Intervention de Alain Anziani

Réunion du 18 octobre 2011 à 15h00
Contentieux et procédures juridictionnelles — Discussion en nouvelle lecture d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Alain AnzianiAlain Anziani :

J’en viens à présent à ce qui constitue, selon moi, l’essentiel du texte, c’est-à-dire le chapitre 8, qui tend à modifier véritablement, même si c’est de façon discrète, la nature de notre système judiciaire. Or je considère que l’on n’y consacre pas suffisamment de temps.

Jusqu’à présent, notre système judiciaire plaçait au cœur du débat judiciaire le pouvoir du juge. Or ce texte introduit, une fois encore, plusieurs inflexions destinées à déposséder le juge de son pouvoir et à transférer celui-ci au procureur. Au prétexte d’alléger la procédure, vous allégez le pouvoir judiciaire lui-même.

M. André Reichardt se réjouissait de l’introduction de la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité. Pour ma part, je m’en désole !

Vous avez le droit, monsieur le garde des sceaux, de changer de système judiciaire, mais votre devoir est alors d’organiser un véritable débat, car ce sujet le mérite.

Nous dirigeons-nous, oui ou non, vers le système anglo-saxon ou, plus exactement, « à l’américaine » ? Vous dites que non, mais c’est pourtant ce que prévoit votre texte.

Sommes-nous favorables, oui ou non, au plaider-coupable « à la française » ? Je comprends bien les raisons de cette évolution. Elles sont simples, et tiennent en quelques mots : la paupérisation de la justice.

Il est vrai que nos tribunaux sont encombrés et qu’ils manquent de moyens. Certains ne parviennent pas à payer leur facture d’électricité ou à régler les frais d’expertise. Mais pour pallier la paupérisation de l’institution judiciaire, devons-nous affaiblir le pouvoir judiciaire lui-même ? Je ne le pense pas.

La situation est d’ores déjà inquiétante. Aujourd’hui, 96 % des enquêtes s’effectuent sous le contrôle du parquet, et 4 % sous celui des juges d’instruction. Vous voulez aller encore plus loin.

En effet, jusqu’à présent, le plaider-coupable « à la française » concernait les seules infractions passibles d’une peine d’emprisonnement égale ou inférieure à cinq ans. Or vous proposez subitement de l’étendre à toutes les infractions, sans fixer de plafond.

La commission des lois a heureusement restreint cette possibilité en première lecture, en précisant que les atteintes à la personne, à l’instar des agressions sexuelles et des violences à la personne, ne pourront être concernées par le plaider coupable « à la française ». Une telle précision était nécessaire.

Donner du pouvoir au parquet, pourquoi pas ? Mais de quel parquet parlons-nous ? C’est un vieux débat, monsieur le garde des sceaux !

Nous étions en désaccord à propos de la garde à vue « à la française », non conforme, selon nous, et contrairement à votre avis, à la Convention européenne des droits de l’homme. Après plusieurs mois et de nombreux débats, vous avez finalement reconnu que tel était sans doute le cas.

En l’espèce, la situation est la même. Non, le parquet « à la française » n’est pas conforme à la définition du juge au sens européen, tout simplement parce que c’est un juge dont la carrière dépend étroitement du pouvoir, en particulier de celui du garde des sceaux.

Enfin, en conclusion, monsieur le garde des sceaux, comment la justice pourrait-elle être indépendante, alors que vous-même, qui devriez en être le garant, venez de proposer la nomination de votre directeur de cabinet au poste de procureur de la République près le tribunal de grande instance de Paris ? Nous aimerions vous éviter une telle erreur !

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion