Mais, non contentes d'être à Noël plusieurs fois par an, les grandes affaires demandent, et il semble qu'elles ont été entendues, des mesures de dérégulation.
J'en veux pour preuve, madame la ministre, votre discours ministériel au marché international des contenus audiovisuels, le MIPCOM, du 9 octobre 2007, dans lequel vous avez annoncé une loi globale pour la fin du premier trimestre 2008 concernant la hausse des volumes publicitaires, l'assouplissement des obligations de production et la levée des seuils anti-concentration. « Tout est positif dans ce projet », concluait un courtier en bourse.
C'est dans ces conditions que la publication, prévue au début du mois de décembre, d'un décret qui entérinait les votes unanimes du Sénat et de l'Assemblée nationale sur les oeuvres audiovisuelles a été différée, ainsi que le souhaitaient les chaînes commerciales qui manquent souvent à toutes leurs obligations.
Pourtant, dans cet hémicycle, un très beau et très profond débat avait eu lieu le 22 novembre 2006 sur la création audiovisuelle, auquel avaient participé Louis de Broissia, Charles Revel, Serge Lagauche, Catherine Morin-Desailly, Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles, Catherine Tasca, Ivan Renar, Renaud Donnedieu de Vabres, alors ministre, et moi-même. Tous ensemble, nous avions construit la pensée de ce décret, qui s'inscrit dans une politique de soutien à la diversité culturelle et à la création.
Le report de la publication de ce décret a provoqué, le mercredi 21 novembre dernier à Paris, au Cinéma des Cinéastes, archi-comble, la présence d'auteurs, de producteurs, d'artistes-interprètes, d'agents, de techniciens et de syndicats, tous professionnels de l'audiovisuel qui, à travers vingt organisations, voulaient montrer qu'ils enrageaient contre l'attitude gouvernementale, à vrai dire présidentielle, puisqu'on lit dans la lettre de mission adressée par le Président de la République à la ministre de la culture : « L'objectif doit être de supprimer les incohérences croissantes de la législation actuelle » - je rappelle que nous l'avons votée à l'unanimité - « et de permettre l'émergence de groupes de communication audiovisuelle français de premier plan ».
Arrêtons-nous sur le contenu de cette réunion dynamique et résolue, de femmes et d'hommes de métier, qui entendent garder et développer les moyens de les exercer.
Premièrement, les chaînes commerciales attribuaient par avance au décret leurs difficultés supposées.
Deuxièmement, ces difficultés supposées sont démenties par les résultats de ces chaînes commerciales. TF1, depuis 1999, a vu son chiffre d'affaires augmenter de 43, 1 %, M6 de 104 %. Les recettes publicitaires de TF1, depuis 1999, ont crû de 26 %, celles de M6 de 46 %. Entre 1999 et 2005, TF1 a connu une hausse de ses recettes diversifiées de 34, 2 %, M6 de 183 %. Cette bonne santé a d'ailleurs conduit TFI à augmenter le dividende de ses actionnaires depuis 2002 de 30 %, M6 de 66 %.
Troisièmement, 1 % du chiffre d'affaires cumulé de TFI et de M6 représente vingt millions d'euros, ce qui équivaut à vingt heures de fiction en prime time, ou trente heures de dessins animés, ou cinquante heures de fiction jeunesse, ou encore cent heures de documentaires.
Cela représente aussi vingt mille journées de travail pour les artistes et les techniciens, sans compter l'activité des auteurs, des prestataires techniques, des agents artistiques et des entreprises de production.
Quatrièmement, dès l'annonce du report de la publication du décret, les études boursières ont manifesté leur satisfaction : « Nous évaluons les impacts positifs potentiels à 3, 7 euros pour TF1 et 1, 2 euro pour M6 hors valeur spéculative », dit ainsi une étude de la Société générale sur le secteur des médias en date du 2 novembre 2007. Une étude de Goldman et Sachs sur le secteur des médias indiquait pour sa part, le 19 novembre 2007 : « Nous nous attendons à ce que le secteur audiovisuel français connaisse des changements réglementaires importants dans les mois qui viennent, ce qui devrait être un facteur positif pour TF1 et M6 »
Bref, les difficultés supposées des télévisions commerciales sont bien une comédie de lobbyistes. Face à eux, faisons entendre haut et fort notre solidarité avec les participants à la réunion du Cinéma des cinéastes, qui veulent tout simplement promouvoir la création et le pluralisme culturel audiovisuels !
C'est une ambition à maintenir, à développer, y compris en entrant dans l'ère du numérique. Le décret reporté, c'est-à-dire à renégocier dans le cadre de la mission Kessler-Richard - j'ai lu les questions posées : elles sont toutes orientées -, c'est un renversement de la politique culturelle française, qui a toujours comporté le soutien de la nation à la création culturelle.
Si l'on se rappelle que le Président de la République, dans sa lettre de mission du 1er août 2007 à la ministre de la culture et de la communication, met aussi en cause la création dans le spectacle vivant identifiée à « une offre répondant à l'attente du public » et la création du passé en souhaitant « la possibilité pour les opérateurs publics d'aliéner les oeuvres de leurs collections », on ne peut être qu'en alerte combative, d'autant que les chaînes publiques, malgré l'insistance de leur président, M. Patrick de Carolis, reçu à la commission des affaires culturelles et à la présidence du Sénat, se voient limitées dans leur volonté de créer plus.
La lettre de mission présidentielle ajoute qu'il faut « réallouer les moyens publics des politiques inutiles [...] au profit des politiques [...] que nous voulons entreprendre ».
Autrement dit, nous serions, nous, qui avons voté à l'unanimité l'amendement sur le renforcement des obligations patrimoniales, comme les participants à la réunion du Cinéma des cinéastes, des « inutiles » et des « incohérents croissants ».