Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd'hui pour un débat d'un genre nouveau qu'affectionne particulièrement la commission des finances. Il s'agit d'un débat de contrôle budgétaire ayant pour fondement une enquête réalisée par la Cour des comptes, en application des dispositions du 2° de l'article 58 de la loi organique relative aux lois de finances, la LOLF, qui prévoit la réalisation par la Cour des comptes « de toute enquête demandée par les commissions de l'Assemblée nationale et du Sénat chargées des finances sur la gestion des services ou organismes qu'elle contrôle ».
Cette enquête, transmise à la commission des finances à la fin du mois de janvier 2006, porte sur le fonctionnement du service public de l'équarrissage, ou SPE.
En effet, la LOLF renforce les moyens mis à notre disposition afin de contrôler les dépenses de l'État et d'éclairer les pouvoirs publics dans le choix de leurs politiques. Nous nous accordons tous à considérer qu'il s'agit d'un progrès considérable et d'une occasion à saisir pour l'ensemble des parlementaires.
À ce titre, je souhaite citer les propos tenus par notre président, M. Christian Poncelet, qui, à l'occasion de sa réélection à la tête de notre assemblée le 1er octobre 2004, a déclaré : « Il nous faudra dégager du temps dans l'hémicycle pour affirmer, renforcer et valoriser notre fonction de contrôle et d'évaluation des politiques publiques. »
Le débat de ce jour constitue la traduction la plus concrète de cet engagement. À cet égard, je tiens à remercier le président de notre commission des finances, M. Jean Arthuis, qui attache une très grande importance non seulement au contrôle, mais également à sa diffusion et aux suites à lui donner.
Il est effectivement primordial que les travaux de nos commissions, pour intéressants qu'ils soient, ne restent pas à l'état de mots et soient pour nous l'occasion d'échanger, d'argumenter, bref, de remplir notre mission aussi bien vis-à-vis des deniers de l'État que de nos concitoyens. Il est également important que, pour chacun de ces sujets, le Gouvernement ait la possibilité de nous exposer son point de vue et la manière dont il entend répondre aux préoccupations exprimées par les commissions. C'est tout l'intérêt du débat qui nous réunit aujourd'hui.
J'en viens maintenant au coeur du sujet, qui est complexe et d'actualité puisque le service public de l'équarrissage a fait l'objet d'une réforme d'envergure dans le cadre de la loi de finances initiale pour 2006, réforme sur laquelle la commission des finances du Sénat a dû se prononcer dans l'urgence, et cela avant que la Cour des comptes n'ait pu lui présenter les conclusions de cette enquête, qui lui auraient pourtant apporté un éclairage précieux.
Dans la mesure où notre collègue Nicole Bricq, rapporteur spécial de la mission « Sécurité sanitaire », qui inclut aujourd'hui les crédits publics affectés au financement du SPE, interviendra après moi et concentrera son propos sur les perspectives d'avenir de ce service public et les pistes de réforme envisageables, je souhaiterais évoquer les principales conclusions de l'enquête de la Cour des comptes.
En effet, dans son rapport sur le fonctionnement du service public de l'équarrissage, la Cour des comptes tire deux grandes catégories de leçons de l'expérience passée.
En premier lieu, elle constate l'impossibilité de faire jouer la concurrence et de maîtriser les tarifs dans le cadre d'un oligopole que l'État a, historiquement, organisé au cours des décennies précédentes.
Le secteur de l'équarrissage est, en effet, fortement concentré. géré à l'origine par deux grandes compagnies nationales, peu à peu privatisées, il a évolué vers la constitution de monopoles locaux départementaux.
De ce fait, la passation des marchés publics prévus par la loi de 1996, adoptée après la crise de la vache folle, s'est révélée irréaliste, en raison notamment du bouleversement économique que cette crise a entraîné. Comment, en effet, faire jouer la concurrence dans un système où chacun, localement, est assuré d'un monopole, dans un pays où ces monopoles sont répartis entre deux grands groupes oligopolistiques ?
Devant cette impossibilité de mettre en oeuvre les dispositions de la loi de 1996 et la nécessité impérative d'assurer l'exécution du service public, la Cour des comptes souligne que les préfets ont, logiquement, eu recours à des réquisitions, parfaitement irrégulières en raison de leur caractère systématique et permanent.
Ainsi, la situation héritée du passé a placé durablement l'administration en situation de ne pouvoir faire jouer correctement la concurrence. Ce constat ne vaut d'ailleurs pas seulement pour les opérateurs de l'équarrissage, mais également pour ceux de l'incinération des farines animales.
En deuxième lieu, la Cour des comptes a constaté qu'il était extrêmement difficile pour l'État de maîtriser les problèmes de gestion, de contrôle du service fait et de financement.
La Cour a, en effet, observé que les prestations facturées au service public de l'équarrissage faisaient l'objet d'un contrôle essentiellement documentaire et très inégal de la part des services déconcentrés de l'État. Ce contrôle est, de ce fait, à l'origine de tolérances excessives vis-à-vis des opérateurs, de telle sorte que la sincérité, la fiabilité, voire la régularité des déclarations ont pu fréquemment être mises en cause.
D'après la Cour des comptes, une telle carence des administrations compétentes est difficilement compréhensible sur une aussi longue période.
Enfin, les fréquentes modifications de la réglementation ont lourdement affecté le bilan financier du SPE. Ainsi, les dépenses publiques liées à la mise en oeuvre de la politique d'équarrissage ont dépassé 2, 1 milliards d'euros à la fin de l'année 2005.
La Cour des comptes souligne que les difficultés financières du SPE ont été amplifiées par le refus de mettre à contribution les éleveurs en vertu du principe pollueur-payeur et par les conséquences des contentieux européens et professionnels suscités par l'assujettissement des grandes surfaces à la taxe sur les achats de viande. Ce mode de financement n'avait pas été notifié aux autorités européennes, puis il a été déclaré non conforme au droit communautaire, ce qui a conduit l'État à rembourser 387 millions d'euros.
Monsieur le ministre, je souhaite donc vous interroger sur les conclusions que vous comptez tirer des principaux constats du rapport de la Cour des comptes et j'attends notamment des réponses sur les points suivants.
Dans quelle mesure l'État pourra-t-il rétablir une situation concurrentielle dans un secteur économique trop concentré, caractérisé aujourd'hui par un duopole au niveau national et par des situations de monopoles locaux ? En d'autres termes, quelle est la probabilité d'entrée sur le marché de l'équarrissage de nouveaux opérateurs à court et à moyen terme ?
S'agissant des contentieux communautaires liés au financement du SPE évoqués par la Cour des comptes, quelles suites leur ont été données par l'État et quel en est aujourd'hui le coût pour celui-ci ?
La Cour des comptes a mis en évidence les difficultés et l'hétérogénéité du contrôle du service fait par les équarrisseurs, exercé par les directions départementales des services vétérinaires. Quelles ont été les mesures mises en oeuvre par l'administration pour remédier à ces carences ?
Enfin, en quoi la gestion du SPE par l'office de l'élevage sera-t-elle plus efficace que celle du CNASEA, le Centre national pour l'aménagement des structures des exploitations agricoles ? L'ONIEP, c'est-à-dire l'Office national interprofessionnel de l'élevage et de ses productions, aura-t-il les moyens de maîtriser l'information sur la situation et les coûts des entreprises d'équarrissage ?
Je laisse maintenant la parole à ma collègue Nicole Bricq, qui, au-delà du constat des dysfonctionnements passés, souhaite vous interroger, monsieur le ministre, sur les perspectives d'avenir du service public de l'équarrissage.