Avec cet article 9, nous entrons de plain-pied dans le domaine de la fiscalité du patrimoine, dont le moins que l'on puisse dire est qu'elle polarise toute l'attention de la majorité sénatoriale, et de la majorité gouvernementale dans son ensemble.
Avec cet article, il s'agit de modifier la législation sur les droits de succession. Parmi les mesures contenues dans ce projet de loi de finances, finement ciblées pour profiter aux ménages les plus aisés, la réduction des droits de succession que prévoit l'article 9 est très révélatrice d'une manière de travestir la réalité par une présentation orientée et des exemples judicieusement choisis.
La présentation par le ministre est on ne peut plus sympathique : j'estime, dit-il, que lorsqu'on a travaillé toute sa vie, on a le droit de laisser à ses enfants en franchise d'impôts ce qui représente le produit de son travail. C'est magnifique : quelle envolée, quel talent !
Il s'agirait ainsi d'une mesure favorable aux classes moyennes, donc à un grand nombre de nos concitoyens. Cette démarche procède, au fond, de la même manoeuvre idéologique que la réduction en pourcentage de l'impôt sur le revenu : un grand nombre de ménages y gagnent un peu et un petit nombre, niché à l'extrémité supérieure de l'éventail des bénéficiaires, y gagnent beaucoup. Le subterfuge consiste à ne parler que du nombre de gagnants, en taisant soigneusement ce que gagne chaque catégorie.
Des universitaires et des journalistes, attentifs et curieux, ont d'ailleurs démonté le mécanisme de ce subterfuge. Certains, très consciencieux, se sont même fait aider par des notaires.
Le premier exemple est celui d'un conjoint survivant sans enfant. Grâce à la réforme proposée, avec un patrimoine de 100 000 euros, l'héritier est exonéré de tout droit et économise 2 470 euros. S'il hérite de 200 000 euros, la note fiscale passe de 22 170 euros à 12 170 euros, soit une économie de 10 000 euros. Pour des patrimoines plus élevés, allant de 400 000 euros à 600 000 euros, le montant économisé plafonne à 10 000 euros dans le premier cas, et à 10 400 euros dans le second. L'efficacité de la réforme est donc à son sommet pour les veufs qui héritent de 200 000 euros.
Le deuxième exemple est celui d'un conjoint survivant de soixante-cinq ans avec un enfant. On a supposé que l'époux survivant utilisait la possibilité ouverte par la loi du 3 décembre 2001 de disposer de tout l'héritage en usufruit, l'enfant conservant la nue-propriété. Puisque le parent a soixante-cinq ans, l'usufruit est évalué forfaitairement à 40 % de la valeur du bien. Pour un patrimoine de 100 000 euros, la réforme n'apporte rien au conjoint survivant, déjà exonéré dans le système actuel ; l'enfant, lui, fait une économie de 1 150 euros.
Si la succession s'élève à 200 000 euros, le gain est plus substantiel : le conjoint survivant n'économise que 200 euros, mais l'enfant gagne 6 800 euros. Si l'héritage atteint 400 000 euros, voire 600 000 euros, la réduction d'impôt est de 4 000 euros pour le conjoint et de 6 800 euros pour l'enfant. Les gains les plus importants sont donc, en valeur absolue, pour les successions comprises entre 200 000 euros et 400 000 euros.
Le troisième et dernier exemple est celui d'un conjoint survivant avec deux enfants. Les héritiers sont, comme auparavant, exonérés de tout droit s'ils se partagent 100 000 euros. Si l'actif s'élève à 200 000 euros, le conjoint économise 200 euros et chaque enfant 1 150 euros. Ce n'est encore qu'au-delà de 400 000 euros que la réforme abaisse substantiellement les droits dus par les trois héritiers de 11 600 euros en tout.
Et le journaliste conclut ainsi : « La réforme s'avère peu efficace pour les petits patrimoines que le dispositif actuel épargnait déjà, et concerne au premier chef les transmissions dépassant 200 000 euros [...]. En 2000, seuls 10 % des successions portaient sur un actif supérieur à 222 373 euros, selon un rapport sur la fiscalité de novembre 2002, réalisé par le rapporteur général Philippe Marini. La réforme ne devrait donc profiter qu'à une minorité d'héritiers. » C'est la vérité !
Au vu de ces observations, nous ne pouvons que vous inviter, mes chers collègues, à adopter cet amendement de suppression de l'article 9 et à le faire par scrutin public.