Monsieur de Broissia, j'ai bien entendu votre message, et je sais, par la manière même dont vous l'aviez présenté, que vous aviez l'intention de retirer votre amendement, dont l'objet était d'attirer fortement mon attention et celle du Gouvernement sur les points qu'il soulevait.
La manière dont vous décrivez la situation est le reflet très exact de la réalité de la vie quotidienne du président d'un conseil général aujourd'hui. Chacun comprend, et vous l'avez vous-même souligné, que la question va bien au-delà de la seule décentralisation de telle ou telle compétence. L'évolution en effet de ciseau que rappelait hier le président Arthuis entre, d'une part, l'explosion des dépenses et, d'autre part, la stabilisation des recettes rend la situation absolument intenable.
Sans doute vous souvenez-vous que nous avons eu, vous et moi, un échange tout à fait passionnant voilà quelques semaines alors que vous vous exprimiez au titre de l'ADF dont vous êtes l'un des membres les plus éminents. Je vous ai dit quelle ligne de conduite j'entendais vous proposer sur cette question.
Que ce ne soit pas simple, je le reconnais volontiers. En effet, quand un ministre vous annonce une conférence des finances publiques, au fond de vous-même, vous vous demandez - même si, je le sais, vous avez un peu d'estime pour moi ce dont je vous remercie, et c'est d'ailleurs réciproque - ce que le ministre attend pour passer à la phase conclusive.
Je vais donc vous répondre, monsieur de Broissia ! Si nous n'en sommes pas à la phase conclusive, c'est parce que c'est un énorme - énorme ! - sujet qui dépasse, bien entendu, la simple logique comptable. Ce qui est en cause, c'est une réflexion sur notre société, sur la manière de sauver notre modèle social avant qu'il ne soit trop tard, sur la manière d'apporter maintenant les réponses que les Français attendent pour en corriger les excès et les abus.
Chaque jour qui passe, chacune et chacun d'entre nous a sa petite idée sur notre modèle social et sur la manière d'agir. Faut-il l'améliorer ou, au contraire, le mettre à bas ? Faut-il le moderniser ou, au contraire, le refonder totalement ?
Si chacun a son idée, il me semble tout de même qu'il est deux ou trois sujets sur lesquels l'écrasante majorité des Français se retrouve, notamment l'idée selon laquelle une grande nation doit être capable d'assurer la solidarité nationale à condition que chacun se sente bien dépositaire de droits et de devoirs. C'est la logique, non d'assistance, mais de responsabilité.
Autre idée, il est nécessaire de corriger les effets les plus pervers de situations comme celle que j'ai évoquée hier soir dans laquelle l'allocataire du RMI perd de l'argent s'il reprend un travail rémunéré au niveau du SMIC. Voilà des choses qui ne peuvent pas durer éternellement, ne serait-ce que parce que notre pays n'aura pas éternellement les moyens de les financer.
Ce travail est aujourd'hui d'autant plus difficile à mener qu'il incombe, pour une bonne part, aux conseils généraux. Et c'est d'autant plus difficile pour des élus de votre stature que vous avez parfois le sentiment - à juste titre - que tout cela repose sur vos épaules ou plutôt qu'on veut le faire reposer sur vos épaules, y compris la responsabilité de ce qui s'ensuit, alors que vous n'êtes pas, loin s'en faut, décisionnaires de tout le dispositif.
De même, je peux comprendre que, lorsque telle ou telle disposition est évoquée, voire adoptée, vous ayez des inquiétudes en vous demandant comment vous allez faire en l'état de vos comptes.
Je crois que, s'il faut être vigilant - et vous avez raison, monsieur de Broissia, de l'être -, il faut aussi comprendre que, dans cette affaire, le Gouvernement manifeste une volonté forte d'être garant des équilibres. Nous ne sommes pas là pour essayer de nous défausser sur d'autres ; d'ailleurs, le juge constitutionnel ne le tolérerait jamais !
Qu'on le dise sur un mode polémique, je l'admets, et c'est une autre affaire. Mais, sur le fond des choses, la décentralisation, je ne cesse de le dire, n'est pas de gauche ou de droite. C'est une autre manière de répartir les compétences entre les uns et les autres pour plus d'efficacité publique et pour rendre le meilleur service public possible au meilleur coût pour le contribuable, pour l'usager et pour les fonctionnaires.
Sachez-le, monsieur de Broissia, dans ce domaine, nous sommes exactement sur la même ligne. C'est en travaillant ensemble que nous trouverons les meilleures solutions et que nous pourrons sortir par le haut de ce débat d'autant plus difficile qu'il met vraiment à nu une réalité : comment faire pour rendre, demain, un meilleur service public, au service de l'intérêt général ?