Après plusieurs années d'augmentation, les crédits de l'APD ont en effet reculé en France, si l'on considère l'exécution du budget 2007 : 0, 42 % du revenu national brut, contre 0, 47 % en 2005 et en 2006. Je rappelle que, en 2002, la France s'était fixé comme objectif intermédiaire 0, 50 % du RNB pour 2007. Ce rendez-vous a également été manqué.
Le budget réel 2007 a donc constitué une rupture regrettable, à rebours des engagements internationaux de la France.
Compte tenu du fait que le montant des annulations de dettes inscrit dans les statistiques de l'APD française entamera une forte décrue à l'horizon 2010 ou 2011, il faudrait que l'APD devienne une véritable priorité budgétaire de l'État, et ce de manière conséquente et régulière tout au long de la législature. On en est très loin.
Bien sûr, le niveau d'APD prévu pour 2008, d'un montant de 8, 77 milliards d'euros, soit 0, 45 % du RNB, est en augmentation de 931 millions d'euros si on le compare aux prévisions d'exécution du budget 2007.
Mais, dans l'hypothèse probable d'un nouveau retard des annulations de dettes de la République démocratique du Congo et de la Côte d'Ivoire, l'APD française en 2008 sera en réalité en stagnation, voire à nouveau en diminution.
Madame, monsieur les ministres, monsieur le secrétaire d'État, que comptez-vous faire pour éviter un nouvel écart majeur entre l'objectif affiché et la réalisation effective ?
Plutôt que de préparer la forte progression de l'APD nécessaire au respect de l'engagement des 0, 7 %, votre projet de loi de finances pour 2008, en autorisations d'engagement comme en crédits de paiement, aligne la mission APD sur la règle générale de la croissance zéro des dépenses publiques.
Dans ce cas, pourquoi continuer de faire croire à des objectifs dont on sait à l'avance qu'ils ne seront pas respectés ? Cela entame forcément la crédibilité de la France vis-à-vis de nos partenaires du Sud, comme de nos voisins européens.
Le deuxième défaut de ce budget est une mauvaise répartition interne des crédits.
Précisément, la France s'est engagée à contribuer de manière importante à plusieurs fonds multilatéraux d'aide au développement, comme le Fonds européen de développement, le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, l'Agence internationale de développement de la Banque mondiale.
Tout en saluant cet effort, comme l'ont fait de nombreuses ONG, nous regrettons qu'il ne soit guère articulé avec les outils actuels de l'APD française.
En outre, et surtout, l'augmentation de l'aide multilatérale n'est pas additionnelle et s'opère au détriment de l'aide bilatérale. Ainsi, les crédits des programmes 110 « Aide économique et financière au développement » et 209 « Solidarité à l'égard des pays en voie de développement » sont en baisse par rapport à la loi de finances pour 2007. Malheureusement, l'aide bilatérale semble faire figure de variable d'ajustement afin de tenter d'honorer les engagements européens et multilatéraux de la France.
D'ailleurs, certaines contributions, comme celle du Fonds européen de développement, ont sans doute été sous-budgétisées dans le projet de loi de finances pour 2008, ce qui signifie donc un risque de redéploiement en cours d'exercice, encore au détriment de l'aide bilatérale, j'imagine.
Du point de vue de la politique globale d'aide au développement, je pense pourtant que la France doit garder des instruments d'actions variés et efficaces ; l'aide bilatérale en est un, et il ne faut pas l'abandonner.
En outre, cette baisse de l'aide bilatérale est durement ressentie sur le terrain par les acteurs français de la coopération. Parmi eux figurent naturellement les ONG. Je rappelle que, malheureusement, la France est toujours le dernier pays de l'OCDE pour la part de son aide publique au développement transitant par les ONG : un peu plus de 1 %, contre 8 %, par exemple, pour le Royaume-Uni et pour l'Allemagne.
Certes, le Président de la République a confirmé l'engagement de son prédécesseur de doubler cette part d'ici à 2009, mais, là encore, on a de sérieuses raisons de douter de sa réalisation effective.
Beaucoup d'ONG s'inquiètent à juste titre du fait qu'une partie de leurs crédits n'apparaît plus dans le projet de loi de finances pour 2008. Il y a là une réorientation à faire d'urgence.
La surmédiatisation de la récente mésaventure d'une pseudo-ONG au Tchad ne doit pas occulter l'immense travail effectué par les ONG françaises, particulièrement en Afrique. Beaucoup d'entre elles se sont engagées dans un dialogue sérieux avec les pouvoirs publics, notamment sous le label Coordination Sud. Ne les décevez pas.
J'ai aussi noté une illustration des incohérences de votre projet de budget à propos de la contribution au Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme.
La France est un des principaux contributeurs de ce fonds. Sa contribution a été doublée depuis 2005, ce qui constitue un effort notable. Elle s'est engagée, lors de la conférence de reconstitution du Fonds sida, en septembre dernier, à y contribuer pour 900 millions d'euros par an sur la période 2008-2010.
Pourtant, seuls 280 millions d'euros sont inscrits dans le budget pour 2008 en crédits de paiement, contre 300 millions d'euros en 2007, soit une baisse de 7 %. En outre, il n'est même pas sûr que ces 300 millions d'euros prévus l'année dernière soient réellement affectés cette année dans leur intégralité.
Il est pourtant essentiel que la France honore ses engagements dans ce secteur crucial. Et il n'est pas normal que les recettes levées par le biais de la taxe sur les billets d'avion soient utilisées pour financer la contribution de la France au Fonds sida, alors qu'elles sont en principe destinées à UNITAID, c'est-à-dire au financement et à l'approvisionnement en médicaments des populations qui en ont le plus besoin.
Enfin, les objectifs réels et les moyens du programme dit « Codéveloppement », ne sont pas à la hauteur des enjeux. Le programme 301 « Codéveloppement » constitue une innovation budgétaire. Il se voit doté de 60 millions d'euros en autorisations d'engagement et de 29 millions d'euros en crédits de paiement, ces crédits provenant d'ailleurs pour une bonne part du redéploiement des programmes 110 et 209 précédemment cités.
Ne nous y trompons pas : les trois actions engagées, « aides multilatérales en faveur du codéveloppement », « aides à la réinstallation des migrants dans leur pays d'origine », « autres actions bilatérales de codéveloppement », sont, en réalité, presque entièrement centrées sur le contrôle des flux migratoires et l'accompagnement des retours. Ce n'est évidemment pas une surprise quand on connaît l'intitulé de votre ministère et votre politique de l'immigration, monsieur Hortefeux. Le volet « codéveloppement » de chaque accord avec les pays d'origine n'est en fait destiné qu'à « vendre » ces accords aux pays réticents - et l'on peut comprendre leurs réserves.
Pour ma part, je regrette ce mélange très préjudiciable entre une partie de la politique d'aide publique au développement et la politique dite de « maîtrise des flux migratoires ».
C'est ce type de confusion qui pèse, par exemple, sur la gestation du Centre d'information et de gestion des migrations de Bamako. Qu'en est-il de ce projet aujourd'hui, monsieur le ministre ?
Les migrations sont largement dues à la misère, qui sévit dans de trop nombreux pays. La politique française d'aide au développement doit se centrer sur l'éradication de la pauvreté, plutôt que d'empêcher les hommes et les femmes de la fuir.
Je préférerais, madame, monsieur les ministres, monsieur le secrétaire d'État, que l'on replace le codéveloppement dans le cadre d'une coopération partenariale ambitieuse avec les pays du Sud, dont beaucoup - faut-il le rappeler ? - appartiennent, tout comme nous, à l'ensemble francophone.
Obtenir une réelle implication des pays d'origine est la condition première de la réussite d'une politique d'aide au développement. Ce n'est certainement pas la perspective ouverte par ce budget avec vos engagements revus à la baisse.
Pour toutes ces raisons, mes collègues du groupe socialiste du Sénat et moi-même voterons contre votre projet de budget.
J'ajoute, madame, monsieur les ministres, monsieur le secrétaire d'État, que l'une des conditions de la réussite du dialogue entre le Gouvernement et le Parlement est aussi que, dans l'hémicycle, les ministres prêtent attention aux propos des parlementaires !