Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, messieurs les secrétaires d'État, mes chers collègues, la continuité, me semble-t-il, prévaut dans notre politique d'aide au développement. Depuis la création du ministère de la coopération au début des années soixante, l'effort français ne s'est jamais démenti.
Certes, il existe toujours un décalage entre les objectifs déclarés et les résultats obtenus : cette mission est sans doute l'une des rares qui peut provoquer l'indignation, dès lors que ses dépenses ne sont pas toutes engagées. Le caractère virtuel des annulations de dettes, qui dépendent des réformes menées par les États - je pense aux opérations financières engagées l'année dernière en faveur de la Côte d'ivoire et de la République démocratique du Congo -, compromet la véracité budgétaire.
De même, le récent rapport du Programme des Nations unies pour le développement indique que l'objectif défini par la déclaration de Paris dans le cadre du Millénaire pour le développement d'atteindre 0, 7 % du revenu rational brut des États développés d'ici à 2015 risque d'être difficilement atteint.
Toutefois, peut-on inverser les termes du problème ? Ne nous focalisons pas autant sur l'état de pauvreté - indéniable - d'une grande partie du monde. Demandons-nous plutôt ce qu'il serait advenu sans les actions menées depuis plus d'une quarantaine d'années. Le principal enjeu porte bien, aujourd'hui, sur l'efficience de notre politique d'aide au développement
Ainsi, les critères de ce que l'on pourrait appeler « l'efficience exogène » doivent être clairement définis. Et l'on ne peut que louer la démarche engagée en ce sens par le Gouvernement le 17 juillet dernier, lors des Journées de la coopération internationale et du développement. Permettez-moi, monsieur le ministre, de préciser les contours d'une réforme que le groupe du RDSE juge envisageable.
D'abord, il ne faut certainement pas se laisser intimider par les canons internationaux, qui ont tendance à laisser croire que la France est un mauvais élève, en raison de son manque de sélectivité et d'une trop grande dispersion de ses aides. Je le dis haut et fort, pour récuser certaines thèses qui prévalent à la Banque mondiale et pour lutter contre certains lieux communs sur une éthique mal comprise : il ne faut aucunement renoncer à aider les pays mal gouvernés.
Le conditionnement de l'aide sur le seul respect des droits de l'homme ou sur une gouvernance clairement établie est un leurre, lorsqu'on sait, comme le rappellent bon nombre d'experts de la transition démocratique, que les conditions économiques favorables sont bien souvent l'une des manifestations des potentialités d'évolution des États. N'inversons pas les choses : il s'agit bien de créer les conditions d'une bonne gouvernance. De même, n'oublions pas que les « mal gouvernés » sont aussi les citoyens des pays les plus pauvres. Une telle politique, inspiré du modèle anglo-saxon, se révélerait contre-productive et conduirait aussi à écarter de l'aide une bonne partie de la population mondiale, alors même que des cas historiques significatifs - je pense à la Corée du Sud - illustrent l'impact des aides sur les réformes économiques et politiques.
Il nous est parfois reproché la trop grande sélectivité des aides françaises centrées sur l'Afrique subsaharienne. Là encore, le maintien de liens étroits avec des pays francophones ne semble aucunement contrevenir à l'efficience de l'action d'aide au développement, dès lors que celle-ci se garde de tomber dans les travers clientélistes.
En revanche, il faut suivre les canons internationaux, dès lors qu'ils nous invitent à nous engager vers une « conditionnalité de performance ». Cette notion, dorénavant usitée sur la scène internationale, vise à rompre avec la pratique facile d'aides conditionnées à des engagements surévalués en faveur de politiques macroéconomiques ou microéconomiques, que les États bénéficiaires se révèlent généralement inaptes à tenir.
Comme les conclusions d'un récent rapport du Conseil d'analyse stratégique, l'ex-commissariat général au Plan, nous y invitent, en rupture avec un relent de néocolonialisme, l'enjeu véritable est une appropriation par les États aidés des politiques suscitées par les États aidants. L'aide devrait être conditionnée à la réalisation d'objectifs finaux mesurés grâce à des indicateurs d'impact tels, en matière d'éducation et de la santé, notamment, la réduction de la mortalité infanto-juvénile et la scolarisation des enfants. L'expérience de la Commission européenne pour promouvoir une culture de résultat a ainsi partiellement manqué son but, du fait de la faiblesse des indicateurs retenus. L'évaluation devrait également laisser le temps à la mise en oeuvre des politiques et tenir compte des « chocs extérieurs » qui influent sur l'échelle de performance.
À cette efficience exogène s'ajoute une efficience endogène, propre à notre circuit de décision : la continuité, là encore, prévaut puisque les réformes de 1998 et de 2004 vont dans le sens d'une meilleure rationalisation de nos circuits de décision et de mise en oeuvre. Reste que l'ensemble des travaux universitaires et des récents rapports d'experts s'accordent pour noter l'inachèvement du processus.
La politique d'aide au développement est historiquement une mission interministérielle et la création de l'Agence française de développement, l'AFD, n'a aucunement résolu le double problème d'une dispersion des centres de décision et d'une tutelle par trop distendue. La sélectivité du champ d'action de l'AFD demeure aussi en contradiction avec son élévation au rang d'«opérateur pivot ».
Dès lors, tournons-nous vers le Royaume-Uni, qui fait office de modèle sur ce point, puisque la réforme entamée, quasiment au même moment qu'en France - respectivement en 1997 et en 1998 - y fut menée à terme dans le sens d'une réelle autonomisation ministérielle. Alors même que par rapport au produit national brut, l'aide du Royaume-Uni s'avère inférieure à celle de la France : là où l'AFD gère moins de 10 % de l'aide brute de l'ADP française, son homologue anglais, le DIFD, en gère près des trois quarts, environ 76 %. Une telle élévation du champ de compétence et budgétaire de l'Agence ne pourrait être mise en oeuvre que si elle s'accompagne bien sûr d'une refondation des liens politico-administratifs.
Car historiquement, au début des années soixante, notre politique d'aide au développement est bien née d'une combinaison, parfois difficile, entre une pluralité de visions portées par divers départements ministériels : la vision « développementaliste », favorable à l'essor des régions aidées, qui émanait du ministère de la coopération, côtoyant une approche en termes de rayonnement économique pour notre pays portée par le ministère des finances, jointe, enfin, à la recherche d'une influence culturelle alors promue par le ministère des affaires étrangères. La création récente du ministère de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du codéveloppement semble, au premier abord, ne pas faciliter cette convergence de vues, dès lors qu'elle contribue non pas à clarifier mais à ajouter un nouveau référentiel migratoire fondé sur la régulation des flux migratoires et l'abaissement des tensions entre résidents et citoyens français. Cette voie est-elle la bonne ? Sans nul doute, si la politique menée parvient à abaisser les tensions dans le pays et à protéger ces malheureux candidats de la misère.
Néanmoins les membres de mon groupe, soucieux de rappeler leur attachement aux valeurs humanistes, mettent en garde contre toute dérive qui tendrait à chercher une substitution d'un référentiel devenu global aux diverses visions jusqu'alors portées par l'aide française au développement. Le simple ajout de la ligne budgétaire réservée nous donne pour l'heure satisfaction, de même que la nature des aides du .programme, qui - cela mérite d'être noté - sont aussi consacrées, pour 13 millions d'euros, à des aides de type multilatéral.
Enfin, nous nous félicitons que l'action numéro 1 du programme « Codéveloppement » crée un fonds fiduciaire codéveloppement doté de 3 millions d'euros. Il permettra, nous l'espérons, de mener de nombreux projet plus ambitieux et à long terme.
Celui qui vous parle, ayant bien connu l'Afrique avant et après l'indépendance, pense que le codéveloppement et la coopération peuvent être une réussite pour la France, à condition que les choses soient claires entre nous.
Madame, monsieur les ministres, messieurs les secrétaires d'État, compte tenu du cadrage de la mission « Aide publique au développement », les membres du groupe RDSE, dans leur majorité, sont enclins à voter les dispositifs budgétaires ainsi proposés pour 2008.