L’État diminue ses financements. Les collectivités territoriales sont empêchées de se substituer à lui, et même contraintes de réduire leur propre engagement. Ce soir, mes chers collègues, nous discutons de la totalité du budget national de la culture ! Et ceux qui voteront l’article 35 se prononceront pour la diminution de ces crédits. C’est la première fois depuis 1959 ; je pourrais remonter plus haut, mais je me limiterai à la Ve République !
Il s'agit ce soir d’un vote capital, masqué par une discussion technocratique qui fragmente sans cesse les enjeux. Telle est d'ailleurs la technique habituelle du Gouvernement, qui occulte ainsi la limpidité de ses mauvais coups !
Ce ne seront plus ni les régions ni les départements qui financeront les projets culturels, puisque l’article 35 vise à supprimer la clause générale de compétence. Or, c’est cette dernière, et elle seule, qui permet aux collectivités territoriales de consacrer une partie de leur budget à l’action culturelle.
En effet – je ne vous apprends rien, mes chers collègues, mais il faut tout de même le signaler –, la culture ne fait partie des compétences obligatoires d’aucune collectivité territoriale !
Cet article précise également qu’une compétence attribuée à une collectivité ne peut être exercée par une autre. Or, compartimenter de façon trop précise les compétences en matière de culture pourrait conduire à un assèchement de la vie culturelle dans les territoires, alors que celle-ci s’est d’abord construite grâce au volontariat des collectivités et à un consensus entre celles-ci, État compris, qui ne reposait pas sur l’interdiction de faire, mais sur la liberté d’entreprendre, ensemble !
Je tiens ici le livre de 526 pages édité par le comité d’histoire du ministère de la culture à l'occasion des cinquante ans de cette institution (M. Jack Ralite brandit un ouvrage.), qui a été présenté ici même, au Sénat, en présence d’une foule nombreuse et d’opinions variées. C’est là une gloire, certes modeste, mais bien réelle, d’une histoire à laquelle vous portez un grand coup si l’article 35 est voté !
Je le répète, il ne s'agit pas ce soir d’un petit vote technique, mais d’un grand vote politique, contre la culture et la création !
Un délai de douze mois est fixé pour que soient réparties les compétences entre les collectivités. Je m’interroge : pourquoi attendre aussi longtemps ? Le présent projet de loi n’était-il pas finalement le plus à même de définir ces compétences ?
Enfin, comme si cela ne suffisait pas, les financements croisés entre les collectivités se trouvent limités. C’est ignorer, ou alors, ce qui est bien plus grave encore, négliger que les projets culturels sont en majorité financés à la fois par les départements, les régions et les communes, et que l’État y participe souvent !
Réduire le financement culturel à une seule collectivité constitue une véritable aberration, qui mènera à la disparition de projets culturels locaux d’importance et de qualité. Dans le domaine artistique et culturel, de très nombreuses structures, festivals et compagnies, dont l’économie générale demeure plutôt fragile, bénéficient de financements croisés.
Qui peut apprécier l’intérêt de leur démarche, sinon les collectivités qui les soutiennent ? Le champ culturel est par nature divers, en termes de domaines et de disciplines, mais aussi du point de vue de sa structuration économique et territoriale. Une partie de son économie repose sur les efforts constants et conjugués des collectivités et sur l’approfondissement de stratégies de mutualisation et de solidarité entre organismes artistiques et culturels.
Ainsi, face aux inquiétudes réelles et fondées du monde de la culture, le ministre en charge de ce domaine, qui est absent ce soir – c’est scandaleux, je n’hésite pas à le dire ! – se déclare « attentif » à cette question et affirme « ne pas souhaiter renoncer à la participation de tous les échelons locaux au financement de la culture ».
Et le Président de la République de nous rassurer, ou du moins de tenter de le faire, lors de ses vœux au monde de la culture, le 7 janvier 2010, en déclarant qu’il ne toucherait pas aux compétences culturelles des collectivités. Lors d’une réunion récente au Sénat, son directeur de cabinet a affirmé de même vouloir nous « rassurer » au motif qu’il serait « attentif » à ce problème. Toutefois, le vote de ce soir ne sera ni attentif ni rassurant : il sera meurtrier !
On nous laisse entendre que la culture pourrait faire partie de ces exceptions prévues par l’article 35 et demeurer une compétence partagée. Ces déclarations ne parviennent pourtant pas à dissiper nos inquiétudes. Le Gouvernement nous a trop souvent montré que ses promesses ne le liaient guère ; nous n’aurons donc de cesse de nous battre tant que celles-ci n’auront pas été suivies d’effet, car cet article du projet de loi fragilise la tenue et le développement de la culture française.