Intervention de Éric Woerth

Réunion du 25 novembre 2009 à 14h30
Loi de finances pour 2010 — Débat sur l'évolution de la dette

Éric Woerth, ministre :

… et que nous ne sommes donc pas plus mauvais qu’eux. En l’occurrence, mon intention est d’éclairer sur la réalité de notre situation, car nos compatriotes ont l’idée, solidement ancrée dans leur tête, que leur pays est infiniment plus endetté que les autres. Or la France est endettée, oui, mais pas plus que ses partenaires. Elle est plutôt moins endettée que les pays de la zone euro et beaucoup moins endettée que les pays de l’OCDE. Notre pays est, par exemple, beaucoup moins endetté que les États-Unis, le Royaume-Uni, le Japon, etc.

Cette dégradation de la dette au sein de l’ensemble des économies est uniquement due à la crise. Elle n’est pas due, en France en tout cas, à l’excès de dépense. Elle est due au plan de relance. Or le plan de relance n’est pas un excès de dépense : c’est une arme contre la crise, une arme voulue, votée et dont le poids financier était parfaitement appréhendé.

Je vous rappelle que, dans cet hémicycle, certains ont affirmé que 1 point de PIB, 1, 5 point de PIB, 2 points de PIB, ce n’était pas suffisant. On a déploré le « manque d’ambition » de ce plan de relance ! Ce plan était simplement ajusté, comme on le constate aujourd’hui.

Si les déficits publics et la dette ont explosé, c’est donc bien en raison de la crise, je tenais à le rappeler.

Je remercie également Charles Guené d’avoir évoqué la maîtrise de la dépense. Cette maîtrise n’est pas une réponse à l’endettement sur le très court terme. C’est une réponse sur le moyen terme. Pour résoudre l’endettement français, il faut d’abord mettre fin à l’hémorragie financière engendrée par le déficit public.

Nous avons montré, dans le cadre du projet de loi de finances pour 2010, que nous réduirions le déficit de l’État l’an prochain. Nous avons dans le même temps apporté la preuve que nous abaisserions le déficit public de 1, 5 point, puis de 1 point de PIB dans les années à venir.

C’est un exercice très difficile, auquel on peut ne pas croire, mais sur lequel le Gouvernement sera totalement mobilisé, car le ministre du budget ne peut pas agir seul.

La dette française, monsieur Fourcade, a conservé à peu près le même type de composition. Nous avons, il est vrai, fait appel à de l’endettement à court terme pour profiter du prix de ce dernier. Mais nous ne l’avons pas fait davantage que les Allemands, nous l’avons même fait plutôt moins. L’Allemagne n’a-t-elle pas financé son déficit budgétaire en 2009 à 70 % par des titres d’une durée inférieure à un an ? Pour la France, cette proportion n’atteint pas 50 % et la durée de vie moyenne de la dette n’a pas beaucoup évolué : elle s’est établie à 6, 8 ans en 2009 et elle était du même ordre les années précédentes. En effet, 40 % du déficit supplémentaire ont été financés par des titres de moyen et de long terme, dont les émissions sont passées de 135 milliards à 165 milliards d’euros dans le projet de loi de finances rectificative.

Nous avons donc utilisé les moyens de court terme parce qu’ils étaient moins onéreux. Nous aurions eu tort de nous en priver !

Évidemment, contracter de la dette à court terme, c’est s’exposer au risque de taux ; mais au moins nous en sommes conscients, ce qui signifie que nous restons lucides. En outre, le budget pour 2010 prévoit bien une augmentation des taux. Nous passons d’un taux moyen sur les émissions de BTF d’environ 0, 7 % à un taux de 1, 3 % en 2010. La charge de la dette a donc été augmentée. Il est certain que, si les taux d’intérêt augmentent beaucoup, les années 2011 et 2012 seront très difficiles, et pas uniquement en France.

Je suis en train de préparer le budget pour 2011 : celui-ci inclut des hypothèses de dette qui nécessitent une réduction supplémentaire des dépenses de fonctionnement. Car c’est bien de cela qu’il s’agit.

J’en arrive au grand emprunt, qui a été très largement décrit et commenté par le rapporteur général, par Jean-Pierre Fourcade, par François Marc et par Jean-Pierre Chevènement.

Le grand emprunt ne doit pas être source d’inquiétude, car il ne s’agit pas d’une dette ordinaire.

Nous savons que nous sommes endettés, que chaque année beaucoup d’argent est emprunté sur les marchés et que nous sommes plutôt bien notés. Mais ce grand emprunt n’est pas un emprunt comme les autres en ce qu’il permet à la France d’engager un débat sur l’investissement qu’elle n’avait pas eu depuis bien longtemps.

Investir, au fond, c’est croire en l’avenir. C’est vrai pour les particuliers que nous sommes : si nous achetons une maison à crédit, c’est que nous pensons avoir dans les années futures les moyens de rembourser l’emprunt. De même, quand un chef d’entreprise acquiert une machine, c’est qu’il espère un retour sur son investissement. Cela vaut également pour un État. L’État doit faire naître de la confiance, et ce sera le cas avec ce grand emprunt s’il est conduit intelligemment.

La commission Rocard-Juppé a émis des conclusions intelligentes, très éloignées du florilège auquel nous avons eu droit jusqu’à présent. Ce sont des conclusions carrées, argumentées et qui contiennent le mode d’emploi du grand emprunt tel que le Président de la République l’a souhaité.

Je n’éprouve donc aucune inquiétude sur une éventuelle dégradation de notre situation financière par le grand emprunt, bien au contraire.

Je ne redoute pas plus un affaiblissement de la signature française du fait de cet emprunt, à condition que celui-ci soit du niveau proposé par Alain Juppé et Michel Rocard. Il nous permettra de conserver la hiérarchisation du niveau des emprunts par rapport à d’autres pays, comme l’Allemagne, à laquelle il est extrêmement important de pouvoir se comparer.

Par ailleurs, des exigences de rentabilité seront posées.

J’ai lu dans un journal que, pour une agence de notation, 35 milliards d’emprunt représentaient 1, 8 point de PIB et qu’un emprunt d’un tel montant allait augmenter d’autant le déficit. Vous savez bien que ce n’est pas le cas. En effet, 60 % du grand emprunt, s’il est structuré comme MM. Juppé et Rocard le préconisent, comprendront des contreparties en actifs, des fonds de dotation, des avances remboursables, etc., ce qui ne pèse pas sur le déficit public au sens maastrichtien du terme. Il faut bien se comparer avec les autres pays et adopter les mêmes règles comptables ! Évidemment, cet emprunt pèsera en termes d’endettement, mais il faut se garder de se livrer à des analyses trop rapides !

Enfin, la commission a retenu pour ma plus grande joie une de mes suggestions, qui ne laissera pas indifférents M. le rapporteur général et sans doute aussi Jean-Jacques Jégou, à savoir qu’il faut gager les charges supplémentaires du grand emprunt par une diminution supplémentaire de nos dépenses de fonctionnement.

Il me semblait que ce principe, au moins, était vertueux...

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