Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, la puissance publique s'est engagée à réorganiser l'audiovisuel extérieur, ce que certains appellent déjà, peut-être par réalisme fataliste, une « impossible réforme », pourtant enjeu stratégique majeur sur le plan tant de l'influence de la France et de la diffusion de sa langue que de la diversité culturelle.
Nous approuvons, certes, la révision de la politique audiovisuelle extérieure de la France, souhaitée par le Président de la République, car la pratique actuelle, qui fait intervenir de multiples opérateurs, laisse une impression de confusion. La presse vient, d'ailleurs, d'annoncer la remise imminente du rapport demandé par M. Sarkozy, qui préconiserait la création d'une holding, France Monde, coiffant TV5 Monde, France 24 et RFI. Toutefois, la configuration actuelle du système ne se prête pas facilement à la mutualisation des ressources humaines et financières des différents opérateurs.
La question reste de savoir si cette réforme répond à une réelle volonté de réorganisation en profondeur de l'audiovisuel extérieur dans un secteur d'activité perturbé depuis l'arrivée, en 2006, de France 24. Cette question, nombre d'observateurs se la posent et nous aimerions, madame le ministre, connaître sur ce point précis votre sentiment. Le Parlement comprendra mieux les principes d'une réforme de l'audiovisuel extérieur français, ambitieuse pour notre pays.
Deux chaînes de télévision, TV5 Monde et France 24, ainsi que d'autres acteurs comme France 2, Arte et Euronews, une radio publique, RFI, et une banque de programmes Canal France International constituent, entre autres, un paysage audiovisuel extérieur sous la tutelle de trois autorités publiques différentes et souvent discordantes, à savoir, les ministères des affaires étrangères et européennes, de la culture et de la communication, de l'économie, des finances et de l'emploi, auxquelles il faut ajouter, pour France 24, le rattachement aux services du Premier ministre.
Dans le cadre du projet de loi de finances pour 2008, que nous étudions aujourd'hui, l'analyse des crédits ne fait pas apparaître clairement les évolutions d'un secteur d'activité dominé par une concurrence accrue et menacé par la révolution technologique, à l'échelle mondiale, telle la diffusion numérisée et par Internet.
Nos craintes d'un audiovisuel extérieur à plusieurs vitesses sont ainsi fondées. Le manque de transparence dans l'orientation et le contrôle de ces opérateurs par les pouvoirs publics, l'application régulière de la réserve dite « de précaution », le gel en cours d'exercice de crédits votés, la complexité de la procédure budgétaire à TV5 Monde, qui avantage finalement les actionnaires minoritaires, appellent une réforme en profondeur de l'investissement public.
Les chiffres parlent d'eux-mêmes dans ce paysage audiovisuel asymétrique.
Pour France 24, dont personne ne conteste la raison d'être, les crédits inscrits pour 2008 s'élèvent à 70 millions d'euros, alors que la convention entre l'opérateur et l'État prévoit une augmentation annuelle automatique, calculée selon une obscure formule mathématique. En vertu de celle-ci, la subvention atteindra, en fait, 88, 5 millions en 2008 par redéploiement en cours de gestion. Les fonds publics n'étant pas extensibles à volonté, madame le ministre, je vous pose la question de savoir d'où proviennent ces 18, 5 millions d'euros attribués à titre de dotation complémentaire, sans l'aval du vote parlementaire.
Pour Radio France Internationale, l'analyse comparée des ressources publiques, constituées par la redevance audiovisuelle et la subvention de l'État, montre qu'elles n'ont progressé que de 3, 4 %, tandis que les différentes sociétés de l'audiovisuel public, sur la même période 2004-2008, ont connu une augmentation inscrite dans une fourchette située entre 11, 9 % et 17, 8%. Cette disparité de traitement tient, essentiellement, au montant de la subvention annuelle attribuée par le ministère des affaires étrangères et au fait que le financement public de RFI repose, pour plus de 50 %, sur la subvention précitée, là précisément où la redevance audiovisuelle constitue l'unique ressource publique des autres opérateurs.
Dans ces conditions, il n'est donc ni logique, ni économiquement sain que la dévolution des crédits votés par le Parlement soit conditionnée par la nature du financement, redevance ou subvention. La réforme de l'audiovisuel extérieur passe aussi, madame le ministre, par des pratiques transparentes d'allocations des crédits, votés en conformité de l'application de la LOLF, dont il faut rappeler qu'elle substitue à une logique de moyens une pratique d'évaluation des crédits votés et engagés pour toutes les actions de l'État.
Pour TV5 Monde, le problème est tout autre puisque la France, investisseur très largement majoritaire, à hauteur de 70 millions d'euros sur un budget total de 92 millions d'euros, cogère l'organisme avec quatre autres entités étatiques, la communauté française de Belgique, la Suisse, le Canada et le Québec. Il convient cependant de noter que le mécanisme de la réserve légale appliqué à TV5 Monde, soit 6 % en 2008, mais non à France 24 et partiellement à RFI, au regard de la seule redevance, complique grandement la gestion de la chaîne et affecte aussi sa capacité à atteindre les objectifs fixés par la loi de finances.
Cette équation particulière à TV5 Monde entre gestion de frais communs et frais spécifiques conduit à une analyse comptable illisible, avec, comme première conséquence, une passivité des pays bailleurs de fonds qui, au fil des ans, n'ont pas eu les moyens ou, plus probablement, n'ont pas voulu accompagner l'augmentation des besoins de la chaîne dans le sens de la modernisation de ses missions.
Avec ces mauvais exemples de schémas d'organisation institutionnels, on en viendrait de même à s'interroger sur un autre phénomène : la montée en puissance à l'international d'Arte, la chaîne franco-allemande, qui absorbe à elle seule, et chaque année, 219 millions d'euros provenant de la seule redevance audiovisuelle française.
Quel est, dans ces conditions, le sens de l'engagement financier total de l'État, qui s'élève à 360 millions d'euros incluant les 40 % de redevance de RFI ? Quelles missions audiovisuelles extérieures remplit-il, avec quels objectifs et pour quels résultats ?
Force est d'admettre que, dans cet habillage institutionnel hétéroclite, la tendance sur plusieurs années a consisté à superposer de nouvelles structures à une infrastructure publique toujours plus fragilisée par des ajouts successifs et l'absence récurrente de coordination entre elles.
Nous avons créé voilà un an France 24, télévision française d'information continue dont le concept est original, mais sans tenir aucun compte du fait que TV5 Monde existe depuis un quart de siècle. Or, cette chaîne de télévision francophone et généraliste est complémentaire de la précédente et non concurrente.
De même, on entend ici ou là des propos déconcertants de renoncement sur RFI, dont l'objectif ne devrait plus consister qu'à rechercher une couverture mondiale par voie hertzienne. Comment ne pas s'étonner de tels discours, et comment se résoudre - ce que, pour ma part, je me refuse à faire - à une gestion aussi désordonnée de ce secteur d'activité ?
RFI dispose du premier réseau mondial d'émetteurs FM, devant la BBC, qu'on cite pourtant souvent en exemple. Voilà qui devrait être, pour la France, un sujet de fierté. La diffusion FM reste, en effet, un support puissant et efficace pour toutes les populations.
TV5 Monde constitue, en outre, un atout majeur pour la promotion d'une francophonie qui regroupe plus de 60 pays et dont le centre de gravité tend à se déplacer du Sud vers le Nord.
Allons-nous réduire cette vitrine en Europe, où se joue la bataille d'influence de notre pays, et laisser à d'autres la conquête de nouveaux marchés, alors que nous demeurerons le premier bailleur de fonds et le seul opérateur français à avoir la capacité de réaction propre à développer une présence audiovisuelle à l'échelle mondiale ?
Doit-on, enfin, considérer comme désuets les concepts de francophonie et de multilatéralité, à la radio comme à la télévision, alors qu'ils nous sont enviés par le monde hispanophone et lusophone ?
Nous ne pourrons jamais exporter notre savoir-faire audiovisuel - produit de l'histoire d'un pays et de sa culture - si nous continuons à entretenir, par faiblesse politique et carence administrative, une situation qui freine l'exportation de nos programmes de qualité dans les domaines de la fiction, du divertissement, du documentaire et du cinéma, si nous nous obstinons à ne pas relier production et diffusion comme dans toute entreprise performante. Ce sont les groupes audiovisuels qui sont les mieux à même d'exporter leurs programmes : permettons-leur de pouvoir le faire !
Que pouvons-nous raisonnablement attendre de cette réforme ? Beaucoup, si nous réussissons un rapprochement pertinent entre les opérateurs ; encore plus, si la communication en direction des autres pays, en français et dans d'autres langues porteuses, devient globale, c'est-à-dire tri-média, incluant télévision, radio et Internet. Car, selon les zones, les publics, mais aussi le niveau d'équipement et les conditions de réception, l'un de ces trois médias peut se révéler être le mieux adapté.
Dans l'immédiat, la singularité de la chaîne d'information internationale France 24 brouille l'analyse et suscite des interrogations. Chacun gagnerait à une clarification des rôles et des missions, sans se concurrencer sur les modes de diffusion, notamment le câble et Internet.
L'État, bien qu'unique financeur de France 24, n'en est pas actionnaire ! La chaîne est, en outre, le seul opérateur de l'audiovisuel extérieur détenu à 50 % par un actionnaire privé - TF1 - dont la participation au capital de l'entreprise n'a été au départ que de 18 500 euros. Depuis le lancement de la chaîne, ce capital s'est trouvé valorisé, si l'on en croit la presse, et atteint plusieurs millions d'euros.
On n'ose donc imaginer, pour les finances publiques, un retrait négocié de l'opérateur privé ! Dans ce cas, en effet, nous serions confrontés à un surprenant paradoxe : l'État devrait indemniser un actionnaire à raison du concours financier que ce même État a apporté à l'entreprise !