Nous abordons effectivement l’un des articles les plus importants du texte : derrière les notions de capacité d’initiative, de répartition des compétences, de financements croisés ou de chef de file, on trouve celle de libertés locales.
L’une des plus fondamentales de ces libertés locales, c’est la liberté d’agir, de façon contrôlée et limitée. Elle est désignée, dans le projet de loi, par l’expression « capacité d’initiative », et elle correspond à la clause générale de compétence.
Si celle-ci revêt une importance essentielle, c’est notamment parce qu’elle se trouve depuis plus d’un siècle, qu’on le veuille ou non, au cœur du droit des collectivités territoriales, au point que notre conception de la clause générale de compétence exprime et définit aussi notre conception de la décentralisation, qui peut être seulement administrative, ou politique.
Tout à l’heure, en défendant l’amendement que j’ai déposé sur cet article, je montrerai que le projet de loi dénature habilement la clause générale de compétence, jusqu’à l’anéantir, ou presque. Auparavant, je souhaite insister sur la signification de cette capacité d’initiative.
La clause de compétence générale reflète une réaction française devant un État historiquement très jacobin, très unitaire et très centralisé. C’est la solution que nous avons trouvée, dans notre pays, pour faire respirer un système quelque peu verrouillé. Il ne s’agit pas seulement d’une considération théorique générale : la capacité d’initiative permet aux administrations locales d’être efficaces et de répondre aux besoins de la population, dans un système qui n’est pas fédéral, la Constitution ne précisant pas de manière limitative la répartition des compétences entre l’échelon central et les niveaux périphériques.
Par ailleurs, la clause de compétence générale a une portée éminemment constitutionnelle, même si elle ne constitue pas en soi un principe constitutionnel. Elle est selon moi la pierre angulaire du principe de libre administration locale, qui est lui-même un principe constitutionnel. Cela me semble assez clair, même si j’aimerais que le Conseil constitutionnel se prononce un jour sur ce point !
Pour être plus précis, depuis la réforme opérée par le gouvernement Raffarin, l’article 1er de notre Constitution dispose que la France est une République dont l’organisation est décentralisée. Or l’exposé des motifs du projet de loi constitutionnelle et le compte rendu des débats de l’époque renvoient à l’article 72 de la Constitution, où il est question de subsidiarité et de libre administration des collectivités territoriales. La portée constitutionnelle de la clause de compétence générale n’est donc nullement théorique : il s’agit de protéger des libertés qui, historiquement, se sont constituées en réaction à un État central fort.
Enfin, la clause générale de compétence est tout simplement le principe de l’efficacité locale. Certains de nos collègues voudraient nous faire croire qu’elle offre aux élus la liberté de faire n’importe quoi, de dépenser comme ils l’entendent ! Or il n’en est rien : il s’agit de pouvoir répondre aux attentes de la population lorsqu’un problème se pose sur un territoire, par exemple en cas de marée noire. Nos concitoyens se moquent bien de la clause générale de compétence, du principe de spécialisation ou d’exclusivité des compétences : ils veulent que l’on réponde concrètement à leurs besoins et que l’on règle les problèmes. À cet égard, la clause générale de compétence est, pour les élus, un principe de liberté d’action et d’imagination. Il en va des personnes publiques comme des personnes privées : dans une démocratie, ce n’est pas leur liberté qu’il faut mettre en cause, mais le mauvais usage qu’elles peuvent éventuellement en faire. Dans le cas des élus, c’est aux électeurs qu’il revient alors de se prononcer.
Je le répète, ce sujet est fondamental. Le texte, bien plus habilement qu’on ne le pense, vide de sa substance la clause générale de compétence, qui assure donc à une collectivité la possibilité d’exercer sa liberté, tout en étant bien sûr soumise à certaines contraintes, et de faire preuve d’imagination.