De fait, madame la ministre, avec ce report, vous avez déjà accepté que ces obligations deviennent un élément de marchandage sur d'autres sujets.
La lettre de mission que M. le Président de la République vous a adressée l'été dernier vous enjoignait de permettre l'émergence de groupes de communication audiovisuelle français de premier plan, mais tout en tenant compte de la nouvelle donne du marché comme des exigences de la création. J'ai bien peur que cette dernière recommandation ne passe par pertes et profits, et que vos réformes à venir ne visent qu'exclusivement la première.
De plus, les derniers aléas de la crise de la presse, avec le rachat du journal Les Échos, nous ont démontré que la défense du pluralisme et de l'indépendance journalistique n'était pas non plus une des priorités de votre politique en matière de médias.
Si la presse est en crise, elle ne l'est pas pour tout le monde, et en tout cas ni pour les publicitaires orientés sur les « gratuits » ni pour les investisseurs.
Le dispositif des aides à la presse ne peut à lui seul permettre au secteur d'inverser une tendance de fond, liée à la révolution numérique et à celle des « gratuits » financés par la publicité.
De même, celui-ci ne peut être dissocié des questions soulevées par la concentration et la financiarisation des groupes multimédias et devrait prendre en compte des critères d'indépendance. Que Bernard Arnault se « paye » un des rares quotidiens français bénéficiaires, qui est l'une des plus importantes sources d'information du pays pour les milieux d'affaires, dont LVMH est un des fleurons, qu'il soit en mesure de choisir l'identité de son principal concurrent au travers de la revente de La Tribune, et ce avec la plus grande bienveillance du Gouvernement et de la Présidence de la République, tout cela en dit long sur la convergence idéologique du pouvoir actuel et des grands groupes industriels détenteurs de médias. Les journaux se font d'abord avec des actionnaires ; à eux, donc, de donner la ligne éditoriale. L'information n'est plus qu'une simple marchandise !
Mais, m'objectera-t-on, pourquoi ce secteur resterait-il à l'écart de cette normalisation économique, à l'écart du primat de l'économique ?
S'il est des secteurs où le « non lucratif » et le « hors marché » doivent encore avoir un sens, s'il est des secteurs qui doivent être protégés du « tout libéral » au profit du pluralisme et de l'indépendance, la presse d'opinion ne devrait-elle pas en faire partie ?
Car c'est de l'information des citoyens, et donc de la vitalité de notre démocratie, qu'il est question. Peut-être que ce sujet mériterait également un Grenelle, ou un Valois, comme le propose M. de Broissia. Finalement, peu importe l'appellation retenue !
Vous le comprendrez donc aisément, madame la ministre, dans un tel contexte, le groupe socialiste votera contre les crédits de la mission « Médias ».