échanges et de discussions, a donc eu lieu, même s’il y a eu quelques renoncements. Je tiens à souligner, par souci d’honnêteté, que notre collègue Jean-Louis Carrère a parfaitement défendu certaines positions qui ont conduit le groupe socialiste à voter contre le texte.
Je tenais à rappeler le processus d’élaboration du rapport qui avait finalement été adopté à l’unanimité.
Quelles ont été les principales modifications introduites par le Sénat ?
Nous avons entièrement réécrit l’article définissant les missions de la gendarmerie nationale afin de consacrer son caractère de force armée, d’y mentionner expressément son rôle, contesté d’ailleurs par certains collègues, en matière de police judiciaire, l’une de ses missions essentielles, d’affirmer son ancrage territorial et de rappeler sa vocation militaire, notamment sa participation aux opérations extérieures.
L’envoi de 150 gendarmes français en Afghanistan, tout comme la présence de gendarmes en Géorgie et en Côte d’Ivoire témoignent, à cet égard, de l’atout que constitue le statut militaire de la gendarmerie pour ce type d’opérations.
Nous avons également introduit un nouvel article afin de consacrer dans la loi le principe du libre choix du service enquêteur par l’autorité judiciaire. On le voit, chaque département ministériel a sa propre feuille de route.
La question des relations avec les préfets avait suscité des interrogations, y compris dans nos rangs et chez votre serviteur. Nous avons longuement débattu de cette question. Il ne s’agissait pas pour nous de remettre en cause le rôle du préfet, qui occupe une place essentielle en matière de coordination des forces de sécurité publique, mais il nous semblait nécessaire de concilier le rôle central du préfet avec le respect de la chaîne hiérarchique consubstantielle au statut militaire de la gendarmerie.
En définitive, nous sommes parvenus, je le pense, à un bon équilibre sur ce point et je constate que, quelques mois après l’adoption de la loi, cet équilibre a été traduit au niveau réglementaire et que chacun a trouvé sa juste place.
La suppression de la procédure de réquisition a constitué un autre sujet délicat, qui a fait l’objet d’un très long débat. Estimant que cette procédure n’était pas compatible avec le rattachement au ministère de l’intérieur, nous avons accepté de la supprimer en prévoyant toutefois deux tempéraments : d’une part, le maintien d’une procédure d’autorisation pour le recours aux moyens militaires spécifiques, comme les véhicules blindés ou certaines armes à feu, et, d’autre part, à la demande du groupe socialiste, l’encadrement de l’usage des armes à feu au maintien de l’ordre, tant par les gendarmes que par les policiers, …
… en particulier afin de garantir la traçabilité des ordres. Nous serons d’ailleurs très attentifs, monsieur le secrétaire d’État, au décret d’application qui sera pris concernant cet article.
Par ailleurs, nous avons adopté d’autres modifications au texte du Gouvernement, notamment afin de reconnaître le rôle essentiel joué par les réservistes de la gendarmerie nationale.
En outre, grâce à ce projet de loi, les militaires de la gendarmerie bénéficieront d’une grille indiciaire spécifique, ce qui permettra d’aller vers une parité globale de traitement et de carrière entre les gendarmes et les policiers, conformément à l’engagement pris par le Président de la République.
En définitive, je pense pouvoir affirmer que, au-delà des clivages politiques, les travaux du Sénat ont été marqués par le souci d’apporter toutes les garanties concernant le maintien du dualisme…
… des forces de sécurité publique et le caractère militaire de la gendarmerie.
Je termine, monsieur le président.
Il n’y aura pas de disparition du statut militaire des gendarmes ni de fusion entre la gendarmerie et la police. Peut-être le malaise auquel certains font allusion existe-t-il dans certains cas, mais je peux vous dire, moi qui rencontre les brigades toutes les semaines, que, à la base, la gendarmerie est très satisfaite de ce dispositif.
Applaudissements sur les travées de l ’ UMP.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, cinq mois après le vote de la loi organisant le rattachement total de la gendarmerie nationale au ministère de l’intérieur, la question posée au Gouvernement par notre collègue Jean-Louis Carrère est tout à fait justifiée.
Lors de la discussion de ce texte, j’avais moi-même évoqué, au nom du groupe CRC-SPG, certains de ses dangers et de ses effets pervers.
J’indique que, si nous avons adopté à l’unanimité le rapport et les recommandations de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, nous avons été très clairs sur les raisons de notre opposition au projet de loi. Il serait très dangereux de faire un amalgame entre ces deux positions, je tenais à le préciser.
En premier lieu, nous craignions la concentration en une seule main de tous les pouvoirs et de tous les moyens affectés à la sécurité intérieure. C’est sans doute ce risque qui a motivé l’opposition de tous ceux qui ont vu se profiler derrière ce texte un recul des libertés publiques et des droits individuels, ainsi que la possibilité d’appliquer sans entraves la politique sécuritaire, centralisatrice et répressive du Président de la République.
En second lieu, nous craignions la remise en cause à terme de cette spécificité républicaine et démocratique de notre pays que constitue l’existence de deux forces de police différentes, le risque étant que le statut militaire de la gendarmerie soit subrepticement vidé de sa substance.
Les craintes que nous avions exprimées sur les risques d’une fusion à terme de la police et de la gendarmerie étaient justifiées.
Certaines conséquences concrètes de la loi, comme les réductions d’effectifs et la mutualisation des moyens entre la gendarmerie et la police – les commandes de matériels et la formation leur sont désormais communes –, illustrent cette tendance à faire disparaître la spécificité de chacune des deux forces. À cela s’ajoutent les pressions de toutes parts en faveur d’une convergence des statuts.
Je le rappelle, cette réforme n’était voulue ni par les policiers ni par les gendarmes.
Ni par la ministre de la défense de l’époque, devenue ensuite ministre de l’intérieur !
Chacun souhaitait conserver son budget, ses effectifs et son périmètre de missions.
Les élus locaux ne la réclamaient pas non plus. Ils redoutaient surtout – leurs craintes étaient fondées – d’avoir à faire face, du fait de la révision générale des politiques publiques, à des suppressions de brigades, lesquelles suscitent le mécontentement des populations, qui éprouvent alors un sentiment d’insécurité.
Ces réductions d’effectifs – 1 300 emplois seront supprimés dans les gendarmeries en 2010 – conduiront inéluctablement à une diminution de la présence de la gendarmerie dans les zones rurales. Elles laissent présager un démantèlement progressif de ce service public de sécurité intérieure.
Au-delà des réductions d’effectifs, la refonte de la carte des zones de compétence entre la police et la gendarmerie me semble s’effectuer concrètement au détriment de la gendarmerie.
Ainsi, M. le ministre souhaite étendre les polices d’agglomération à Marseille, à Lyon et à Paris, sur le modèle lillois, bien que cette nouvelle structure ait à Lille suscité le mécontentement tant des policiers et des gendarmes que des élus locaux de toutes appartenances politiques. Un rassemblement de fonctionnaires de police est d’ailleurs prévu aujourd’hui même devant la préfecture du Nord.
Cet été, les cinq maires de mon département qui dépendent de la brigade de Quesnoy-sur-Deûle, Frelinghien, Warneton, Verlinghem et Deûlémont vous ont écrit pour protester d’avoir appris par la presse le transfert en secteur de police de leurs communes situées actuellement en zone de gendarmerie. On a bien tenté de les rassurer en leur répondant que ce transfert n’était pas opportun dans l’immédiat, mais l’absence de concertation en amont est révélatrice d’intentions inavouées. Elle ne peut que conforter ceux qui, comme moi, estiment que, à terme, cette loi aboutira à la fusion de nos deux forces de sécurité.
Une autre conséquence concrète de la loi est la mutualisation des moyens de la gendarmerie et de la police. Ainsi 90 % des marchés d’armement sont-ils mutualisés. Les équipements, l’entretien et la réparation automobile le sont également, de même que sont combinés les ateliers de soutien des deux forces. Il en va de même dans le domaine de la formation des unités chargées du maintien de l’ordre, policiers et gendarmes pouvant être formés dans les mêmes centres. Dans le domaine des systèmes d’information et de communication, une réflexion sur l’unification des matériels et des systèmes est également engagée.
Cette rationalisation n’est pas une mauvaise chose en soi, mais elle créera à la longue des habitudes et une uniformisation qui contribueront aussi à faire disparaître l’identité de chaque force. La mutualisation des moyens et le rapprochement institutionnel ne peuvent que créer des conflits entre les deux institutions.
À cet égard, les moyens octroyés à la gendarmerie dans la dernière loi d’orientation ont été de 20 % inférieurs aux prévisions alors que ceux de la police nationale étaient, eux, bien supérieurs. Le rattachement de la gendarmerie au ministère de l’intérieur risque donc de tourner à la mise en concurrence des deux forces.
Enfin, dans la réalité du terrain, les gendarmes ont l’impression de n’avoir plus que les inconvénients du statut militaire, sans en avoir les avantages. On espère sans doute de cette façon que les gendarmes en viendront eux-mêmes à revendiquer une harmonisation statutaire.
En outre, la coexistence au sein d’un même ministère de deux systèmes, la représentation syndicale pour les policiers et la concertation propre aux militaires pour les gendarmes, incitera tôt ou tard, de facto, les uns et les autres à vouloir aligner leurs statuts.
En valorisant autant l’intérêt de la tutelle unique, vous suscitez des aspirations à une convergence accrue, ce qui est, il faut en convenir, extrêmement habile.
Le rapprochement mis en place par la loi aboutira donc à des revendications croissantes de la part des gendarmes en matière de rémunérations, de temps et de conditions de travail, voire de droit de grève ou de liberté syndicale.
La tendance à l’uniformisation des deux forces ne peut qu’inciter les gendarmes à comparer leur statut à celui des policiers, en particulier sur l’un des principes fondamentaux du statut militaire : celui de la disponibilité.
Il est évident que les principes du statut militaire et les contraintes qui en découlent sont un obstacle à l’établissement d’une « parité globale » avec le statut des fonctionnaires de police.
Or, la disponibilité permanente est l’une des caractéristiques essentielles du statut militaire. En garantissant une présence à faible coût sur tout le territoire, ce statut militaire permet à la gendarmerie, grâce à sa disponibilité, d’assurer l’égalité des citoyens en matière de sécurité.
Ainsi, je reste persuadée, cinq mois après, que, s’il avait été uniquement question de moderniser et de mutualiser les moyens, d’améliorer les conditions d’emploi de ces deux forces et d’assurer une meilleure coopération entre elles, le rattachement auprès de votre ministère ne s’imposait pas.
Mme Michelle Demessine. Les exemples donnés par notre collègue M. Carrère, ainsi que par Mme Klès à l’instant, et la demande qu’ils ont faite à M. le ministre d’établir un bilan d’étape des conséquences de la loi, prennent ainsi tout leur sens. Nous espérons obtenir des réponses précises.
Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.
Ce qu’a fait une loi, une autre loi peut le défaire ! Et elle le défera !
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la question soulevée par notre collègue Mme Klès témoigne de la vigilance du Sénat et de l’attention que les membres de notre assemblée portent à l’application des lois.
Cette même question nous a logiquement amenés à examiner l’état d’avancement de la mise en œuvre de la loi du 3 août 2009 relative à la gendarmerie nationale.
Ce faisant, nous avons constaté que de nombreux décrets prévus par ce texte étaient en attente de publication et que, pour cette raison, d’importantes dispositions n’étaient pas encore entrées en vigueur.
Les mesures réglementaires prises par le Gouvernement ont été publiées il y a moins d’un mois. Je crains donc qu’il ne soit un peu tôt pour évaluer les conséquences du rattachement de la gendarmerie au ministère de l’intérieur.
Marques d’approbation sur les travées de l ’ UMP.
Quoi qu’il en soit, la date de promulgation du texte constitue une contrainte dont nous devons tenir compte.
Pour prématurée qu’elle soit, cette question orale n’en est pas moins intéressante puisqu’elle nous offre l’occasion de demander à M. le ministre de l’intérieur où en est la mise en œuvre de ce texte que nous considérons comme important.
Peut-être pouvez-vous nous indiquer si le rattachement organique et budgétaire de la gendarmerie nationale au ministère de l’intérieur produit effectivement les bénéfices attendus.
L’unicité de commandement permet-elle effectivement de renforcer la coopération entre la police et la gendarmerie en matière de lutte contre la criminalité ? Les échanges d’information entre les deux forces de sécurité sont-ils plus nombreux et plus rapides ?
J’ai constaté avec satisfaction qu’à la suite de l’interpellation en flagrant délit par les gendarmes de Haute-Corse d’un individu qui cambriolait les locaux d’un restaurant le 27 décembre dernier, la cellule anti-cambriolage de ce département a procédé à des recoupements qui ont permis d’imputer pas moins de trente cambriolages à deux individus, pour un butin d’environ 100 000 euros.
Doit-on penser, à la lumière de cet exemple, que ces recoupements ont été facilités par une circulation plus fluide des informations entre policiers et gendarmes ? Y a-t-il des éléments concrets permettant de mesurer les premiers effets du rapprochement ?
Engagée depuis le décret du 19 septembre 1996, la mutualisation des moyens entre la police et la gendarmerie est récente. A-t-elle progressé grâce au rattachement de la gendarmerie au ministère de l’intérieur ?
Pourrait-on nous indiquer comment son application s’articule avec la révision générale des politiques publiques, mais aussi avec la loi de programmation militaire ?
Je salue également la question présentée par Mme Klès en ce qu’elle m’offre l’occasion de faire part de mon étonnement. En effet, j’ai cru observer - mais je suis sûr que l’on va me rassurer - des mouvements de crédits quelque peu surprenants en fin d’année dernière.
Ainsi, un décret du 15 décembre dernier a affecté 23, 5 millions d’euros initialement dévolus au programme 152 de la mission « Sécurité » de la gendarmerie nationale au programme 176 de la police nationale, afin de satisfaire un besoin pressant de rémunérations.
Faut-il y voir un exemple de mutualisation ?
M. Didier Boulaud. C’est le principe des vases communicants ! Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme !
Rires sur les travées du groupe socialiste.
C’est un principe constant de physique, cher collègue, efficace en matière de châteaux d’eau !
Je profite enfin de notre discussion pour redire l’attachement de notre groupe à trois principes très importants, attachement que M. le ministre partage assurément.
Je pense tout d’abord au maintien du statut militaire de la gendarmerie nationale. L’aboutissement du rapprochement issu de la loi du 3 août dernier doit permettre d’accélérer la complémentarité et la coordination de nos deux forces de sécurité.
Ce cheminement ne doit en aucun cas aboutir à une fusion. Toute remise en cause du statut militaire de la gendarmerie serait, à nos yeux, inacceptable, nous souhaitons le réaffirmer ici.
Deuxièmement, nous devons progresser vers une parité globale de traitement et de carrière entre gendarmes et policiers, comme notre collègue Jean Faure l’a évoqué à l’instant. Je crois que les progrès qui doivent être accomplis sur cette voie sont importants à double titre : d’abord, pour une question d’équité, ensuite, parce que c’est l’une des conditions de la pérennité du statut militaire.
Enfin, le principe du libre choix du service enquêteur par l’autorité judiciaire doit être pleinement appliqué et respecté.
Voilà, mes chers collègues, monsieur le secrétaire d’État, les questions et les attentes qui sont les nôtres quelques mois après l’adoption de la loi relative à la gendarmerie nationale.
Notre collègue souhaitait que soit établi un rapport d’étape sur l’application de la loi. Je conviens que l’exercice n’est pas aisé, dans la mesure où l’étape a été brève. S’il nous fallait établir une comparaison entre ce dont nous débattons aujourd’hui et le Tour de France, je dirais que nous n’en sommes qu’au prélude qui précède généralement les grandes étapes.
En tout état de cause, l’exercice n’en est pas moins intéressant et ce débat a de la valeur. Il me permet, pour conclure, outre de faire état des préoccupations de notre groupe, de saluer le dévouement et la compétence de nos policiers et gendarmes, tout particulièrement de ceux qui veillent, entre ces murs, à la sérénité de nos débats.
Applaudissements sur les travées de l ’ Union centriste et de l ’ UMP.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.
Monsieur le ministre, votre prédécesseur, Mme Michèle Alliot-Marie, d’ailleurs présente ici il y a quelques instants, a été – malgré elle, serais-je tenté d’ajouter – la cheville ouvrière de cette loi. Vous en avez hérité et je ne suis pas sûr que vous ayez fait une bonne affaire ! Vous nous donnerez votre sentiment à ce propos dans quelques instants.
La finalité de cette loi était de rapprocher - c’est là un euphémisme - la gendarmerie de la police nationale, sous couvert de rationalisation, d’efficacité et de complémentarité, tout cela dans le cadre de la fameuse révision générale des politiques publiques.
Nous avions eu à l’époque l’occasion de nous exprimer également sur ce sujet inévitablement lié au fonctionnement de la gendarmerie et à sa vocation.
Il y a six mois de cela, nous avons voté contre ce texte. Il est temps à présent de tirer un premier bilan de son application. Même si certains orateurs ont expliqué que la période de six mois était un peu courte pour tirer un premier bilan, j’ai cru comprendre que l’application de cette loi avait été engagée dès le 1er janvier 2009.
C’est l’objet de la question qui vous est aujourd’hui posée par le groupe socialiste du Sénat.
Cette réforme entre, à notre sens, dans le cadre plus vaste d’une fragilisation des services publics, qui se traduit pêle-mêle, singulièrement dans le milieu rural, par une litanie de suppressions touchant tant les tribunaux que la présence postale et aujourd’hui la gendarmerie, tout cela au nom de la rigueur et des économies budgétaires dont on est en droit de se demander si elles peuvent être compatibles avec le principe de sécurité, comme on peut du reste se demander si elles le sont avec les exigences de santé publique.
Cette réforme met en danger un équilibre qui reposait auparavant sur deux forces, la police nationale et la gendarmerie, et porte atteinte à l’identité du corps militaire qu’est la gendarmerie.
Comme l’a fort bien expliqué ma collègue Virginie Klès, le parti-pris idéologique qui a guidé la RGPP fragilise au jour le jour une institution qui a mis plusieurs siècles à aboutir et qui, au moment où je m’exprime, est appréciée par l’ensemble des Françaises et des Français parce qu’elle remplit des fonctions qui inspirent non seulement le respect mais également la confiance.
Déjà, lors de la discussion du projet de loi, le groupe socialiste avait émis de sérieux doutes quant aux véritables motivations du Gouvernement. C’est ainsi qu’en juillet 2009 il dénonçait l’absence d’une analyse sérieuse des spécificités et complémentarités de nos forces de sécurité qui aurait été à même d’éclairer de manière pertinente la rédaction de ce projet de loi.
Il eût été nécessaire de prévoir la consultation au moins des élus locaux, interlocuteurs privilégiés dans ce domaine puisqu’ils se situent à l’interface des services de l’État, de la gendarmerie et bien entendu des citoyens de ce pays.
Tout cela n’a pas été fait et la conclusion à laquelle nous aboutissions alors, avant même l’adoption de cette loi, et qui se vérifie chaque jour davantage, est que le Gouvernement a pour volonté de constituer au plus vite une force unique de sécurité qui sera à terme placée sous l’autorité civile de l’exécutif.
À l’époque, nous nous interrogions en ces termes : pourquoi engager cette réforme, alors que personne ne met en doute la pertinence de la gendarmerie, même si, il est vrai, après plus de deux siècles d’existence, son fonctionnement méritait d’être toiletté et ses moyens renforcés pour plus de performance.
Par conséquent, une telle réforme procède, de notre point de vue, d’un mouvement dangereux tendant à faire sauter la protection que représentaient, pour les institutions de la République et les Français, la chaîne de commandement, la hiérarchie militaire et le système des réquisitions.
Nous sommes plus de six mois après les débats, et les craintes qui avaient été exprimées à l’époque par le groupe socialiste nous semblent malheureusement en voie de confirmation.
La mutualisation des forces de sécurité, qui tend à être banalisée et accrue, aboutirait à un rapprochement fusionnel de la police et de la gendarmerie et elle conduirait mécaniquement à une disparition progressive du statut militaire de cette dernière, qui se trouve déjà en difficulté.
Je pourrais ainsi mentionner la stagnation, voire la diminution des effectifs.
Non, mais cela participe du même affaiblissement, mon cher collègue !
Dans le même temps, – tout le monde, y compris M. le ministre, en conviendra – la démographie de notre pays augmente et on note depuis 2000 une hausse des actes de délinquance, notamment dans les zones rurales.
Aujourd’hui, alors qu’on déplore – c’est vrai – l’insuffisance des moyens matériels mis à disposition de la gendarmerie, on s’attaque en même temps à son identité et à son rôle éminemment spécifique au service de la République.
Ainsi, au-delà de l’intérêt de la population en termes de sécurité, on prendrait donc le risque de se priver d’une institution, ce qui, dans des conditions spécifiques, ferait cruellement défaut. Cela a été évoqué tout à l’heure. Je pense notamment au fait que la gendarmerie, en raison de son statut militaire, est la seule force susceptible de préserver l’autorité du Gouvernement et de défendre les institutions en période de crise grave. Certes, à l’époque actuelle, de tels événements sont rares, voire rarissimes. Mais le risque existe tout de même.
À cet égard, la suppression de la procédure de réquisition, qui fait partie des mesures adoptées dans le cadre de la loi du 3 août 2009, aboutit à dénaturer et à affaiblir l’institution
M. le président de la commission des affaires étrangères s’exclame.
En effet, et n’en déplaise à ceux qui ne partagent pas cette analyse, une telle suppression est en opposition avec les principes républicains relatifs à l’emploi de la force publique dans des conditions précises et aux fondements du statut général des militaires.
Le cumul de tels bouleversements organisationnels et institutionnels s’accompagne d’une mise à disposition des moyens matériels et humains de la gendarmerie, qui, pour les raisons évoquées précédemment, ne sont pas à la hauteur des attentes des citoyens.
Sans doute allez-vous me répondre, monsieur le ministre, que les dotations de ce corps ont connu une hausse entre 2009 et 2010. Mais peut-on considérer une évolution de 0, 6 % comme une véritable hausse ?
De surcroît, vous connaissez aussi bien et peut-être mieux que moi l’insuffisance des moyens matériels. Je pense notamment – cela a été souligné tout à l’heure par Virginie Klès – aux moyens héliportés, qui sont à bout de souffle, au parc automobile, à l’état alarmant de certaines casernes et à l’absence de remplacement des matériaux lourds au service des moyens humains.
Autant d’insuffisances qui transparaissent sur le terrain et dont nos concitoyennes et concitoyens ressentent durement les conséquences.
J’en viens à la question des effectifs.
Les chiffres publiés au mois de novembre 2009 font état d’une perte de 1 354 emplois équivalents temps plein travaillé, qui s’ajoute à la suppression de 1 625 emplois en 2009. Au total, la gendarmerie aura perdu 2 979 équivalents temps plein travaillé, alors que les statistiques de la délinquance mettent en évidence – je l’ai déjà souligné – le besoin d’une force de sécurité de proximité, notamment en milieu rural.
Jusqu’à il y a très peu de temps, un tel rôle était rempli de manière plus qu’honorable et appréciée par des gendarmes, qui sont maintenant rattrapés par une évolution inquiétante des actes de délinquance sur le territoire. Chacun comprendra facilement qu’une telle évolution préoccupe au plus haut point l’ensemble des élus locaux ; il y en a d’ailleurs beaucoup dans cet hémicycle. J’imagine que vous partagez cette préoccupation, monsieur le ministre.
En effet, la crise sociale et économique qui nous frappe n’épargne plus les territoires ruraux. Au lieu de diluer le rôle de la gendarmerie, il aurait été, me semble-t-il, indispensable de renforcer son maillage territorial en assurant une présence la plus efficiente possible des brigades territoriales de proximité. Dans son rôle, la présence de la gendarmerie dépasse largement le seul enjeu sécuritaire, parce que sa spécificité et son intégration séculaire au sein de la population lui permettent d’appréhender également une dimension sociale. Malheureusement, je pense très sincèrement que, dans son application, la loi votée en juillet tourne le dos à cet aspect de la question.
On me permettra d’apporter à cette discussion un éclairage particulier, en évoquant le département que je représente, c'est-à-dire la Haute-Garonne. Ce n’est pas un cas d’espèce par rapport à la situation que j’évoquais, mais j’ai la prétention de connaître un peu mieux la situation de ce territoire que l’ensemble de nos collègues.
Depuis le début des années deux mille, notre département a subi une réorganisation de la gendarmerie. Une telle évolution s’inscrit dans le cadre de la mutualisation décidée en 2002, ce qui a notamment abouti à la création des communautés de brigades, évoquées précédemment.
Parallèlement, notons que les effectifs ont très légèrement « augmenté », puisqu’ils sont passés de 1 119 en 2003 à 1 121 en 2009. §
Sourires
La chance a ses limites, mon cher collègue.
En effet, dans le même temps, la démographie du département a explosé. Vous le savez, la Haute-Garonne accueille chaque année près de 20 000 nouveaux habitants. Un tel ratio permet de relativiser – le mot est faible – l’augmentation très légère de l’effectif, d’autant que, là comme ailleurs, les faits de délinquance ont progressé de manière inquiétante. Je pense notamment aux violences physiques.
En outre, la création des communautés de brigades à moyens humains constants n’a que maladroitement camouflé l’insuffisance des effectifs sur le terrain au plus près des citoyens et la faiblesse des moyens alloués au corps de la gendarmerie, en pénalisant les brigades territoriales de proximité.
À cet égard, monsieur le ministre, j’aimerais vous faire part d’un exemple précis, même si je pense que vous disposez dans votre bureau de tous les vœux et résolutions adoptés par le conseil général de mon département. Je voudrais évoquer le canton de Montastruc-La-Conseillère, dont la force de gendarmerie est rattachée à la communauté de brigades de Fronton.
Cette brigade de proximité, qui est chargée d’un canton de plus de 30 000 habitants répartis sur 12 communes, dispose d’un effectif de 9 gendarmes. Et encore : comme l’un d’entre eux est affecté à des tâches spécifiques, il y a seulement 8 gendarmes sur le terrain. Vous le voyez, avec 9 gendarmes pour 30 000 habitants, le ratio n’est guère favorable…
C’est pourquoi, en 2008, le conseil général a transmis à M. le préfet une proposition de résolution adoptée à l’unanimité tendant à la suppression des communautés de brigades de gendarmerie et au rétablissement d’une brigade cantonale autonome, avec un renforcement du personnel.
Permettez-moi un trait d’humour, monsieur le ministre. À une époque, certains pelotons de gendarmerie de haute montagne – c’était par exemple le cas à Cierp-Gaud – avaient besoin de compter les chiens d’avalanche pour gonfler un peu artificiellement les effectifs…
Sourires
Par ailleurs, les relations entre les élus, la population et la gendarmerie, qui constituaient une composante forte d’une action concertée de terrain deviennent, par la force des choses, de plus en plus épisodiques, compte tenu des charges de travail et de la mobilité importante à laquelle les forces de gendarmerie sont assujetties. L’efficacité de ces dernières était unanimement reconnue, parce qu’elle était notamment liée à leur excellente connaissance des populations et des territoires.
Aujourd’hui, leur terrain d’opération est tellement vaste que l’efficacité de leur action est sévèrement compromise, et ce malgré – cela a été souligné – le dévouement sans faille des gendarmes.
Monsieur le ministre, pour toutes ces raisons, et parce que la mise en application pratique de cette loi, même sur une durée relativement courte, met en évidence des inquiétudes, je conclurai en vous posant une question très simple : pouvez-vous nous apporter des éléments susceptibles de nous faire croire à un avenir pérenne de la gendarmerie nationale ?
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je le dis d’emblée, ce débat me semble quelque peu prématuré. Cela a déjà été souligné, mais je crois qu’il faut le répéter.
En effet, la loi relative à la gendarmerie nationale ne date que du mois d’août dernier. Or, évaluation et contrôle s’accordent mal avec précipitation.
En outre, et je le dis avec un brin de malice, j’ai entendu le terme singulier de « militarité » du gendarme.
Sourires
Mme Gisèle Gautier. Je doute qu’un tel néologisme apporte une clarification à notre débat et à la « bravitude » de nos gendarmes !
Rires et applaudissements sur les travées de l ’ UMP.
Le texte prévoit une évaluation, ce qui est positif. Tous les deux ans, le Gouvernement devra rendre un rapport au Parlement. Par conséquent, et bien que l’encre de ce texte ne soit pas encore sèche et que le terme des deux années ne soit pas arrivé, nous nous soumettons évidemment à cet exercice.
Avant tout, je tiens à saluer le remarquable travail de notre collègue Jean Faure et de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées sur le sujet.
S’il est prématuré de dresser aujourd'hui un premier bilan d’un tel dispositif, notre débat nous offre toutefois l’occasion de mettre un frein à la désinformation perpétuelle – j’allais dire « quotidienne » – selon laquelle forces de police et gendarmerie fusionneraient.
Ce rattachement est administratif ; ce n’est pas une OPA de la police sur la gendarmerie ! Il s’agit avant tout de créer les meilleures conditions de collaboration entre forces de police et unités de gendarmerie.
Que je sache, la loi du 3 août a confirmé le statut militaire des gendarmes ! Pour avoir, comme vous tous, rencontré les officiers et les sous-officiers sur le terrain, je sais qu’ils sont aujourd'hui rassurés sur leur devenir comme militaires exerçant des fonctions de police. Pour autant, ils sont également très attentifs au respect de l’équilibre entre les deux forces de sécurité issues du ministère de l’intérieur, notamment d’un point de vue budgétaire.
Monsieur le ministre, j’aimerais attirer votre attention sur un élément. De grâce, ne refaisons plus ce qui s’est pratiqué, c'est-à-dire le transfert des crédits du titre 2 des personnels de la gendarmerie au titre 2 de la police ! Vous savez à quoi je fais allusion. Il ne faut pas que cela se reproduise.
La loi du 3 août 2009 consacre les missions de la gendarmerie et les enrichit. Elle n’altère pas le modèle français de dualité des forces de sécurité intérieure, qui n’est en aucun cas – je le répète – remis en cause. De même, le statut militaire de la gendarmerie a été et sera préservé, conformément à la volonté exprimée par le Président de la République.
En tant que sénateur et membre de la commission des affaires étrangères et de la défense, et sous l’autorité de son président, M. Josselin de Rohan, je souhaite souligner le rôle primordial de la gendarmerie nationale, tant dans les domaines de police judiciaire qu’au regard de son nécessaire ancrage territorial, en particulier dans les zones rurales. Les militaires sont attachés à leur « culture d’entreprise » et à leur proximité avec la population, la réciproque étant vraie.
Cette loi, dont nous ne pouvons pas encore observer tous les effets concrets, puisque – je l’ai souligné précédemment – nous ne disposons que de peu de recul, a permis de réaffirmer les compétences de la gendarmerie pour assurer la sécurité et l’ordre publics.
Désormais, les missions de la gendarmerie sont réunies dans un seul texte. Elles sont constituées par l’exécution des lois, les missions judiciaires, dont, au premier chef, la police judiciaire – c’est un point important –, le renseignement et l’information des autorités publiques.
La mission de défense est réaffirmée, et ce à un moment où notre pays doit faire face à de plus en plus de menaces. Ne l’oublions pas, les gendarmes ont un rôle majeur dans la lutte contre le terrorisme et la sécurité des armements nucléaires.
En rattachant administrativement la gendarmerie au ministère de l’intérieur, cette loi a fixé des conditions très précises quant au rôle et l’autorité du préfet vis-à-vis des gendarmes.
Contrairement à ce que l’on a pu entendre dire, le principe hiérarchique n’a pas été remis en cause. Le préfet n’exerce et n’exercera pas le commandement des unités. Non seulement le principe hiérarchique est respecté, mais en outre il a été modernisé.
Concernant la réquisition pour l’emploi des unités de gendarmerie au maintien de l’ordre et le recours aux moyens militaires spécifiques, la loi prévoit une procédure d’autorisation dont les conditions sont définies par décret en Conseil d’État.
Enfin, je souhaite rendre hommage aux gendarmes. Au quotidien, que ce soit sur le territoire national ou en OPEX – je pense à la mission « Harpie » en Guyane ou aux hommes qui participent en Afghanistan à formation des unités afghanes –, ils font preuve de courage et d’excellence.
Au prétexte d’éviter des « doublons », le terme a été employé ici ou là, ne les cantonnons surtout pas dans des missions moins gratifiantes. Cela aurait pour effet de les transformer en troupes « supplétives », pardonnez-moi l’expression, de la police nationale. Ce ne serait pas une bonne chose, car cela priverait l’État de leurs très grandes capacités de police aptes à être engagées en tout temps, sans préavis, sur toutes les crises majeures.
Je conclurai, monsieur le ministre, mes chers collègues, en affirmant que la cohérence « lolfienne » du rattachement de la gendarmerie au ministère de l’intérieur doit se traduire par une capacité opérationnelle accrue.
De ce point de vue, une attention particulière doit être portée à quatre dossiers sensibles : le positionnement du corps des officiers de gendarmerie par rapport aux commissaires de police ; la parité des sous-officiers et gardiens de la paix gradés ; les conclusions que l’on attend de l’audit sur la mission de renseignement ; l’exercice de la mission de police judiciaire, exercice auquel il faut rester particulièrement attentif.
Voilà, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’essentiel de ce qui peut aujourd'hui être souligné sur ce sujet.
Applaudissements sur les travées de l ’ UMP.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après les interventions de mes amis Jean Faure et Gisèle Gautier, je souhaite apporter quelques compléments d’information.
J’approuve, naturellement, pleinement Jean Faure dont l’autorité est reconnue comme rapporteur des crédits de la gendarmerie et comme rapporteur du projet de loi. J’adhère également pleinement à ce que vient de dire Gisèle Gautier sur le caractère militaire de la gendarmerie.
Sur ce point, une fois encore, je rappelle que la loi est explicite : les gendarmes sont des militaires, et tout a été mis en œuvre dans le texte pour veiller à ce qu’ils le restent.
Madame Klès, il est vrai que des gendarmes sont employés dans des OMLT – Operational Mentoring Liaison Team – en Afghanistan, ce qui prouve de toute évidence qu’il s’agit bien de militaires, car les policiers ne sont jamais requis pour ce type d’opération en Afghanistan et sont chargés d’autres tâches.
À ce propos, je tiens à souligner que les gendarmes se sont parfaitement comportés récemment dans une OMLT qui a fait l’objet d’une attaque armée. Ils ont riposté avec beaucoup de courage et en faisant preuve de toutes les vertus militaires que l’on peut attendre d’un soldat.
Par ailleurs, il n’a jamais été question, madame Klès, je ne sais pas où vous êtes allée prendre une telle information, d’envoyer en Afghanistan des gendarmes pour effectuer des tâches qui sont normalement confiées aux militaires. Il n’a jamais été question d’envoyer des gendarmes mobiles dans des bataillons français d’intervention, par exemple. Pourquoi racontez-vous de pareilles histoires ? §
De plus, mes chers collègues socialistes et communistes, puisque vous êtes si attachés au caractère militaire de la gendarmerie, pourquoi M. Boulaud nous présente-t-il assez régulièrement des amendements tendant à autoriser les gendarmes à être syndiqués : s’il y a un moyen de rapprocher la condition des policiers de celle des gendarmes, c’est bien de syndicaliser la gendarmerie !
Monsieur Boulaud, le gouvernement socialiste a eu un ministre extrêmement éminent en la personne de Charles Hernu. Or, j’ai entendu celui-ci en 1983 affirmer, lors d’un congrès d’anciens de la gendarmerie, que, s’ils voulaient définitivement couper les liens entre lui-même et leurs associations, ils n’avaient qu’à continuer à demander que les gendarmes se syndiquent.
Voilà un républicain qui a été extrêmement ferme. Les gendarmes, parce qu’ils sont militaires, ne peuvent justement pas se syndiquer.
Mes chers collègues, mettez de la cohérence dans vos déclarations !
De surcroît, monsieur Mirassou, si vous pensez vraiment que le rattachement de la gendarmerie au ministère de l’intérieur contrevient à tous les principes de la République, pourquoi n’avez-vous pas saisi le Conseil constitutionnel sur la loi ? S’il y avait eu la moindre atteinte aux principes républicains, le Conseil constitutionnel aurait censuré le texte, car on ne peut, vous le savez bien, l’accuser d’être systématiquement à l’écoute du Gouvernement.
Une fois de plus rappelons que tout ce qui est exagéré ne compte pas !
Dans les remarques de Mme Demessine, j’ai été très étonné d’entendre que le fait de vouloir mutualiser un certain nombre de ressources était contraire à l’esprit républicain.
Je ne vois pas en quoi chercher à réaliser des économies en mutualisant, par exemple, l’achat ou l’entretien d’hélicoptères entre la gendarmerie et la police alors qu’elles effectuent les mêmes missions, mais dans des zones différentes, contreviendrait aux principes républicains ? Pourquoi ne pourrions-nous pas acheter en commun des armes qui peuvent être utilisées par les uns et par les autres ? Il ne faut tout de même pas pousser le trait trop loin !
Enfin, en ce qui concerne la RGPP, il est parfaitement normal que l’on recherche à adapter le service public à ses nouvelles fonctions, par exemple, en diminuant le nombre de gardes des gendarmes dans les palais nationaux. Il est tout à fait légitime également, et notre ami Jean Faure l’a réclamé à plusieurs reprises, de chercher à réduire le rôle de la gendarmerie dans les transfèrements, cela permettrait de réaliser une bonne économie.
Par ailleurs, en quoi le fait de diminuer un certain nombre d’emplois administratifs constituerait une révolution et empêcherait la gendarmerie de fonctionner ?
Bien entendu, nous avons toujours souhaité le maintien des effectifs opérationnels de la gendarmerie. Il n’est pas question, à ma connaissance, de supprimer des brigades. Affirmer une telle chose relève tout simplement du procès d’intention.
Nous serons d’ailleurs très vigilants sur ce point lorsque le bilan nous sera présenté par le ministre de l’intérieur. Connaissant ce dernier, je ne doute pas qu’il souscrira aux engagements qui ont été pris par son prédécesseur.
Je terminerai mon propos sur les écoles de formation de la gendarmerie. Après la chute du mur de Berlin, en 1990 ou en 1991, un certain nombre de régiments ont été supprimés, ce qui était déjà une adaptation, et on a repris à la gendarmerie les bâtiments libérés. Des écoles y ont été installées, ce qui n’était pas indispensable. Je rappelle que l’actuelle majorité n’était pas au gouvernement dans les années quatre-vingt-dix.
Aujourd'hui, les écoles qui n’étaient pas nécessaires ont été supprimées. Il vaut beaucoup mieux, mes chers collègues, avoir un nombre réduit d’écoles fournissant toute la gamme des formations dont les gendarmes ont besoin pour leur instruction que de multiplier des écoles à faibles effectifs et ne pouvant dispenser les enseignements nécessaires.
Mes chers collègues, nous comprenons très bien qu’il faille être vigilant sur l’application de la loi. Nous comprenons en revanche moins bien les psychodrames.
En tout état de cause, je puis vous fournir l’assurance que la commission des affaires étrangères, comme toujours, veillera pleinement à ce que les engagements souscrits par le ministre qui a défendu à l’époque la loi sur la réforme de la gendarmerie soient appliqués.
Applaudissements sur les travées de l ’ UMP.
Elle a tellement été vigilante qu’elle n’a pas voté le budget de la gendarmerie !
Monsieur le président, monsieur le président de la commission, mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite tout d’abord évoquer la tragédie qui frappe Haïti, où, comme vous le savez, un séisme de forte magnitude a dévasté toute la partie ouest de l’île.
De très nombreux bâtiments se sont effondrés ou ont été fortement endommagés, et nous déplorons de très nombreuses victimes. Nous sommes actuellement sans nouvelle d’environ 200 ressortissants français.
Je partage l’inquiétude de la gendarmerie pour deux gradés qui servaient en Haïti sous la bannière de l’ONU et dont nous sommes sans nouvelle, comme me l’a rappelé ce matin le général Gilles.
J’ai naturellement demandé que le maximum de moyens disponibles soient acheminés le plus rapidement possible sur place afin que nous puissions contribuer aux recherches et aux secours.
Dans ce cadre, je précise en préambule à la Haute Assemblée que des renforts comprenant trente-six gendarmes, pour sécuriser et éviter les débordements, les excès, les pillages et les atteintes diverses pouvant survenir lors de drames de cette nature, et soixante pompiers ont été acheminés immédiatement à partir de la Martinique. Quatre détachements d’environ soixante-dix hommes comprenant des pompiers et des gendarmes sont également envoyés à partir de la métropole. Deux détachements sont déjà arrivés sur place.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de l’occasion qui m’est offerte aujourd’hui de pouvoir m’exprimer devant la Haute Assemblée sur la situation actuelle de la gendarmerie nationale ainsi que sur les perspectives d’évolution ouvertes par la loi du 3 août 2009.
Autant le dire tout de suite, cela ne surprendra personne, je partage l’avis Mme Gisèle Gautier et de MM. Jean Faure et Joseph Kergueris : il est encore beaucoup trop tôt pour dresser un bilan.
Je suis le premier motivé par l’établissement d’un bilan, mais encore faut-il laisser passer un peu de temps pour pouvoir mesurer les effets, apprécier les correctifs et les améliorations à apporter, s’il y en a, et estimer les aspects positifs.
J’observe que le législateur a souhaité que le Gouvernement effectue, au bout de six mois, un bilan des textes d’application de toutes les lois promulguées.
S’agissant plus particulièrement de la loi relative à la gendarmerie, j’ajoute qu’un rapport spécifique doit être publié tous les deux ans, en plus des points qui seront évidemment faits lors de chaque discussion budgétaire.
Puisque les clauses de rendez-vous existent déjà, il aurait été peut-être opportun d’attendre les échéances normales, sans compter qu’à force de faire des bilans nous risquons d’en oublier l’objectif.
Cela étant, j’ai bien entendu les observations que vous avez faites et que Jean-Marie Bockel m’a rapportées il y a quelques instants. Elles témoignent toutes de notre attachement commun à la gendarmerie nationale.
Un des hommages que je rends régulièrement à la gendarmerie est de savoir s’imprégner du tissu local, de nouer avec les élus locaux des liens personnels forts. C’est le talent de la gendarmerie que de savoir le faire avec autant d’habileté et d’efficacité.
Sur toutes les travées, vous avez manifesté votre volonté de pérenniser et de conforter une institution qui assure avec efficacité et proximité un service public de sécurité.
En revanche, je m’inscris en faux contre les allégations et les insinuations formulées à l’encontre du Gouvernement concernant l’avenir de cette institution.
Je n’ai pas à douter a priori de la sincérité des uns et des autres, notamment de M. Mirassou, mais je ne peux pas partager leurs inquiétudes !
Conformément aux orientations du Président de la République, nous avons mis en œuvre une architecture rénovée de la sécurité, dans le respect de l’identité des deux forces, gendarmerie et police nationales. M. le président de Rohan a évoqué les déclarations de mon prédécesseur Michèle Alliot-Marie : à aucune étape de la discussion, vous n’avez entendu dans sa bouche le mot « fusion ». Quand j’ai pris mes fonctions de ministre de l’intérieur, j’ai poursuivi la discussion de ce projet de loi devant l’Assemblée nationale et pas une seule fois je n’ai évoqué la fusion : au contraire, j’ai toujours précisé qu’il s’agissait de maintenir deux entités distinctes.
Puisque Mme Klès parlait de méthode, je souhaiterais rappeler d’abord d’où nous venons, pour vous exposer ensuite vers où nous allons et comment.
La loi du 3 août 2009 est une loi importante, elle constitue la première réforme d’envergure pour la gendarmerie depuis deux siècles : M. Jean Faure a rappelé le caractère historique de ce texte, je n’y reviens donc pas. Depuis 2002, la gendarmerie était placée pour emploi auprès du ministre de l’intérieur pour ses missions de sécurité intérieure. Depuis mai 2007, les ministères de l’intérieur et de la défense définissaient conjointement ses moyens budgétaires, et la loi de finances pour 2009 a placé le programme « Gendarmerie » sous l’unique responsabilité du ministre de l’intérieur. Mais il restait à régler la question du rattachement organique de la gendarmerie au ministère de l’intérieur.
Nous sommes donc allés au bout de cette logique et ce rattachement a été réalisé : comme vous le savez, et comme j’ai eu l’occasion de le rappeler il y a quelques instants, lors d’une présentation à la presse, depuis le 23 novembre 2009, le directeur général de la gendarmerie nationale et son cabinet sont installés au ministère de l’intérieur, place Beauvau.
Il était essentiel de conduire cette réforme sans porter atteinte à ce qui constitue l’identité de la gendarmerie et il fallait donc, pour dissiper tout malentendu, réaffirmer clairement le statut militaire de cette institution. J’ajoute que cette évolution s’inscrit dans le mouvement plus global de la modernisation de l’État territorial et, par voie de conséquence, du ministère de l’intérieur.
Le rattachement de la gendarmerie nationale au ministère de l’intérieur répond d’abord à une exigence d’efficacité. N’oublions pas que nos compatriotes n’entrent pas dans ces détails d’organisation, mais nous demandent tout simplement d’assurer leur protection. Ils expriment une attente d’autorité, de protection, de justice et nous devons donc réfléchir au meilleur moyen de répondre à cette triple attente. Je pense que cette initiative apporte une réponse, en nous permettant de nous adapter en permanence, dans nos modes d’action et dans notre organisation.
Chacun en sera d’accord, une plus grande efficacité suppose d’abord une meilleure cohérence dans l’utilisation des moyens. C’est pour cette raison que ce rapprochement s’est imposé comme une nécessité, dont je suis convaincu qu’elle sera démontrée : je vous donne rendez-vous dans quelque temps. Les mutualisations entre la police et la gendarmerie améliorent l’efficacité opérationnelle tout en diminuant les coûts, sans pour autant conduire à la fusion de nos deux institutions.
J’ai bien entendu, naturellement, vos interrogations portant sur les effectifs, mesdames, messieurs les sénateurs. Cet argument est recevable, mais permettez-moi de vous faire part de deux réflexions.
Premièrement, notre pays a créé un million d’emplois dans les services publics depuis vingt ans. Croyez-vous sincèrement que ce processus peut continuer indéfiniment ? La France est certes une grande puissance, mais elle est touchée, comme tous les autres pays, par une crise très importante : pensez-vous que nous pourrons continuer à créer toujours davantage d’emplois dans les services publics ?
Franchement, si vous le pensez, n’hésitez pas à le dire à l’opinion publique !
Deuxièmement, la question des effectifs est bien sûr importante. Mais, pour répondre à la demande de protection, d’autorité et de justice exprimée par nos concitoyens, il ne suffit pas de prévoir des effectifs, il faut aussi repenser l’organisation, la méthode, les moyens matériels, techniques et scientifiques. Ne résumez pas l’enjeu à une question d’effectifs, parce que ce serait une simplification abusive !
Beaucoup de projets ont été conduits en commun par la police et la gendarmerie avant la loi du 3 août 2009 : je pense notamment à l’acquisition d’équipements, tels les véhicules ou l’armement ; je pense aussi à la mise en commun de certains moyens coûteux, tels les hélicoptères, dont la mise à disposition au profit de la police évite une acquisition redondante. Cette mutualisation fonctionne bien : la police peut désormais utiliser un certain nombre d’hélicoptères de la gendarmerie, alors qu’elle était auparavant limitée à un partenariat avec la sécurité civile. Nous avons donc élargi notre palette de moyens afin de renforcer notre efficacité ; les travaux se poursuivent dans ce sens, avec la mutualisation des formations spécialisées des enquêteurs, des motocyclistes, des équipes cynophiles ou des plongeurs, par exemple.
De plus, la définition de normes communes et de systèmes compatibles en matière d’information et de communication permettra de développer des programmes d’équipements adaptés aux besoins des deux institutions. Vous savez qu’aujourd’hui la police, la gendarmerie et la sécurité civile utilisent trois systèmes de communication différents, les réseaux ACROPOL, RUBIS et ANTARES : il faut naturellement évoluer vers un système commun. Ne vous y trompez pas : pas un seul de vos électeurs ne connaît l’existence de ces trois systèmes, ils sont même tous convaincus que nous avons déjà évolué sur ce point. Cette évolution indispensable doit donc être poursuivie : rechercher la rationalisation des dépenses publiques est un objectif que nous partageons tous !
J’observe avec satisfaction que Mme Escoffier, initialement inquiète, exprime aujourd’hui sa satisfaction : vous connaissez bien, madame la sénatrice, par votre expérience d’élue, mais aussi par votre expérience professionnelle, cette situation et vous constatez que cette nouvelle organisation porte déjà ses fruits.
Désormais directeur d’une administration centrale du ministère de l’intérieur, le directeur général de la gendarmerie nationale est installé avec son cabinet, comme je l’ai déjà dit, depuis le 23 novembre 2009, place Beauvau. Au-delà des mots, il s’agit d’une réalité humaine concrète : la discussion s’instaure immédiatement avec le directeur général de la police ; pour les réunions, il n’est plus besoin de courir les uns après les autres à travers Paris. Un nouveau mode de fonctionnement humain s’est donc établi au quotidien et cette nouvelle situation permet d’associer la gendarmerie aux décisions beaucoup plus en amont qu’auparavant, parce que le directeur général de la gendarmerie nationale bénéficie, avec ses collaborateurs, d’une nouvelle proximité avec le ministre et son cabinet – nous nous voyons tous les jours –, le directeur de la police ou les représentants de la préfecture de police, etc. Le fonctionnement concret est désormais beaucoup plus clair et beaucoup plus simple. Cette implantation permet également d’améliorer la connaissance mutuelle et crée ainsi les conditions d’une véritable cohésion entre les deux forces de sécurité de la République.
De fait, monsieur Kergueris, les échanges d’informations entre la police et la gendarmerie sont effectivement beaucoup plus rapides, plus denses et plus intenses, ce qui ne peut avoir qu’une traduction bénéfique sur le terrain dans la lutte contre la délinquance.
La meilleure démonstration de la pertinence de notre choix nous est donnée par les résultats : je les ai communiqués publiquement ce matin et je n’y reviendrai pas dans le détail, l’occasion se présentera certainement lors d’autres débats. Cette année, la délinquance baisse une nouvelle fois. Vous vous en souvenez certainement, sur les huit premiers mois de l’année, la tendance était à la hausse, mais cette hausse a été bloquée en septembre et inversée de manière forte en octobre, novembre et décembre
Exclamations sur les travées du groupe socialiste.
… de telle sorte que nous pouvons terminer l’année avec une baisse générale de la délinquance supérieure à celle de l’année dernière. Si nous avons pu inverser la tendance en quatre mois, cela prouve qu’une volonté, une détermination, une mobilisation, une organisation différente ont permis d’obtenir des résultats. Cette tendance à la baisse est donc confirmée pour la septième année consécutive. La gendarmerie nationale contribue largement à ces résultats puisque, dans sa zone de compétences, nous avons enregistré une baisse de la délinquance de 2, 1 %. M. Kergueris a donc eu raison de souligner la qualité du travail des gendarmes, accompli dans le seul souci de la sécurité de nos concitoyens.
La loi du 3 août 2009 est la meilleure garantie d’un maintien du statut militaire de la gendarmerie, qui a été réaffirmé depuis deux siècles de manière constante et qu’il n’a jamais été question de remettre en cause. La police et la gendarmerie ont chacune leur culture, leur histoire, leur identité. Je pense même que la différence de statuts, loin de constituer un handicap, peut s’avérer un atout, car elle apporte une forme de diversité.
Dès l’annonce de sa volonté de rattacher la gendarmerie au ministère de l’intérieur, le Président de la République s’est engagé publiquement, clairement et sans ambiguïté à maintenir et garantir le statut militaire de l’arme.
La gendarmerie nationale conserve une pleine compétence en matière de police judiciaire, d’ordre public, de missions de renseignement ou dans le domaine international, comme l’ont rappelé à juste titre le président Josselin de Rohan et Mme Gautier.
En outre, par le respect du principe des zones de compétence territoriale, il n’est pas question de diminuer les effectifs d’une force pour renforcer l’autre, mais d’assurer une meilleure coordination sur le terrain et un appui mutuel lorsque les circonstances l’exigent.
L’équilibre passe également par la parité globale de traitement, qui ne signifie pas que toute mesure prise pour une force doive se traduire strictement à l’identique pour l’autre. Il est, en revanche, indispensable que la mise en œuvre d’une mesure concernant une force puisse être évaluée à l’aune de ses conséquences sur l’autre force, afin que le traitement des personnels de chacune soit globalement équilibré, comme l’a rappelé avec raison M. Kergueris.
Comme l’a souligné Jean Faure, la loi définit la gendarmerie comme « une force armée instituée pour veiller à l’exécution des lois ». L’expression « force armée » n’est pas une simple formule : il est défini précisément par le code de la défense et le protocole additionnel aux conventions de Genève.
Si la loi indique clairement que la gendarmerie est placée sous l’autorité du ministre de l’intérieur, elle reste cependant sous l’autorité du ministre de la défense pour l’exercice de ses missions militaires. Ce partage est tout à fait simple, clair, net et transparent !
La loi précise également les sujétions et obligations particulières fixées aux officiers et sous-officiers en matière d’emploi et de logement en caserne, maintenant ainsi la capacité de la gendarmerie départementale à assurer ses missions à tout moment et en tout lieu dans sa zone de compétence territoriale. Cela signifie que l’ancrage territorial de la gendarmerie, auquel vous êtes tous attachés, mesdames, messieurs les sénateurs, est préservé et conforté. Je précise bien, une nouvelle fois – il vaut mieux se répéter que se contredire ! – que nous n’avons aucune volonté, affichée ou latente, de « démilitariser » la gendarmerie.
Bien au contraire, j’ajoute que le recrutement dans les grandes écoles militaires des officiers et la formation initiale et spécifique des gendarmes sont maintenus ; que le ministère de la défense continue d’assurer une partie des soutiens, qu’il s’agisse de la santé, du paiement de la solde ou du transport opérationnel ; que la concertation dans la gendarmerie reste soumise aux règles en vigueur au sein des forces armées.
Sur ce dernier point, M. le président de Rohan évoquait tout à l’heure des propositions du sénateur Boulaud qui se voulaient « décoiffantes ». Je n’ai pris mes fonctions au ministère de l’intérieur qu’au mois de juin, mais j’ai déjà pu constater que les gendarmes savent parfaitement se faire entendre ! Ils savent passer par le canal des associations d’anciens officiers, ce qui permet aux messages de passer assez vite. Parfois même, quand je me déplace dans les brigades et les casernes, les conjoints de gendarme savent très clairement exprimer, avec le sourire mais parfois avec fermeté, leurs messages.
En raison du caractère militaire du statut, la création de groupements professionnels demeure proscrite : on ne peut pas à la fois demander le respect de l’identité militaire et la battre en brèche ! Il faut choisir : soit on demande le maintien de l’identité militaire de la gendarmerie et on est contre la création de groupements professionnels, soit on y renonce et on en tire un certain nombre de conséquences. Mais on ne peut pas vouloir les deux à la fois, sans s’exposer à un risque d’incohérence !
Dans le même esprit, la participation des gendarmes aux opérations extérieures, dans un cadre militaire ou civilo-militaire, permet de maintenir et de renforcer les liens avec leurs camarades des autres armées.
C’est le cas en Afghanistan, comme plusieurs d’entre vous l’ont évoqué. La gendarmerie nationale y forme la police afghane dans les conditions d’un théâtre de guerre. J’ai d’ailleurs assisté, avec le général Roland Gilles entre autres, au départ de 150 militaires qui exercent, dans des zones extrêmement sensibles, une mission particulièrement difficile et, pour être tout à fait clair, périlleuse. Je me rendrai sur place au mois de mars ou d’avril.
Ainsi, à l’instar de Mme Gautier et de M. Faure, je veux souligner la qualité de l’engagement et la compétence de nos gendarmes à l’étranger.
Enfin, la gendarmerie nationale participe à la modernisation du ministère de l’intérieur et de l’action de l’État territorial.
Sa relation avec les préfets est rénovée et clarifiée, comme l’ont également souligné Mme Gautier et M. Faure.
Selon les termes de la loi, dans le respect du statut militaire pour ce qui concerne la gendarmerie nationale, le responsable du commandement de la gendarmerie nationale est placé sous l’autorité du préfet et lui rend compte de l’exécution et des résultats de ses missions.
Sa première des missions consiste, bien entendu, à lutter contre la délinquance et à assurer la sécurité de nos concitoyens, grâce à une présence physique de proximité à leurs côtés. Tel est l’objectif prioritaire que j’ai fixé aux responsables de la gendarmerie.
Les textes d’application de la loi du 3 août 2009 relative à la gendarmerie nationale ont été publiés ou sont en cours d’élaboration.
Comme l’a remarqué M. Jean Faure et pour répondre à l’interrogation de M. Joseph Kergueris, nous avons progressé, puisque 17 décrets et 9 arrêtés ont d’ores et déjà été publiés.
Les travaux se poursuivent dans un cadre interministériel et à un rythme soutenu. Il reste une vingtaine de textes à élaborer ou à toiletter. Je voudrais donc rassurer M. Kergueris sur la dynamique engagée. Nous serons très clairement au rendez-vous !
De par la suppression de la réquisition, la représentation nationale a souhaité encadrer précisément l’usage des armes, ce qui constitue une garantie, tant pour nos concitoyens que pour les militaires de la gendarmerie. Comme je m’y étais engagé lors de la présentation du texte, un décret d’application est en cours d’élaboration. Ce décret garantira une traçabilité complète des ordres donnés. De cette façon, je pense répondre à l’interrogation et au souhait de M. Jean Faure.
Il en sera de même, bien entendu, s’agissant des moyens militaires spécifiques de la gendarmerie utilisés dans le cadre du maintien de l’ordre.
En outre, je tiens à préciser que nous modernisons nos méthodes de lutte contre la délinquance.
Les règles en vigueur concernant la compétence territoriale tant de la police que de la gendarmerie ne sont pas remises en cause. Toutefois, des redéploiements entre les deux forces sont effectivement possibles. Ils sont même souhaitables en ce qu’ils permettent d’améliorer la cohérence et l’efficacité du dispositif de lutte contre la délinquance.
Le rapprochement des deux forces au sein du ministère de l’intérieur permettra de trouver, j’en suis convaincu, les répartitions les plus adaptées aux situations locales. Cela doit se faire au cas par cas et en étroite concertation avec les élus.
Tel est d’ailleurs l’objectif de la création de la police d’agglomération et de la police des territoires.
II s’agit tout simplement d’adapter l’organisation territoriale des forces de sécurité aux bassins de vie et de délinquance en mettant en place, ce qui constitue pour moi une préoccupation majeure, un commandement cohérent sur une zone donnée. Le dispositif doit, dans ce domaine également, être totalement transparent.
Comme le savent les élus parisiens, altoséquanais ou val-de-marnais qui sont présents, j’ai créé la police d’agglomération en septembre 2009, à Paris et dans les départements de la petite couronne – Val-de-Marne, Hauts-de-Seine, Seine-Saint-Denis.
MM. Philippe Dominati et Christian Cambon acquiescent.
J’ai par ailleurs demandé aux préfets concernés de conduire une concertation avec les élus pour étendre ce type de dispositif à Lille, Lyon et Marseille. Je souhaite vivement que cette concertation soit menée et je signale à ceux d’entre vous qui ne suivent pas en détail le déploiement de la police d’agglomération que les résultats obtenus sont très impressionnants. Je vous invite, mesdames, messieurs les sénateurs, à vous pencher dessus, car nous pouvons certainement en tirer des leçons.
En ce qui concerne la gendarmerie nationale, nous procéderons à une mise en place très officielle de la police des territoires en 2010. Celle-ci a vocation à protéger l’espace et les flux, encore une fois en adaptant les modes d’action et en décloisonnant les zones d’intervention de ses unités.
Avant de conclure mon intervention, je souhaite répondre à M. Jean-Jacques Mirassou, qui me semble avoir fait une petite confusion lorsqu’il a avancé, pour les effectifs de sa brigade, un chiffre de neuf, voire huit gendarmes. Sur la communauté de brigades concernée, ces effectifs s’élèvent à près d’une trentaine de gendarmes. Pour être précis et complet, il aurait donc fallu citer ces deux éléments : on compte bien une trentaine de gendarmes pour le bassin de population que M. Mirassou a évoqué.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, la loi relative à la gendarmerie nationale est, dans notre esprit, une nécessité pour la sécurité de nos concitoyens. Elle engage une réforme de fond, qui s’inscrit dans le long terme et qui ne pourra qu’amplifier nos résultats en matière de lutte contre la délinquance.
Il s’agit, non pas d’une révolution, mais d’une évolution. Cette évolution était nécessaire pour adapter les moyens aux besoins de notre époque, sans mettre en cause les spécificités qui font l’efficacité d’ensemble des forces de sécurité intérieure.
Soyez certains que je veille à ce qu’elle se fasse dans un souci d’équilibre, de complémentarité et d’efficacité, et je saisis cette occasion pour rendre hommage, devant le Sénat, aux militaires de la gendarmerie nationale et à l’ensemble des forces de sécurité intérieure. Je leur exprime mon soutien, mon affection et ma confiance dans l’action qu’ils mènent au service de la paix publique et du respect du droit.
Applaudissements sur les travées de l ’ UMP et de l ’ Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
En application de l’article 83 du règlement, je constate que le débat est clos.
Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.
La séance est suspendue.
La séance, suspendue à douze heures cinquante, est reprise à quinze heures, sous la présidence de M. Roland du Luart.