Au cours de la discussion générale, M. Badinter évoquait la nécessité d'une « européanisation de notre droit, en attendant l'unification des droits européens ». Il poursuivait : « Cela est particulièrement important [...], puisque les affaires ont bien souvent une dimension internationale. »
L'amendement n° 281 tend précisément à prendre en compte cet aspect, c'est-à-dire à nous permettre, d'une part, de nous adapter au contexte économique et, d'autre part, d'avoir une législation en la matière la plus proche possible de celle de nos partenaires, notamment des Anglo-Saxons.
Après l'entrée en vigueur du règlement européen relatif aux procédures d'insolvabilité, les différentes lois nationales sont entrées dans une ère de concurrence. Le droit français dispose à cet égard d'atouts importants : en effet, les deux nouvelles procédures phares de la réforme, la conciliation et la sauvegarde, mettent l'accent sur la prévention des difficultés des entreprises.
Malheureusement, le projet de loi ne prend pas suffisamment en compte certains aspects du droit communautaire.
Certes, le Gouvernement a décidé de faire inscrire la sauvegarde comme procédure d'insolvabilité à l'annexe A du règlement européen. Cependant, monsieur le garde des sceaux, votre prédécesseur a estimé que, n'étant pas une procédure judiciaire, la conciliation n'était pas susceptible de faire l'objet d'une reconnaissance européenne au titre du règlement.
Cette prise de position, qui est conforme à la définition classique d'une procédure collective, ne permet pas d'assurer à la conciliation homologuée le rayonnement et l'efficacité qu'elle mériterait à l'échelon européen.
Au-delà de la discussion juridique, ou doctrinale, la véritable question qui se pose est plutôt d'ordre politique : la France veut-elle permettre à ses grands groupes en difficulté de maîtriser leurs procédures, et donc leur destin, en choisissant le droit français et en l'exportant dans d'autres pays européens, ou bien préfère-t-elle subir la loi des autres ?
A l'heure actuelle, nous assistons à une véritable offensive du droit anglais, qui est présenté comme le seul droit suffisamment flexible en Europe pour permettre de mener à bien les procédures d'insolvabilité de grande envergure. Les juges anglais retiennent donc systématiquement leur compétence pour appliquer le droit anglais non seulement aux procédures d'insolvabilité des sociétés holdings britanniques, mais aussi à l'ensemble de leurs filiales, même si leur siège se trouve dans un autre Etat membre.
Or, avec la conciliation homologuée, la France dispose d'une procédure plus efficace, plus attractive, plus flexible et, surtout, qui intervient plus en amont que la procédure d'administration anglaise pour donner aux groupes de sociétés de taille européenne la possibilité de se restructurer.
C'est pourquoi le premier objet de l'amendement n° 281 est d'inscrire la conciliation homologuée ainsi que la sauvegarde à l'annexe A du règlement.
Par ailleurs, le législateur semble avoir tout intérêt à prévoir des mesures d'adaptation en droit interne pour corriger certains effets pervers du règlement européen sur le droit français. L'exemple d'une procédure d'insolvabilité ouverte en faveur d'une société étrangère possédant une importante succursale en France permet de comprendre la problématique posée.
Si l'on veut que les salariés français et l'AGS, l'association pour la gestion du régime d'assurance des créances des salariés, bénéficient des règles protectrices du droit français telles que la procédure de licenciement ou que le rang du super-privilège, il est nécessaire que soit ouverte en France une procédure secondaire au bénéfice de la succursale.
Aux termes du règlement, cette procédure secondaire doit être une procédure de liquidation. Toutefois, des aménagements sont possibles, puisque la définition de la « procédure de liquidation » au sens de l'article 2 c) du règlement permet une clôture de la procédure par un concordat ou par toute autre mesure mettant fin à l'insolvabilité. Dans le même ordre d'idées, l'article 34 du règlement dispose que la loi nationale peut prévoir la possibilité de clôturer une procédure secondaire sans liquidation, par un plan de redressement, un concordat ou une autre mesure comparable qui peut être proposée par le syndic de la procédure principale. Une telle clôture peut être mise en oeuvre sans l'accord du syndic principal lorsque la mesure n'affecte pas les intérêts financiers des créanciers de la procédure principale.
Il appartient donc au législateur national de prendre des mesures d'adaptation. C'est pourquoi notre amendement vise à permettre le recours à la conciliation, à la procédure de sauvegarde ou au redressement judiciaire pour clore une procédure secondaire.