Intervention de Bernadette Bourzai

Réunion du 15 janvier 2009 à 15h00
Communication audiovisuelle — Article 20

Photo de Bernadette BourzaiBernadette Bourzai :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je souhaite m’exprimer sur cet article 20, qui vise à insérer dans le code général des impôts une taxe sur la publicité diffusée par les chaînes de télévision et un régime spécial pour ceux qui sont redevables de cette taxe.

Comme je l’ai indiqué dans la motion d’irrecevabilité que j’ai défendue au nom du groupe socialiste, j’estime que les dispositions de l’article 20 sont intrinsèquement discriminatoires et contraires au principe constitutionnel d’égalité des citoyens devant les charges publiques.

Ces taxes, destinées à compenser les pertes de France Télévisions consécutives à la suppression des recettes publicitaires après 20 heures, risquent d’être remises en question par le Conseil constitutionnel, rendant le financement de la télévision publique encore plus aléatoire. Or, sans financement pérenne, la viabilité de la télévision publique n’est pas assurée et encore moins son indépendance, alors que celle-ci est garantie par l’article 34 de la Constitution, modifié le 23 juillet dernier.

Je souhaite d’abord dénoncer la complexité des dispositions de cette taxe, qui s’apparentent, après les amendements adoptés par l’Assemblée nationale, à une véritable usine à gaz.

La taxe est assise sur le montant des sommes versées par les annonceurs. Mais il y a un abattement forfaitaire de 4 %, puis une exclusion des montants inférieurs à 11 millions d’euros, les taux sont différents en fonction du mode de diffusion des services de télévision, puis, jusqu’à la fin de la diffusion en mode analogique, elle est fonction de l’accroissement du chiffre d’affaires des éditeurs de services de télévision et elle est plafonnée à 50 % de l’accroissement de l’assiette par rapport à 2008.

La taxe s’applique aussi aux chaînes de télévision publique, qui a priori n’auront pas à s’en acquitter puisque les recettes publicitaires risquent de chuter et non d’augmenter. Nous avons eu des chiffres récemment : moins 48 % des recettes brutes pour France 2, moins 18 % pour France 3 en 2008.

Bref, je ne sais pas qui peut s’y retrouver dans cette multiplication d’abattements et de dérogations, mais j’ai bien une petite idée, puisque les formulations choisies reprennent celles du Livre blanc de TF1.

Selon nous, il est évident que cette taxe sera contreproductive et qu’elle aurait dû être écartée d’emblée. Je l’ai déjà dit, mais il n’est pas inutile de le répéter, si nous raisonnons à plus long terme, le produit de cette taxe sera plus élevé si le chiffre d’affaires des chaînes privées progresse et donc si leur audience augmente.

Cette taxe conduit donc à espérer que l’audience de TF1 et M6 augmente pour que le financement des chaînes publiques soit suffisant, donc que l’audience des chaînes publiques diminue par l’effet des vases communicants, à moins que l’audience globale de l’ensemble des chaînes n’augmente, ce que nous pouvons tous espérer, mais qui n’est pas encore avéré.

Sur le plan économique, cette taxe est également risquée, dans un contexte publicitaire déjà bien dépressif. D’ailleurs, Le Figaro du 14 janvier n’hésite pas à titrer sur la situation de crise. Il cite le directeur des médias de l’agence H, filiale d’Havas, qui « voit dans l’effondrement du marché, l’effet conjugué de la récession et de toutes les inconnues qu’a engendrées la mise en œuvre au pas de charge de cette réforme de l’audiovisuel. À ce jour, on ne sait toujours pas ce à quoi le Sénat aboutira. Le média télé paie cher la facture. »

Les taxes sur la publicité censées compenser les pertes de recettes liées à la disparition de la publicité sur les chaînes publiques ne sont absolument pas garanties et ne sont pas de nature à assurer la viabilité et la pérennité de l’audiovisuel public.

Privées de moyens, les chaînes publiques et privées seront amenées à réduire les dépenses d’autres postes budgétaires, en particulier la création. Par conséquent, cela entraînera des modifications sur le paysage audiovisuel, mais aussi sur l’emploi et la situation économique et sociale globale du secteur et même du pays.

Mais les questions juridiques et constitutionnelles sont encore plus inquiétantes et conduisent à s’interroger sur la constitutionnalité de ces taxes.

Des juristes indépendants et des professeurs renommés se sont déjà penchés sur la constitutionnalité de l’article 20 et ils sont formels : cette taxe, comme celle qui est prévue à l’article 21 dont nous parlerons tout à l’heure, semble irrémédiablement contraire à la Constitution.

Permettez-moi de reprendre l’argumentaire de M. Guy Carcassonne, constitutionnaliste bien connu.

D’abord, ces taxes ne sont pas affectées au financement de l’audiovisuel public et sont donc destinées au budget général.

Or la loi organique relative aux lois de finances, la LOLF, prévoit de manière limitative, spécialement dans ses articles 2 et 21, les possibilités d’affectation de certaines recettes à certaines dépenses. Aucune de ces possibilités n’est utilisée ici, non plus que dans le projet de loi de finances pour 2009. De ce fait, aucun intérêt général identifié ne peut être invoqué et, à ce titre, les taxes sont donc gravement attentatoires au principe d’égalité des citoyens devant les charges publiques, qui impose que la contribution commune soit équitablement répartie entre tous les citoyens à raison de leurs facultés.

Pourquoi, en effet, parmi toutes les entreprises qui acquittent déjà l’impôt sur les sociétés en isoler quelques-unes pour les soumettre à un impôt spécifique supplémentaire ? Il s’agit d’une discrimination intrinsèquement arbitraire et aggravée par l’absence d’affectation, donc inconstitutionnelle.

Pour nous, cet article 20 est contraire à la Constitution, il ne peut être défendu et nous en demandons la suppression.

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