Bien sûr que si !
Autrement dit, la majorité fait en sorte que l’initiative parlementaire ne s’applique pas dans certains domaines. En effet, ce débat pourrait avoir lieu s’il existait une égalité entre l’initiative législative du Parlement et celle du Gouvernement, ce qui n’est pas le cas.
Toutefois, nous estimons, quant à nous, que l’heure viendra où le Parlement devra se saisir de son propre devenir, s’interroger sur son rôle et sa place dans l’architecture institutionnelle de notre pays, proposer et faire adopter des dispositions de rééquilibrage entre les pouvoirs exécutif et législatif.
Voilà pour le contexte.
Sur le fond, nous avions exposé en 2007 notre position quant au statut actuel du Président de la République.
Il n’est pas contestable, pour nous, que la fonction du chef de l’État doit être protégée, mais nous considérons que, en dehors des actes commis par ce dernier dans le cadre de sa charge, et à tout moment, un seul principe doit prévaloir, celui qui fait du Président de la République un citoyen comme les autres. À ce titre, le chef de l’État doit être redevable de ses actes devant les tribunaux de droit commun, y compris au cours de son mandat.
Nous n’adoptions pas à l’époque une attitude provocatrice, puisque nous rejoignions une tradition forte de la doctrine constitutionnelle française, symbolisée par l’éminent professeur Léon Duguit. Celui-ci, évoquant en 1924 l’article 6 de la loi constitutionnelle du 25 février 1875, indiquait ceci : « Le président n’est responsable que dans le cas de haute trahison. On s’est demandé quelquefois si cette formule excluait la responsabilité du président pour les infractions de droit commun. Évidemment, non. Dans un pays de démocratie et d’égalité comme le nôtre, il n’y a pas un citoyen, quel qu’il soit, qui puisse être soustrait à l’application de la loi et échapper à la responsabilité pénale. » Mes chers collègues, c’était le régime applicable en 1875... Depuis lors, nous avons en quelque sorte avancé à reculons !
Jean Foyer, ancien garde des sceaux, l’un des pères de l’article de la Constitution dont nous discutons, rappelait, en s’opposant au Conseil constitutionnel, que le Président de la République devrait être considéré sur le plan pénal comme un simple citoyen, en dehors de l’exercice de ses fonctions bien entendu.
Ainsi, responsabilité et inviolabilité sont-elles aujourd’hui organisées : le Président de la République est irresponsable ad vitam aeternam des actes commis dans le cadre de ses fonctions, et, pour les autres, il faudra attendre la fin de son mandat !
Or, nous le savons tous, une instruction engagée cinq ans ou plus probablement dix ans après les faits reprochés perd fortement de ses moyens et de son efficacité.
En 2007, nous avions défendu une position claire, qui reprenait une idée portée par l’Assemblée nationale en 2001 : les tribunaux communs doivent être compétents pour les actes commis par le Président de la République en tant que citoyen ordinaire et pendant l’exercice de son mandat, qu’il s’agisse d’un divorce, d’un accident de la circulation, ou pire.
Cette voie préservait le principe de la séparation des pouvoirs, ainsi que celui, qui ne souffre aucune exception, de l’égalité des citoyens devant la loi. Une telle modification de la Constitution se révélerait d’autant plus opportune que, je le répète, le Président de la République actuel multiplie les procédures judiciaires, y compris contre des insultes proférées à son égard, alors que la réciproque n’est pas possible ; pourtant, chacun a en tête certaines occasions qui auraient pu permettre à un simple citoyen de saisir la justice contre lui.
La cour d’appel de Versailles vient d’affirmer que le chef de l’État était une victime comme une autre, et donc qu’il avait droit à des réparations en toutes circonstances. En l’occurrence, il devrait être aussi un justiciable comme un autre, pour les affaires de droit commun.
En conclusion, comment ne pas évoquer une certaine frustration devant les limites du débat ouvert aujourd’hui ? D'ailleurs, c’est la fonction présidentielle dans son ensemble qui, selon moi, doit être revue, mais ceci est une autre histoire...
Nous voterons donc contre la motion tendant au renvoi de ce texte à la commission, car le débat doit et peut avoir lieu. Néanmoins, si la procédure avait suivi son cours, nous nous serions sans doute abstenus sur la proposition de loi de nos collègues.