Mon collègue Joël Bourdin et moi-même nous sommes en effet réparti les rôles. Je souhaiterais, pour ma part, concentrer mon propos sur les incertitudes qui ont été mises en évidence par la Cour des comptes et, d'une manière plus large, sur les perspectives d'évolution du service public de l'équarrissage que vous seriez amené à tracer, monsieur le ministre.
La Cour des comptes a mis l'accent, à l'occasion de son enquête transmise à la commission des finances, sur quatre grandes questions qui subsistent en dépit de la réforme engagée et encore en cours.
La première concerne le risque contentieux qui continue d'affecter le bilan financier du service public de l'équarrissage. Le refus de l'État de rembourser les taxes sur les achats de viande perçues entre 2001 et 2003 fait l'objet d'un contentieux devant les juridictions administratives. Les sommes en jeu sont très importantes puisque le produit de la taxe sur les achats de viandes entre 2001 et 2003 avoisine 1, 7 milliard d'euros alors que, dans le même temps, le financement du SPE a représenté 1, 1 milliard d'euros.
Un premier jugement du tribunal administratif de Marseille, en novembre 2005, avait ordonné le remboursement des taxes perçues après 2001. La cour administrative d'appel de Marseille, en décembre 2005, a rendu un arrêt favorable à l'administration en infirmant le jugement du tribunal administratif. Pour autant, la Cour des comptes ne considère pas la situation comme réglée, car 9 500 contentieux restent pendants.
La deuxième grande question a trait aux objectifs et aux conditions du transfert de la gestion du SPE à l'Office national interprofessionnel de l'élevage et de ses productions.
La troisième question, sans doute la plus difficile à résoudre, concerne la concurrence. L'État a été confronté à l'échec d'une nouvelle procédure de passation des marchés publics d'équarrissage. La Cour avait souligné les incertitudes, voire l'impossibilité de lancer un appel d'offres dans les conditions actuelles d'organisation de la profession. Comme l'a rappelé mon collègue, il s'agit d'un duopole.
L'administration elle-même reconnaissait que la décision de recourir désormais, pour l'exécution du service, à des appels d'offres ne suffirait pas à instaurer d'emblée un régime de concurrence dans une profession très concentrée, juxtaposant des monopoles territoriaux, suscités à l'origine par l'État lui-même.
Les premiers éléments dont a disposé la Cour concernant cet appel d'offres ont confirmé le bien-fondé de ces observations. La passation du marché s'est traduite par une forte hausse du coût du SPE et a laissé apparaître des indices sérieux de concertation entre les opérateurs, au point que la Cour des comptes a pu se demander si la réduction des coûts obtenus sur la sortie des abattoirs n'aurait pas pour contrepartie l'augmentation de ceux payés dans le cadre du SPE.
Toutefois, il convient de relativiser ces éléments eu égard à la faible attractivité du secteur, qui suscite, en effet, difficilement la concurrence.
Compte tenu des investissements extrêmement lourds à opérer pour satisfaire à une exigence de haute qualité de sécurité sanitaire, il conviendrait aussi que des processus industriels plus performants de collecte et de transfert puissent être mis en oeuvre de manière à optimiser les coûts.
Enfin, d'après la Cour des comptes, l'équilibre financier du SPE, au coeur de la réforme votée pour 2006, ne semblait pas encore garanti.
Cette réforme avait, en effet, pour objet essentiel de profiter du retour à une situation sanitaire normale pour alléger la charge des finances publiques en réduisant le périmètre du SPE au traitement des cadavres d'animaux, à l'exclusion des autres déchets soumis à réglementation.
Sur la base d'une estimation réalisée par les inspections générales des finances et de l'agriculture, la charge totale du SPE avait été réduite à 136 millions d'euros, selon les prévisions de la loi de finances pour 2006.
Or le Gouvernement table désormais sur un coût nettement plus élevé que prévu, de l'ordre de 154 millions d'euros ; c'est, du reste, ce chiffre que j'ai évoqué tout à l'heure en commission des finances, alors que nous examinions le projet de loi de finances pour 2007.
Monsieur le ministre, d'après les informations fournies par vos services, le financement du SPE devrait être assuré par une contribution des éleveurs de 4 millions d'euros, une dotation budgétaire de 44 millions d'euros et une contribution exceptionnelle de l'ONIEP de 16 millions d'euros, le solde, soit 90 millions d'euros, étant financé par le produit de la taxe d'abattage, dont le taux a été augmenté le 17 juillet 2006. D'ailleurs, nous avons appris qu'il était fort probable que ce taux soit de nouveau relevé au 1er juillet 2007. Vous voudrez bien nous dire, monsieur le ministre, ce qu'il en est exactement.
En outre, d'après la Cour des comptes, un surcoût budgétaire viendra alourdir le coût de la réforme pour l'État, à la charge duquel restera, outre une moins value - fiscale de 13 millions d'euros du fait de la récupération de la TVA par les bouchers et les abattoirs, l'aide de 10 millions d'euros prévue en faveur des bouchers, soit 23 millions d'euros au total.
En conséquence, la Cour constatait que les objectifs d'économies associés à la réforme du SPE ne seraient pas atteints, du moins à court terme. Les informations qui sont en notre possession aujourd'hui ne font que confirmer les prévisions de la Cour.
En conclusion, la Cour des comptes soulignait la persistance de graves dysfonctionnements, qu'il s'agisse du coût global du SPE, qui demeure très élevé alors que son équilibre pèse toujours fortement sur les finances publiques, ou de l'absence d'un mécanisme de régulation efficace des marchés et des prix face au duopole déjà évoqué.
Monsieur le ministre, je souhaite par conséquent entendre vos réponses sur les points suivants.
Quel est, aujourd'hui, le risque financier encouru par l'État au regard des contentieux administratifs nationaux relatifs au remboursement des taxes sur les achats de viande, contentieux qui restent pendants ?
La réforme du financement du service public de l'équarrissage, mise en oeuvre par la loi de finances pour 2006, continue, vous le savez, mes chers collègues, d'être contestée à plusieurs niveaux. Le secteur de l'abattage s'oppose à l'augmentation du taux de la taxe d'abattage, qu'il considère comme un alourdissement disproportionné de la fiscalité pesant sur le secteur des viandes de boucherie. Il réclame une application du principe pollueur - payeur et un accroissement de la participation des éleveurs au financement ; c'est là, nous le savons, une question particulièrement sensible, dont, me semble-t-il, Odette Herviaux se fera l'écho.
Monsieur le ministre, quels arguments êtes-vous en mesure d'opposer à cette contestation ? Une application du principe pollueur - payeur est-elle envisageable à court terme ?
Les pouvoirs publics seront-ils en mesure d'obtenir des éleveurs une participation significative au financement du SPE, de la part, notamment, de la filière avicole, qui souffre de l'absence d'une interprofession structurée et qui a été rudement mise à l'épreuve l'année dernière ? C'est une question que je posais déjà voilà un an.
Enfin, une participation exceptionnelle, donc non reconductible, de l'ONIEP, à hauteur de 16 millions d'euros, a été instituée en 2006 : sur quel programme d'intervention sera-t-elle prélevée ? Étant donné l'augmentation structurelle du coût du service public de l'équarrissage, comment pouvez-vous garantir, monsieur le ministre, le caractère exceptionnel de cette contribution publique ?
Enfin, comment l'État compte-t-il faire baisser le coût de la prestation facturée par les équarrisseurs pour la mise en oeuvre du service public de l'équarrissage ?
À court terme, est-il envisagé d'organiser la mise en concurrence des prestations de collecte d'animaux en exploitation et de transport des cadavres ?
À plus long terme, dans la mesure où il est difficile de sortir du système du duopole, l'État serait-il tenté par une privatisation totale du secteur, dont on peut douter qu'elle garantisse un bilan global, économique et financier, plus positif pour les filières concernées ?
Si ces solutions ne sont pas envisagées, le Gouvernement réfléchit-il à des mesures qui imposeraient aux équarrisseurs une plus grande transparence de leurs comptes et qui permettraient d'y voir plus clair dans le coût réel des prestations facturées, voire de mettre en place un système de prix administrés ? C'est ce qui se passe en Allemagne, où le secteur est privatisé mais où des dispositions règlementaires encadrent les tarifs des équarrisseurs et limitent le niveau des bénéfices qu'ils retirent des prestations qui leur sont confiées.
À cet égard, il serait sans doute intéressant d'étudier la manière dont nos principaux partenaires de l'Union européenne financent leur service public d'équarrissage.
À ce stade, je souhaite, monsieur le ministre, que vous nous donniez les éclaircissements nécessaires, même si nous savons qu'il s'agit là d'un sujet très délicat.