Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la situation dans laquelle nous nous trouvons est quelque peu irréelle.
D’un côté, certains éléments suscitent un enthousiasme formidable pour l’Europe. Ne l’oublions pas, les vingt-sept États membres de l’Union européenne ont fini par ratifier le traité de Lisbonne : qui aurait cru cela possible il y a encore quelques mois ? En outre, pour la première fois, le Parlement européen comprend des représentants de vingt-sept pays. Enfin, au cours de sa présidence de l’Union européenne, la France a montré que cette dernière pouvait empêcher le développement de conflits militaires, comme en Géorgie, et permis à l’Europe de tenir un rôle majeur au sein du G 20 lors de la crise mondiale. Tout cela pourrait nous amener à penser que nous sommes sortis d’une époque où l’Union européenne se consacrait davantage à son organisation institutionnelle qu’au traitement des vrais dossiers.
D’un autre côté, cependant, la Commission a publié, avant finalement de le retirer, un curieux document prévoyant que serait envisagé, le 24 novembre, l’abandon de politiques européennes auxquelles nous tenons !
Notre présent débat, qui fait suite à un travail remarquable de M. le rapporteur spécial, nous amène à réfléchir sur la participation de la France au budget des Communautés européennes, qui ne me paraît pas à la mesure de l’ambition que nous pouvons avoir pour l’Europe, comme l’a souligné M. le président de la commission des affaires européennes.
Faut-il, pour autant, retomber dans le scepticisme ? Non ! C’est au contraire le moment de se battre – et nous comptons sur vous pour cela, monsieur le secrétaire d’État – pour créer la dynamique que nous appelons tous de nos vœux. En effet, nous devons faire partager une formidable ambition. Le traité de Lisbonne confère aux Parlements nationaux, ainsi d’ailleurs qu’au Comité des régions, plus de pouvoirs, met l’accent sur l’application du principe de subsidiarité et, surtout, instaure un président de l’Union et un haut représentant pour les affaires étrangères et pour la politique de sécurité : ces éléments doivent nous inciter à faire des propositions et à aller de l’avant.
En matière budgétaire, personne ne conteste que la croissance, l’emploi, la lutte contre le réchauffement climatique, l’énergie et les transports soient de grandes priorités. Mais faut-il, pour autant, démanteler, comme l’a dit M. Haenel, des politiques importantes, qui devraient au contraire être valorisées dans la mesure où le traité de Lisbonne a posé le principe de la cohésion territoriale ? Celle-ci concerne certes d’abord les régions ou les pays les plus en difficulté, les plus pauvres en termes de PIB, mais également l’ensemble des États membres, dont la France, étant donné que tous connaissent de vrais problèmes en la matière, eu égard notamment à la situation des zones de montagne.
Il nous appartient donc de rappeler que nous ne saurions accepter un démantèlement de la PAC, qui est tout de même la seule grande politique commune. On dit qu’elle coûte cher, mais on oublie de souligner que, dans une large mesure, les États ne financent pas directement ce secteur. Nous sommes bien sûr partisans de la stratégie de Lisbonne, axée sur la compétitivité et la recherche, mais, dans ces domaines, la contribution des États est plus importante que celle de l’Union européenne : il faut donc comparer ce qui est comparable.
Nous avons besoin de la PAC ! À ce propos, il est heureux que M. le ministre de l’agriculture ait réussi à faire reconnaître la nécessité d’une régulation des marchés agricoles, en particulier de celui du lait, les producteurs étant actuellement plongés dans une profonde inquiétude, et que 300 millions d’euros de crédits aient pu être débloqués pour faire face à cette crise : cela montre bien que c’est à l’échelon européen que peuvent être traités les problèmes d’une agriculture dont on redécouvre soudain toute l’importance pour répondre aux besoins de la planète et garantir la sécurité alimentaire. Les contraintes imposées à nos agriculteurs représentent une sécurité pour les consommateurs.
Il ne faut donc surtout pas tirer un trait sur la PAC, même si elle doit, bien entendu, être réformée pour prendre en compte les impératifs du développement durable. À cet égard, une chose est sûre : sans agriculture, il n’y aura pas de développement durable ! La nature a besoin d’être protégée, et les agriculteurs sont ses premiers défenseurs. Des efforts doivent être consentis en faveur de l’agriculture biologique et de l’identification des produits. On ne peut envisager de renoncer à la PAC sous le prétexte fallacieux qu’elle coûterait cher !
Il en va de même pour ce qui concerne la cohésion territoriale : à l’heure où l’Europe s’est fixé un objectif en la matière, comment pourrait-on renoncer à ce principe et supprimer les actions financées au titre de l’objectif 2 ? La contradiction serait totale ! Supprimer un certain nombre de programmes constituerait-il un signal positif adressé aux citoyens de l’Europe ? Est-ce là le meilleur moyen de leur faire aimer l’Europe et de leur donner l’envie de croire en la construction communautaire ? Promouvoir la cohésion territoriale est donc important au regard à la fois du développement et du projet européen.
La politique de voisinage présente également un intérêt primordial. Alors que la France a lancé, avec génie, l’Union pour la Méditerranée, projet qui, à mon sens, doit mobiliser toutes nos énergies, et que nous prenons nettement conscience que l’avenir même de l’Europe est lié à la situation de ses voisins, il serait pour le moins incohérent de tirer un trait sur la politique de voisinage. Peut-être faut-il aujourd'hui la redéfinir, pour passer d’un système de négociations bilatérales à une conception plus régionale, centrée par exemple sur la Méditerranée, la mer Noire et la Baltique, mais elle permet d’ouvrir des perspectives.
Ces grandes politiques ne doivent donc pas être abandonnées, mais alors comment faire ? Il est vrai que se pose le problème du budget, mis en exergue par M. le rapporteur spécial : en l’absence de véritables ressources propres, l’Union européenne dépend en réalité des contributions des États membres. On peut envisager la création d’un impôt européen, comme semble l’avoir fait la coalition au pouvoir en Allemagne, mais, en tout état de cause, sans doute conviendrait-il de sortir du système actuel, quelque peu dangereux dans la mesure où il conduit à établir des comparaisons entre contribution versée et crédits européens obtenus. De tels calculs nous éloignent de l’idéal européen ! En particulier, nous devrions en principe bientôt sortir du système du « chèque britannique », dont le coût s’élève à quelque 5 milliards d’euros, le cinquième de cette somme étant à la charge de la France.
Il me semble donc que l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne ouvre une période nouvelle. La disparition des dépenses obligatoires et le renforcement du rôle du Parlement européen doivent nous inciter à être extrêmement vigilants. Dans cette perspective, nous devons resserrer nos liens avec les députés européens, ainsi qu’avec le Comité des régions. Il importe d’exercer une influence afin que l’analyse des problèmes ne soit pas bornée par des a priori.
Donnons à l’Europe les moyens d’être présente dans les débats mondiaux et d’atteindre ses grands objectifs : le développement harmonieux des territoires, d’abord en son sein mais aussi dans les ensembles géographiques voisins, l’emploi et la paix. L’élargissement de l’Union européenne posera des problèmes difficiles. Je ne pense pas uniquement, à cet instant, à la Turquie, comme pourrait le faire soupçonner ma qualité de président du groupe d’amitié sénatorial France-Turquie : la situation dans les Balkans, notamment, indique que l’Europe doit rester un facteur de paix, comme elle a pu l’être sous la présidence française. C’est à cette condition que l’Europe pourra répondre à l’attente, qui manque encore d’enthousiasme à mes yeux, de sa jeunesse.
Au-delà des comptes d’apothicaire, parfois nécessaires, il est indispensable d’atteindre des équilibres de civilisation et de nous projeter dans l’avenir, comme nous y ont invités MM. Haenel et Badré, pour participer à ce qui peut être une aventure humaine exceptionnelle : faire en sorte que l’Europe soit source de prospérité, de paix et de cohésion. Je conclurai en vous remerciant, monsieur le secrétaire d’État, pour l’eurokit !