Intervention de Claudine Lepage

Réunion du 14 janvier 2010 à 22h20
Délais de paiement des fournisseurs dans le secteur du livre — Adoption définitive d'une proposition de loi

Photo de Claudine LepageClaudine Lepage :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, Maryvonne Blondin souhaitait intervenir dans ce débat. Elle est empêchée, je reprends donc le flambeau, mais j’ai bien conscience qu’il me sera difficile de tenir des propos originaux.

Le texte que nous examinons aujourd’hui, similaire, je le rappelle, à la proposition de loi n°1422 déposée par nos collègues députés du groupe SRC, a pour but d’exempter l’ensemble de la filière du livre de la mesure de plafonnement des délais de paiement entre entreprises instaurée par la loi du 4 août 2008 de modernisation de l’économie, et de revenir au système conventionnel qui était antérieurement en vigueur.

En effet, l’article 21 de la loi de modernisation de l’économie, qui modifie l’article L. 441-6 du code de commerce, plafonne à 45 jours fin de mois ou 60 jours calendaires le délai maximal de paiement entre les entreprises, et ceux qui y contreviennent s’exposent à des sanctions.

Or tout le monde s’accorde à dire, et nous l’avons entendu maintes fois ce soir, que cette disposition est particulièrement inadaptée au secteur du livre, et qu’il est nécessaire d’aller plus loin que les accords dérogatoires à la loi de modernisation de l’économie, qui n’étaient pas satisfaisants.

La diffusion du livre s’appuie sur des cycles d’exploitation lents, un ouvrage ayant besoin de trouver son public. Les livres parus depuis plus d’un an représentent ainsi 83 % des titres vendus en librairie et plus de la moitié du chiffre d’affaires de ces commerces.

Pour maintenir cette création puis cette diffusion éditoriales, les délais de paiement sont actuellement d’une centaine de jours. Et l’ensemble des acteurs de la filière reconnaissent la nécessité d’un tel délai pour la pérennité de leur activité !

L’application de l’article 21 de la loi de modernisation de l’économie aurait donc des conséquences catastrophiques pour le secteur du livre.

Compte tenu de l’extrême faiblesse des marges et des rémunérations des librairies, on estime que la survie d’au moins d’un tiers d’entre elles serait ainsi menacée.

Cette application provoquerait également un appauvrissement certain de la qualité de l’offre éditoriale, les libraires se trouvant dans l’obligation de favoriser les livres de grande diffusion et autres best-sellers au détriment des petites publications pour pouvoir régler leurs factures à temps.

Cela contreviendrait donc aux objectifs de la loi du 10 août 1981 relative au prix du livre, qui a permis de maintenir un réseau de librairies dense et diversifié.

Notre pays peut ainsi se féliciter de compter davantage de points de vente de livres que sur l’ensemble du territoire des États-Unis. Si nous voulons que ce constat perdure, nous devons continuer à nous orienter vers la promotion de la diversité des publications, et ne pas céder au règne de la rentabilité et du « tout-libéral » !

Le prix unique du livre a prouvé son utilité et son efficacité pour la structuration et le développement de la filière, tant et si bien que de nombreux pays ont aujourd’hui mis en place un tel système.

Il est en effet primordial de préserver le livre du diktat économique et de la concurrence à tous crins, car le livre n’est tout simplement pas un produit de consommation comme un autre !

Il nous faut absolument défendre à la fois les petites librairies et les petites maisons d’édition face à la grande distribution culturelle et aux géants de l’édition, qui exercent bien souvent une concurrence impitoyable. Il y va de la survie de la filière et donc de l’intérêt général !

En effet, nous nous devons ici de rappeler toute l’importance du livre en tant que vecteur fondamental d’accès à la culture. Il est du devoir des politiques publiques de favoriser l’accès du plus grand nombre à cet outil indispensable tant à la compréhension du monde qu’à l’évasion.

La démocratisation de la culture et l’accès des plus défavorisés au livre : tels sont, mes chers collègues, les vrais enjeux de notre discussion et de la nouvelle disposition que nous examinons aujourd’hui !

À l’heure des débats autour de la numérisation du livre et du devenir de ce support face aux nouvelles technologies, il s’agit de s’interroger sur les opportunités de diffusion du livre au plus grand nombre. Tout comme la création, par exemple, des collections de poche, qui, par leur coût moins élevé, permettent à un nombre croissant de personnes – en particulier des jeunes – d’accéder à la lecture, Internet a sans conteste un grand rôle à jouer dans la réalisation de cet objectif.

Monsieur le ministre, permettez-moi de rappeler également l’importance du rôle joué par les collectivités territoriales dans la démocratisation de la culture et l’accès du plus grand nombre au livre.

Notre collègue Maryvonne Blondin, élue du Finistère, signale ainsi l’exemple du conseil général du Finistère qui, ayant pour mission d’assurer l’égalité territoriale dans l’accès à la lecture, à l’information et à la documentation, a voté en janvier 2004 un plan de développement de la lecture publique prenant en compte les évolutions des technologies de l’information et de la communication et le développement des intercommunalités. Il préconise une action forte en direction des publics, spécifiquement auprès des jeunes et des personnes défavorisées, et renforce les services et l’offre de proximité de la Bibliothèque du Finistère.

Ce plan a eu un réel impact sur l’ensemble des 220 bibliothèques du réseau représentant 283 communes et 880 000 habitants.

Précisons enfin que le ministère de la culture a choisi pour 2010 la Bibliothèque du Finistère comme l’un des cinq sites pilotes pour la mise en place d’un observatoire de la lecture publique. Un réel maillage territorial est ainsi essentiel pour favoriser l’accès à la lecture pour tous les publics et transmettre le goût de la lecture aux jeunes générations.

Cette proposition de loi permettra donc non seulement de maintenir un réseau de librairies indépendantes dense et décentralisé, mais aussi de soutenir la richesse et la diversité culturelles qui font notre fierté ; c’est là toute son utilité.

Nous pourrons ainsi favoriser la liberté d’expression et de création, tandis que se forgeront des générations de lecteurs éclairés au gré des livres « dévorés ». En effet, la lecture est une expérience culturelle unique et rien ne saurait la remplacer.

Pour conclure, je citerai les mots de l’écrivain québécois Michel Bouthot : « Un livre, c’est un navire dont il faut libérer les amarres. Un livre, c’est un trésor qu’il faut extirper d’un coffre verrouillé. Un livre, c’est une baguette magique dont tu es le maître si tu en saisis les mots. »

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion