Avec l'invention de cette carte de séjour « compétences et talents », la France s'installe dans un système de contrôle des migrations complètement verrouillé et extrêmement compliqué, avec une multitude de types de cartes entre lesquelles l'administration, les fonctionnaires s'y retrouveront très mal, et les étrangers encore moins bien ! Nous sommes sur la défensive : nous avons bien conscience du fait que la France n'attire plus spontanément un grand nombre de chercheurs, d'intellectuels ou de personnalités de haut niveau. La contradiction vient du fait que nous voulons, d'un côté, tout verrouiller et, de l'autre, ouvrir un peu les frontières, mais avec beaucoup de contraintes.
Les pays qui attirent des chercheurs et des ingénieurs ont rarement prévu dans leur arsenal juridique des cartes de séjour spécifiques pour ceux-ci. Dans les universités américaines où je me suis rendue, j'ai interrogé les doctorants et les post-doctorants français. Ils restent aux États-Unis parce qu'ils sont bien accueillis dans leur milieu universitaire ; des conditions de travail bien supérieures à celles qu'offre l'université française ou le CNRS leur permettent de donner le meilleur d'eux-mêmes. Par conséquent, si nous voulons que des chercheurs originaires d'autres pays viennent en France, faisons comme les Américains : accueillons-les bien ! Ne mettons pas de nombreuses entraves à leur venue !
Les chercheurs français installés aux États-Unis obtiennent en quelques années une carte verte puis, au bout de cinq ans, la nationalité américaine. Chez nous, c'est toute une histoire ! Tout cela ne rend évidemment pas notre pays très attractif.
Notre discours sur la fuite des cerveaux n'aurait plus lieu d'être, les départs ne s'analysant plus dans ces termes, s'il y avait un échange et si la France réussissait à redevenir un pays de recherche intellectuelle et scientifique attrayant, ce qu'elle n'est pas suffisamment.
Et ce n'est pas avec la carte de séjour « compétences et talents », compte tenu de toutes les restrictions déjà prévues par le projet de loi pour sa délivrance - je me demande d'ailleurs ce que nous réservent les décrets d'application ! -, que nous allons attirer des chercheurs ! Ces derniers viendront en France s'ils trouvent des conditions d'accueil et d'hébergement correctes - l'université de Montpellier a ainsi prévu une structure d'hébergement pour les chercheurs en mission et les professeurs visiteurs -, s'ils sont rémunérés dès leur arrivée et non pas six mois après. Combien ai-je entendu de professeurs visiteurs ou de chercheurs associés vivant en France se plaindre d'avoir dû « tirer la langue » pendant six mois parce qu'ils n'étaient pas rémunérés, leur président d'université ou leur patron de laboratoire ne pouvant rien pour eux à cet égard ! Au Canada ou aux États-Unis, on vous avance l'équivalent de six mois de salaire pour que vous puissiez vous installer !
Heureusement, la France attire encore, pour des raisons historiques et linguistiques, des étudiants et des chercheurs maghrébins et africains. Le directeur d'EduFrance me faisait d'ailleurs récemment remarquer que, sans eux, les études doctorales en sciences exactes n'auraient que très peu d'étudiants.
De même, sans les 7 000 médecins à diplôme étranger, attachés à un exercice médical hospitalier contraint, et sous-rémunérés, que certains chefs de service appellent leur « légion étrangère », certains services d'urgence de CHU parisiens fermeraient, la situation étant encore pire dans les régions !
Au lieu de créer une carte supplémentaire, donnons donc à tous ces étrangers des conditions d'entrée et de séjour sans restrictions mesquines ; traitons-les avec justice et, surtout, facilitons les va-et-vient professionnels. C'est en effet ce qui manque dans notre système. Depuis 1973, tout a tellement été bien verrouillé dans tous les domaines qu'il en est résulté un blocage. Au lieu de faire la navette entre leur pays et la France, les étrangers se retrouvent bloqués d'un côté ou de l'autre, et nous, nous y perdons.
Je ne crois pas beaucoup à l'utilité de cette carte de séjour « compétences et talents » et à tous les ajouts quelque peu paternalistes de l'Assemblée nationale.