Intervention de Jean-Luc Mélenchon

Réunion du 15 décembre 2005 à 15h00
Lutte contre le terrorisme — Vote sur l'ensemble

Photo de Jean-Luc MélenchonJean-Luc Mélenchon :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme vous le savez, les sénateurs socialistes ont pris la décision de voter contre ce projet de loi.

Ils auraient pu faire autrement, et cette décision est le fruit d'une longue réflexion : je veux dire très solennellement que, si l'un quelconque d'entre nous ou d'entre vous avait pu faire, lors des débats, la démonstration que ce texte pouvait prémunir notre patrie d'un seul attentat, nous l'aurions voté.

Sachez donc que c'est pleinement conscients de l'inanité de son contenu que nous avons pris notre décision. Vous n'êtes pas parvenus à nous convaincre du contraire.

Une mesure parmi tant d'autres est particulièrement emblématique du caractère de gesticulation et d'affichage de ce texte : celle qui permet dorénavant de déchoir de la nationalité française quelqu'un qui l'aurait acquise depuis quinze ans, contre dix ans auparavant. Cette mesure n'aura aucun effet concret et technique ! Au fond, elle ne fait que renforcer la suspicion généralisée qui pèse sur tout individu qui n'aurait pas eu le bon goût de devenir Français, à temps et au bon moment.

Peu importe, d'ailleurs, les raisons pour lesquelles il ne l'était pas : ce qui importe, c'est que cette disposition ne stigmatise que ceux qui sont naturalisés. On cherche en vain l'intérêt d'une telle mesure dans la lutte contre le terrorisme !

En l'espèce, M. le ministre nous a demandé d'accepter la mise en place cette disposition avec un champ d'application étendu, afin de mieux pouvoir mieux éloigner ensuite les terroristes que nous capturerions. Eh bien, pour ma part, je ne souhaite pas que l'on éloigne ceux que nous frappons, ceux qui nous auraient menti et qui auraient pris la nationalité française pour mieux nuire à leurs semblables. Au contraire, je souhaite que nous les tenions à notre disposition tout le temps nécessaire pour leur faire payer le prix de ce qu'ils ont fait aux autres et les rendre inoffensifs.

Ce projet de loi contient d'autres exemples tout aussi parlants.

Cette attitude s'inscrit dans l'air du temps, car il faut bien admettre que la France n'est pas seule concernée. Certes, le terrorisme est un phénomène bien réel, mais nos démocraties, de façon surprenante et comme par effet d'aubaine, profitent de la menace terroriste pour mettre en place des mesures contrevenant au régime de libertés publiques qu'elles ont pendant tant d'années rivalisé à mettre en place et dont elles estimaient qu'il reflétait leur identité profonde, par opposition à un tout autre système.

Elles rivalisent à présent pour adopter des dispositions de plus en plus privatives de libertés individuelles. Ce faisant, elles créent une ambiance qui permet en toutes circonstances de substituer à la grande question sociale qui agite le monde les fantasmes de la question ethnique, raciale, sécuritaire, etc. C'est une vieille ruse de l'Histoire...

Voilà le tableau tel qu'il se dessine. Voilà comment notre pays entre à son tour dans l'ère du soupçon généralisé, dans l'ère de la suspicion universelle et de l'exception permanente, à coups de lois nourrissant jour après jour les angoisses dont elles se prévalent ensuite.

On voit ainsi d'éminents collègues, au demeurant brillants cerveaux, nous dire à cette tribune leur surprise du faible nombre d'attentats alors que l'on circule si facilement dans les aéroports. Ainsi, on s'étonne maintenant de ne pas avoir peur ! Voilà donc où nous en sommes parvenus, tant la pression est grande sur les esprits et tant le poison de la méfiance est répandu.

Nous n'avons pas l'intention, si peu que ce soit, d'ignorer cette réalité contenue dans la loi.

Naturellement, nous aurions pu évoquer certains aspects positifs du projet : personne ici n'aura la sottise de dire que ce texte n'aura aucun effet sur la lutte contre le terrorisme, qu'il n'offrira pas, ici ou là, quelque facilité. Ce serait stupide, et totalement exagéré. Mais son économie générale, sa structuration et les liens qui unissent les parties qui le constituent font de ce texte un système dont nous ne voulons pas.

Durant ces deux jours de débat, il n'a pas été question de lutte contre le terrorisme. Il n'a été question que de la meilleure manière d'attribuer à l'autorité judiciaire ce qui était hier du ressort du pouvoir législatif, et d'attribuer à l'autorité administrative ce qui était hier du ressort de l'autorité judiciaire. En définitive, il n'a été question que d'accroître les moyens de coercition pour effrayer les Français et leur faire aimer le contrôle arbitraire.

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