Intervention de Philippe Marini

Réunion du 25 novembre 2009 à 14h30
Loi de finances pour 2010 — Débat sur l'évolution de la dette

Photo de Philippe MariniPhilippe Marini, rapporteur général de la commission des finances :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’ai assez souvent utilisé ces derniers temps cette expression : être comme en état d’apesanteur financière.

Nous vivons bien un paradoxe, car, à certains égards, nous sommes dans une bulle de taux d’intérêt, avec une dette qui explose ou, en tout cas, s’alourdit très sensiblement en termes de capital restant dû, tout en pesant moins lourdement en termes de charge d’intérêt.

Pour l’année 2009, les frais financiers auront été inférieurs, comme le rappelait à l’instant Jean-Pierre Fourcade, de 5, 7 milliards d’euros à ceux de 2008, et cela malgré une augmentation de l’encours de 123 milliards d’euros.

Faut-il appréhender la sortie de crise ? Faut-il craindre le retour à la normale ?

Nous savons bien que l’inflation va réapparaître et que les taux d’intérêt vont remonter, tandis qu’il faudra bien rembourser toute cette dette accumulée.

L’afflux de liquidités à coût nul commence à faire sentir ses effets pervers sur les marchés des changes, avec la baisse annoncée du dollar. Aujourd’hui même, l’euro est à 1, 50 dollar, tandis que l’or atteint de nouveaux records, à 1 118 dollars l’once.

La sortie de crise sera le moment de vérité des modèles économiques, et nous allons voir se creuser les différences entre les pays. Je parle, bien entendu, des modèles économiques nationaux.

Regardons les écarts de taux d’intérêts, les spreads. Le tableau sur les différentiels de taux montre que le marché se scinde de plus en plus nettement en trois groupes, autour de trois couples de pays : Allemagne-France, les mieux placés, Italie-Espagne, et Grèce-Irlande, qui sont très loin.

L’Italie a un endettement élevé, 113 % du produit intérieur brut, qui l’a toujours mal placée, mais la crise l’affecte moins, ses banques ayant été peu touchées, d’où sa tendance à retrouver la moyenne. Si la dette française devait être payée au taux de l’Italie, cela nous coûterait quand même un milliard et demi d’euros de plus par an.

Le ratio dette de l’Espagne est de 63 %. Elle a connu de grands chocs et a pu résister, car elle disposait d’une meilleure situation initiale, mais elle n’arrive plus à réagir maintenant avec le groupe réputé le plus solvable, et s’en éloigne de plus en plus.

Que peut-on dire de l’avenir, en particulier de la surveillance qui s’exerce au niveau de l’Union européenne et de la pression des marchés ?

Faire appel aux marchés a des contreparties : tôt ou tard, ceux-ci vont se poser à nouveau la question de la solvabilité des États pour établir une nouvelle hiérarchie en fonction de la soutenabilité de leurs finances publiques. Nul doute qu’ils n’apprécieront pas seulement notre aptitude à investir utilement, mais aussi et surtout à faire des économies de fonctionnement, et même des sacrifices : c’est indispensable si l’on veut, monsieur le ministre, que les marges de manœuvre que l’on se donne avec le grand emprunt servent à quelque chose et que les frais financiers qu’il induit soient supportables.

Ce grand emprunt vient donc opportunément pour élargir notre marge de manœuvre. Si nous pouvons profiter de la fenêtre d’opportunité des taux, tant mieux ! Mais attention : il ne sera vertueux qu’en tant que déclinaison de la règle d’or, entendue comme n’autorisant l’État à emprunter que pour financer des dépenses d’investissement, et seulement s’il permet d’escompter à terme un retour sur investissement ; c’est la fameuse rentabilité dont nous aurons l’occasion de reparler.

Ma conviction est que, sans doute plus tôt qu’on ne le pense, la pression sur les comptes publics – pas seulement celle, assez compréhensive finalement, de nos grands partenaires européens, mais surtout celle, anonyme, résultant des marchés ! –, pression aujourd’hui entre parenthèses, va ressurgir et représenter pour nous un véritable défi pour les années à venir.

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