Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi de finances rectificative pour 2005 présente, par de nombreux aspects, les mêmes défauts que ceux que nous avons déjà pu constater lors de l'examen des lois de finances rectificatives depuis 2002.
Le premier de ces défauts est le caractère affirmé de « voiture-balai » du texte qui est soumis à notre Haute Assemblée.
À l'origine, le projet de loi de finances rectificative pour 2005 comportait quarante-quatre articles, certains faisant d'ailleurs doublon avec les termes du projet de loi de finances initial. Seize articles ont été ajoutés soit directement par le Gouvernement, soit à la demande du Gouvernement, à la fin du texte, sur les sujets les plus divers. A combien d'articles nous arrêterons-nous ?
Le même phénomène a déjà été constaté les années précédentes. Ainsi, alors que le projet de loi de finances rectificative pour 2004 comportait initialement soixante articles, le texte promulgué en comptait cent trente-sept, après que l'Assemblée nationale eut, en première lecture, arrêté le compteur à cent deux.
Nous élaborons donc, peu à peu, des lois de finances rectificatives de plus en plus longues et de moins en moins cohérentes. Une bonne partie des dispositions qui sont votées au fil des ans sont d'une application parfois complexe pour les contribuables auxquels elles sont censées s'adresser.
Cette dérive, qui consiste à faire du collectif de fin d'année une sorte de session de rattrapage de toutes les mesures qui n'étaient pas prêtes au moment voulu, ne peut plus être acceptée. D'autant que la portée des mesures votées n'est parfois pas tout à fait secondaire, comme le démontrent par exemple l'abrogation de la loi relative au contrôle des fonds publics accordés aux entreprises ou la réforme de l'aide médicale d'État.
D'ailleurs, dans ce cas précis, les dispositions adoptées ont prouvé leur inefficience au regard de ce qui se passe à la fois sur le front de l'emploi, dans bien des entreprises, et en matière de santé publique.
L'un des premiers motifs d'adoption de cette motion tendant à opposer la question préalable pourrait donc être le refus de cet empilement législatif, ce feuilletage incohérent en apparence, qui encombre peu à peu notre législation fiscale et financière et finit par la rendre illisible.
Mais le second motif peut fort bien être le contenu même de ce projet de loi de finances rectificative, au travers des différents articles.
Ainsi - et ce point est essentiel -, l'amélioration du déficit budgétaire pour un peu plus de 1 milliard d'euros ne doit rien à l'amélioration de la situation économique. En effet, nous constatons une contraction des recettes fiscales nettes de l'État, laquelle affecte notamment la taxe intérieure sur les produits pétroliers - pour près de 1, 1 milliard d'euros -, la taxe sur la valeur ajoutée - pour plus de 800 millions d'euros - et l'impôt sur les sociétés - pour environ 3 milliards d'euros en net.
Les correctifs apportés par les moindres remboursements et dégrèvements sur la taxe sur la valeur ajoutée - moins 1, 3 milliard d'euros - montrent clairement que la croissance prévue en loi de finances initiale n'est pas atteinte.
L'INSEE confirme d'ailleurs cette situation. Alors que le projet de loi de finances initial était établi sur une croissance de 2, 5 %, l'Institut indique que la croissance devrait atteindre 1, 6 % en 2005 et flirter avec les 2 % en 2006, et nous venons de discuter d'un projet de loi de finances fondé sur une croissance de 2, 25 % !
C'est donc au travers de la minoration des dépenses publiques que le Gouvernement parvient à réduire le déficit budgétaire.
Comment, dès lors, ne pas prendre en compte l'impact du décret d'annulation du 3 novembre dernier, qui, portant sur plus de 3 060 millions d'euros, a en réalité constitué une annulation globale des dépenses nouvelles autorisées par le Parlement à l'automne 2004 ?
Ainsi, en plein coeur de la crise des banlieues, le Gouvernement a opté pour la mise en cause de la dépense publique pour l'emploi, pour la vie associative, pour le développement des transports collectifs, pour la construction et la rénovation de logements, pour la préservation du patrimoine culturel de la nation, pour la prévention sanitaire, pour la formation des jeunes et des chômeurs de longue durée !
C'est à ce prix, monsieur le ministre, que vous pouvez aujourd'hui nous présenter ce projet de collectif budgétaire.
Nous sommes là en présence d'une financiarisation de l'économie, qui se manifeste sous différents aspects.
C'est d'abord la soumission aux marchés financiers, que traduit la gestion de la dette publique, dont vous faites désormais l'alpha et l'oméga de votre politique des finances publiques pour les cinq années à venir.
C'est ensuite cette nouvelle série de mesures tendant à déréglementer et à libéraliser certaines activités économiques stratégiques, dans le droit-fil de la course éperdue à la libre concurrence voulue par les instances européennes.
Ce sont, enfin, à l'intérieur, les nouveaux avantages fiscaux consentis aux détenteurs de capitaux, notamment l'incroyable article 19 du présent projet de loi de finances rectificative, qui nous invite à défiscaliser totalement les revenus tirés de la cession de titres, sous condition de détention.
Vous avez fait le choix, clair, de la financiarisation accrue de l'épargne des ménages, créant toutes les conditions possibles pour la dilapider sur les marchés financiers en achat d'actions et de titres de sociétés.
Mais posons la question : dans un pays où la moitié des contribuables ne paie pas l'impôt sur le revenu, faute de revenus suffisants, qui peut consacrer plusieurs dizaines de milliers d'euros à l'épargne boursière et, surtout, avoir la patience d'attendre huit ans pour bénéficier de l'exonération intégrale de la plus-value de cession ?
Certainement pas les 46 millions de Français qui optent pour le livret A et qui, contre un intérêt aujourd'hui limité à 2, 25 %, recherchent d'abord et avant tout la liquidité suffisante pour faire face, le moment venu, à quelque dépense incontournable.
Les apprentis boursicoteurs, déjà échaudés dans le passé par l'achat de titres Eurotunnel, Vivendi ou France Télécom, ont vite compris que les actions EDF distribuées dans le public n'étaient une bonne affaire que pour les intermédiaires. Je rappelle que 250 millions d'euros de commission ont été versés aux établissements placiers et que 1 milliard d'euros a été perdu le premier jour de cotation.
Quant aux autres, ceux qui savent y faire, qui signent des pactes d'actionnaires pour échapper à l'impôt de solidarité sur la fortune et qui ont les moyens d'acquérir, à chaque occasion, des titres de telle ou telle entreprise, ils vous remercient déjà de leur avoir offert pour Noël ce dont ils n'avaient jamais rêvé : une zone franche fiscale, appelée à grandir en taille et en coût pour les finances publiques, sur les revenus du capital.
Quelqu'un a dit un jour : « La politique de la France ne se fait pas à la corbeille ». Certes, la corbeille du palais Brongniart a disparu, mais nous avons fâcheusement l'impression que c'est de nouveau là que se déterminent les grands choix de la politique économique et budgétaire du Gouvernement !
Nous n'élaborons pas de lois de finances pour les 424 000 foyers fiscaux dont le revenu est, en moyenne, majoritairement composé d'autres éléments que de revenus salariaux et dépasse le seuil de 78 000 euros annuels !
Depuis plusieurs jours, le Gouvernement se répand dans la presse sur la dette publique, qui aurait atteint, si l'on était honnête, le seuil de 2 000 milliards d'euros...
Même si cette évaluation mélange ce qui ressort de la dette publique - l'encours des obligations d'État et des bons du Trésor - avec les retraites de la fonction publique qu'il faudra verser dans les vingt-cinq années à venir, elle ne supporte pas très longtemps l'analyse.
Cela fait des années et des années que la dépense fiscale et les allégements d'impôts sont largement utilisés comme éléments de la politique budgétaire et économique. L'État ne fait qu'accompagner le mouvement de l'économie dans son ensemble et se refuse désormais à jouer un rôle moteur dans ce domaine.
Illustre ce choix la poursuite de la grande braderie des entreprises publiques, dont le coût progresse année après année.
La vente à l'encan de la participation de l'État dans le capital des autoroutes, avec une moins-value nette et immédiate de 8 milliards d'euros - près de 20 % du déficit 2006 -, les pertes constatées sur la cession partielle d'EDF, les emplois supprimés en masse dans les entreprises privatisées depuis 1993 - il n'est qu'à prendre l'exemple d'Alstom - sont autant de preuves évidentes de cet état de fait.
La dépense fiscale est en phase continue de croissance, elle, sans que cela ait d'impact patent sur l'activité économique. Dans le cas contraire, les indicateurs seraient autres !
Prenons l'exemple de l'impôt sur le revenu. La masse des mesures dérogatoires s'élève à près de 43 milliards d'euros. Pour plus de 6 milliards d'euros, ces sommes sont consacrées à alléger la fiscalité de l'épargne spéculative.
Des engagements équivalents sont pris pour les revenus d'activité non salariée, tandis que les revenus fonciers, nonobstant le report des déficits, jouissent de 1, 8 milliard d'euros de dispositions spécifiques.
Pour l'impôt sur les sociétés, dont le projet de loi fixe le produit net à moins de 40 milliards d'euros, les dispositions dérogatoires représentent un coût supérieur à 20 milliards d'euros, essentiellement pour servir les intérêts des grands groupes.
Bien sûr, l'impôt de solidarité sur la fortune n'échappe pas à cette règle, avec 640 millions d'euros de correctifs divers, soit le cinquième du produit constaté.
Il convient de souligner que ce ne sont là que les mesures dont le coût est chiffré, mais elles sont la source essentielle du déficit public dont on nous rebat les oreilles depuis plusieurs jours.
Ce déficit public et cette dette publique que vous laissez croître en feignant de la réduire ne sont pas utiles à la vie économique et sociale.
Continuer dans cette voie, et ce collectif y participe, est ruineux pour l'argent public et porteur de profonds déséquilibres, à terme, pour la vie économique et sociale du pays.
Nous ne pouvons donc qu'inviter le Sénat à voter cette motion tendant à opposer la question préalable.