À ma grande surprise, en commission, les rapporteurs ont introduit, dans la réécriture qu’ils proposent pour l’article, une disposition qui devrait relever du décret. Il s’agit du passage de l’heure glissante à l’heure d’horloge.
Je ne pensais pas qu’il entrait dans les intentions de la commission de permettre, dans le cadre d’une loi sur le service public de l’audiovisuel, aux chaînes de télévision privées de diffuser de véritables tunnels de publicité.
Pour ceux qui ne connaissent pas le jargon technique, j’expliquerai rapidement de quoi il s’agit. Aujourd’hui, pour faire simple, vous pouvez diffuser au plus six minutes de publicité d’affilée ; ce chiffre va bientôt être porté à neuf minutes. Ensuite, il faut attendre une heure pour avoir de nouveau le droit de diffuser six – et bientôt neuf – minutes de publicité.
Or, si on passe à l’heure d’horloge, vous pourrez très bien avoir, par exemple, neuf minutes de publicité à 19 heures 51, puis, étant donné qu’entre-temps on a atteint 20 heures, c'est-à-dire l’heure suivante, de nouveau neuf minutes, ce qui signifie qu’il sera possible de diffuser dix-huit minutes de publicité d’affilée.
Dans ces conditions, on ne peut pas – et nous avons eu hier un débat sur ce point – nous expliquer que le fondement de cette réforme, c’est que la publicité ne soit pas l’alpha et l’oméga d’un service public offrant une certaine qualité et ayant besoin de se désengager d’objectifs purement mercantiles. À cet égard, j’ai apprécié les propos, tenus aussi par certains sénateurs UMP, montrant à quel point il est parfois frustrant de voir tout à coup une publicité qui n’a rien à voir avec l’émission venir couper un moment d’émotion.
Alors qu’avec cette disposition il sera possible de diffuser un tunnel publicitaire de dix-huit minutes sur TF1 ou M6 à des heures de grande écoute, on nous explique qu’il s’agit ici de discuter d’un service public qu’il faut libérer de la publicité, au motif que celle-ci est nocive ou polluante ! Je crois qu’il y a là une grande contradiction.
Nous nous étonnons que nos rapporteurs prennent dans ce domaine le relais du Gouvernement dans sa volonté de réformer les règles applicables à la diffusion de la publicité sur les chaînes hertziennes privées, afin de conforter encore davantage les positions dominantes des deux opérateurs historiques, TF1 et M6.
On nous annonçait pour bientôt le complément réglementaire de cette réforme législative autorisant les chaînes privées à pratiquer une deuxième coupure lors de la diffusion des œuvres, et leur octroyant de fait les parts de marché libérées par la suppression de la publicité sur les chaînes publiques.
La moitié de la réforme d’ordre réglementaire sera donc réalisée par le législateur. Grâce à une phrase subrepticement glissée par nos rapporteurs – à moins qu’ils n’aient pas suffisamment évalué l’ampleur du dégât que cela entraînerait – dans l’alinéa concernant la suppression des recettes publicitaires sur les antennes de France Télévisions, TF1 pourra, dès la promulgation de cette loi, comptabiliser son temps de diffusion de messages publicitaires en vertu non plus de l’heure dite « glissante », mais de l’heure dite « d’horloge ».
Selon une étude récente, le seul passage à l’heure d’horloge, en dehors de l’allongement du temps de diffusion de la publicité, permettra à TF1 d’engranger un centaine de millions d’euros supplémentaires en recettes publicitaires, alors même que nous sommes en train de discuter pour savoir comment trouver 20 millions ou 30 millions d’euros supplémentaires pour le service public !
Ainsi, grâce à cette disposition introduite par l’amendement 34 rectifié, nous pourrons sans doute, dans un mois, voir des films et téléfilms coupés par des tunnels de publicité limités pour le moment à douze minutes par heure, mais qui pourraient atteindre – qui sait ? – dix-huit minutes.
Je serai vigilant, car la réforme autorisant un premier cadeau à TF1 et M6, à savoir le passage de six à neuf minutes de diffusion de publicité par heure, figure peut-être, elle aussi, au détour d’un alinéa d’un amendement déposé par les rapporteurs et que je n’ai pas encore eu le temps d’examiner ! Combinée à l’adoption de la règle de l’heure d’horloge, cette mesure permettra bientôt aux chaînes qui sont les bénéficiaires de cette réforme générale des conditions de diffusion de la publicité télévisée de nous abrutir, si vous me permettez ce mot, avec dix-huit minutes de publicité en une heure.
Afin de limiter la longueur des écrans publicitaires, nous souhaitons supprimer la disposition prévoyant le recours à l’heure d’horloge pour le calcul de la durée de la diffusion des messages publicitaires.