Intervention de Dominique Bussereau

Réunion du 22 novembre 2006 à 22h30
Fonctionnement du service public de l'équarrissage — Débat de contrôle budgétaire

Dominique Bussereau, ministre de l'agriculture et de la pêche :

Je ne sais pas si le rapport de Mme et M. les rapporteurs spéciaux est un roman policier, mais il est de grande qualité, ce dont je les remercie. Je veux aussi remercier l'ensemble des sénateurs qui participent à ce débat, ainsi que M. le président de la commission des finances.

C'est l'occasion d'éclaircir un point qui n'est pas simple, le fonctionnement du service public de l'équarrissage.

Auparavant, je voudrais rassurer M. Barraux : avec l'augmentation des biocarburants, des tourteaux et des drêches vont nous permettre d'importer moins de soja du Brésil. Ce fait va changer la donne dans le bon sens.

Cette séance, comme l'ont rappelé Mme Bricq et M. Bourdin, a été précédée par le travail remarquable sur l'équarrissage public conduit par la Cour des comptes en 2005.

La commission des finances s'est réunie le 28 juin dernier. Elle a publié un rapport d'information sur le fonctionnement de ce service public.

Je vais essayer d'apporter une réponse aux questions soulevées par les rapporteurs de la commission des finances. Une fois de plus, je les remercie de la qualité de leur travail. Je remercie également Mme et MM. les sénateurs qui sont intervenus sur ce sujet compliqué.

Les anecdotes que nous a rapportées Mme Herviaux traduisent beaucoup mieux que de longues phrases la complexité du sujet.

Afin de répondre aux questions qui ont été soulevées, je rappellerai tout d'abord les fondements de la réforme qui a été mise en place, laquelle est destinée à situer le service public de l'équarrissage dans le cadre communautaire et à le doter d'une véritable transparence. Je présenterai ensuite la réforme de ce service dans ses différentes composantes sanitaire, juridique et financière. Enfin, je dessinerai les nouvelles perspectives d'évolution de ce service public afin de poursuivre la mise en concurrence équitable des opérateurs.

J'aborderai d'abord les origines de la réforme du service public de l'équarrissage.

Comme nombre d'entre vous l'ont rappelé, le service public de l'équarrissage a été créé en 1996. Il s'agissait alors de répondre à une situation de crise sanitaire liée à l'émergence de l'encéphalopathie spongiforme bovine. Ce service public a assuré, entre 1997 et 2005, la collecte et l'élimination des cadavres d'animaux, des saisies d'abattoirs et d'ateliers de bouchers et des matières à risques spécifiées sur l'ensemble du territoire national.

Ce service public fut, jusqu'en 2003, financé par l'État grâce à la taxe sur les achats de viande prélevée auprès des entreprises de distribution. Il connaît depuis 2003 une longue période de réforme.

La Commission européenne a considéré que la prise en charge publique, mise en place en 1997, dans le contexte de la crise de la « vache folle », de l'élimination des déchets à risques des éleveurs et des abatteurs constituait des aides compatibles avec les dispositions du traité.

Cependant, elle a conditionné son approbation à la restitution de l'aide implicitement octroyée aux personnes exonérées de taxe sur les achats de viandes entre 1997 et 2002. Le gouvernement français a engagé les démarches nécessaires auprès de la Commission, afin d'obtenir que cette exigence soit revue, au regard des multiples difficultés juridiques et pratiques soulevées.

En réponse aux questions de Mme Nicole Bricq, de M. Joël Bourdin et de M. Gérard Le Cam, j'indique que la cour administrative d'appel de Marseille, dans sa décision du 15 décembre 2005, a donné raison au Gouvernement en annulant tout risque financier pour l'État. Cette même instance vient de rendre, le 3 octobre dernier, six nouveaux arrêts confirmant la position du Gouvernement.

Après la publication des lignes directrices agricoles de la Communauté européenne, le 24 décembre 2002, l'intervention financière de l'État est, depuis le 1er janvier 2004, strictement limitée. La taxe d'abattage prélevée au niveau des abattoirs est alors devenue un élément important du dispositif. Cette taxe, qui représentait 107 millions d'euros en 2005, était complétée par 79 millions d'aides de l'État.

Comme le souligne le rapport, le service public de l'équarrissage est organisé de manière diverse en Europe. Le traitement des déchets d'abattoirs relève de marchés privés entre abatteurs et équarrisseurs. Concernant l'élimination des cadavres trouvés morts en ferme, les situations sont plus diverses. Aux Pays-Bas ou dans certains Länder d'Allemagne, une seule entreprise d'équarrissage bénéficie d'un monopole. Enfin, la contribution des éleveurs au financement de ce service public varie de 10 % à 100 % selon les pays concernés.

Dès ma prise de fonction au ministère de l'agriculture et de la pêche, voilà bientôt deux ans, j'ai proposé que deux missions d'inspection, l'une du comité permanent des inspections du ministère de l'agriculture, l'autre de l'Inspection générale des finances et de l'Inspection générale de l'agriculture, analysent les dysfonctionnements de ce dispositif et proposent une réforme du dispositif existant. L'enjeu était à la fois d'assurer la maîtrise des dépenses et de préserver le même niveau de sécurité sanitaire.

J'en viens à la réforme du service public de l'équarrissage, à savoir la modification du périmètre et les adaptations de la réglementation sanitaire.

La réforme du service public de l'équarrissage a débuté dès le mois d'octobre 2005 par une première modification de son périmètre : la libéralisation du traitement des déchets en abattoir.

Avec l'adoption de la loi relative au développement des territoires ruraux, texte sur lequel le Sénat a beaucoup travaillé, le domaine d'intervention du service public de l'équarrissage a été réduit dans un premier temps aux seuls cadavres d'animaux d'élevage et à ceux dont l'élimination relève de l'intérêt général, ainsi qu'aux déchets produits par les artisans bouchers. Le traitement des déchets d'abattoirs est donc opéré, depuis le 1er octobre 2005, par une contractualisation directe entre les industries des viandes et les équarrisseurs.

Depuis cette date, la taxe d'abattage, qui était assise sur les déchets des abattoirs, a été supprimée. En réponse aux questions de Mme Nicole Bricq et de M. Gérard Le Cam, je tiens à préciser que cette étape a permis aux entreprises d'abattage de récupérer la taxe sur la valeur ajoutée sur le prix des prestations de collecte et d'élimination de leurs sous-produits. Cela s'est traduit, en moyenne, par une baisse de 25 % du coût des prestations d'élimination des déchets appliqué aux abattoirs.

Cette réforme s'est accompagnée d'une seconde modification de périmètre au 1er janvier 2006 : la libéralisation du traitement des déchets des artisans bouchers.

Depuis le 1er janvier dernier, la collecte et l'élimination des déchets provenant des boucheries relèvent, elles aussi, de relations commerciales entre les bouchers et les équarrisseurs. Cette libéralisation a permis de réduire le déficit annuel du service public de l'équarrissage.

En réponse à la question de M. Bernard Barraux, j'indique que la possibilité de récupérer la taxe sur la valeur ajoutée sur le prix des prestations de collecte et d'élimination des sous-produits, conjointement avec la rationalisation des collectes, a permis aux artisans bouchers de réaliser des économies substantielles par rapport aux coûts constatés en 2005.

La collecte des déchets de bouchers représente en effet plus de 90 % du montant global de la prestation d'élimination. Le Gouvernement a autorisé, depuis le 1er octobre 2005, l'allongement des délais de conservation, ce qui permet, là aussi, de réaliser de substantielles économies.

Enfin, toujours dans un souci de rationalisation, j'ai autorisé la mise en place de nouveaux dispositifs de collecte des sous-produits bouchers, dans le respect des exigences réglementaires relatives à l'entreposage et au transport des sous-produits. Cette mesure doit permettre, là aussi, de dégager des économies substantielles pour la filière.

Parallèlement, l'alignement de la réglementation sanitaire nationale en matière de valorisation des déchets animaux sur la réglementation communautaire a constitué un gain de compétitivité indéniable pour les filières.

Des arrêtés permettent maintenant la valorisation des sous-produits animaux dans l'alimentation des animaux de rente, la valorisation des farines de ruminants en pet food et la valorisation des graisses de ruminants après fente de la colonne vertébrale.

Enfin, quatre usines de transformation de graisses animales en biodiesel ont bénéficié d'agréments permettant de valoriser à terme plus de 150 000 tonnes de graisses animales. Des gains économiques substantiels sont ainsi attendus pour la filière et pour l'ensemble de l'économie nationale.

J'en viens à la réforme du service public de l'équarrissage : son nouveau cadre juridique et sa plus grande transparence.

Nous avons lancé un nouvel appel d'offres de marchés public national. La dernière phase de cette réforme vient d'aboutir avec la passation des marchés publics de l'équarrissage, le 17 juillet dernier.

Nous avons traité deux marchés nationaux, dont le second a nécessité plusieurs phases de négociation. La commission d'appel d'offres, réunie le 15 mai dernier, a donné un avis favorable à l'ensemble des lots de ce marché public, à l'exception d'un seul, correspondant au département du Rhône - et je vous prie de bien vouloir m'en excuser, monsieur Mercier -, pour lequel l'offre déposée est irrecevable pour des raisons techniques.

Cet appel d'offres n'a pas permis de modifier substantiellement le paysage de l'équarrissage national qui se répartit entre un nombre limité d'opérateurs nationaux, aucun partenaire européen ne s'étant manifesté.

Cette situation se traduit par un prix global du service de 154 millions d'euros pour 437 000 tonnes de cadavres traités annuellement, soit un montant plus élevé que le coût actuel imposé par le régime de réquisitions dont les augmentations restaient contenues depuis 2002, date de leur généralisation. Toutefois, il est important de rappeler que le marché est la norme dans le domaine de l'achat public, les réquisitions ne constituant pas une solution juridiquement acceptable ni sur le plan national ni à l'échelon communautaire.

S'agissant de la réforme du financement du dispositif, il faut savoir que le service public de l'équarrissage est financé depuis le 17 juillet 2006 par une participation de l'État de 60 millions d'euros, dont 44 millions d'euros en loi de finances initiale pour 2007 et 16 millions d'euros redéployés à partir du budget de l'Office de l'élevage, par la contribution obligatoire des éleveurs de porcs et de volailles à hauteur de 4 millions d'euros et par le produit de la taxe d'abattage, en hausse de 25 % pour porter sa recette à 90 millions d'euros. Le service public de l'équarrissage est ainsi financé de façon équilibrée, sans déficit, et dans le respect du droit communautaire.

En réponse à une question de Mme Herviaux, j'indique que la participation globale de l'État a baissé proportionnellement à la diminution du coût de ce service public réformé, qui passera de 219 millions d'euros en 2004 à 154 millions d'euros en 2007.

La participation directe des éleveurs de porcs et de volailles au financement du service public de l'équarrissage a été rendue obligatoire par les directives communautaires.

En réponse à une question de Mme Nicole Bricq, j'indique que la contribution des éleveurs de volailles est directement exigible par les entreprises d'équarrissage depuis le 16 juillet 2006.

S'agissant de la filière porcine, comme l'a indiqué Mme Herviaux, une association mandatée par les éleveurs de porcs est chargée du recouvrement et du paiement de cette contribution.

La participation indirecte des éleveurs de bovins et d'ovins au financement du service public de l'équarrissage doit se faire dans le cadre d'une négociation interprofessionnelle puisque cette participation est intégrée dans le montant de la taxe payée par les abatteurs de ce secteur.

Enfin, l'augmentation de la taxe d'abattage, applicable depuis le 19 juillet dernier, est inférieure aux gains réalisés par les entreprises d'abattage sur les coûts de gestion de leurs déchets. Cette augmentation n'alourdit donc pas la charge qui pèse sur les entreprises, d'autant qu'une partie de la majoration de cette taxe est répercutée vers l'aval, en pied de facture.

L'État a accompagné, dès 2004, les répercussions vers l'aval, en encourageant les acteurs à la mettre en oeuvre.

En tenant compte de ces éléments, cette taxe a augmenté pour la filière bovine, elle a été maintenue constante pour les filières avicole et ovine et elle a diminué pour la filière porcine.

En réponse à une question de Mme Nicole Bricq, je précise que le Gouvernement s'est engagé, dans le cadre d'une concertation approfondie avec les professionnels de la filière, à réexaminer, au terme d'un an de fonctionnement, donc en 2007, le taux de la taxe d'abattage et le niveau de la participation directe des éleveurs, afin d'équilibrer le financement du service public de l'équarrissage de manière compatible avec les contraintes budgétaires de notre pays.

Vous avez évoqué la gestion transférée à l'Office de l'élevage. Cette office est gestionnaire et organisme payeur du service public de l'équarrissage depuis le 17 juillet dernier, date du début d'exécution des marchés.

La gestion de ce marché public par l'Office de l'élevage doit nous permettre de disposer de la transparence nécessaire pour préparer l'avenir. Auparavant, les directions départementales des services vétérinaires attestaient du service fait dans le cadre des réquisitions et transmettaient la facture du paiement au Centre national pour l'aménagement des structures des exploitations agricoles, le CNASEA.

En réponse aux questions de M. Bourdin, j'indique que l'Office de l'élevage, qui est chargé du contrôle du service fait par les équarrisseurs, a entrepris une série de contrôles afin de vérifier les déclarations de pesées d'animaux enlevés par les équarrisseurs.

Des contrôles systématiques sont faits sur le terrain pour vérifier l'existence d'outils de pesée fiables et homologués sur les soixante-cinq sites, établissements intermédiaires et établissements de transformation des équarrisseurs.

Il est bien évident que, et toutes vos interventions - très constructives - allaient dans ce sens, nous devons étudier de nouvelles pistes pour adapter ce service, réduire les coûts de collecte des cadavres et accroître la concurrence.

L'ouverture de la valorisation des déchets animaux à de nouvelles filières et l'augmentation du coût des énergies fossiles en France nous offrent de nouvelles possibilités de traitement des sous-produits animaux.

Dans ce contexte, et en tenant compte des contraintes sanitaires, environnementales et sociétales, nous devons poursuivre - le travail des rapporteurs et de la commission des finances nous y aide - la réforme du dispositif de gestion de l'équarrissage en France, dans un souci d'économie pour le budget de l'État, pour les filières concernées et pour les éleveurs.

L'absence de réelle concurrence entre les équarisseurs, que je regrette, et le poids des investissements dans un contexte de baisse des volumes expliquent en grande partie l'augmentation des tarifs.

La collecte des cadavres étant le poste principal de dépenses, il convient d'entamer une réflexion, afin d'éviter une dérive progressive du coût de cette prestation - sur ce sujet, madame Herviaux, j'ai bien compris le sens de votre question -, en y associant les collectivités territoriales, qui sont en première ligne, comme vous l'avez rappelé à juste titre.

En réponse à une question de M. Barraux, je précise qu'une mission interministérielle proposera des solutions concrètes pour valoriser les sous-produits issus des filières de traitement et diminuer les coûts d'équarrissage. Il faudra, bien sûr, c'est notre premier objectif, maintenir le niveau le plus élevé possible de sécurité sanitaire.

Enfin, pour répondre à une question des deux rapporteurs spéciaux, j'indique que cette mission devra analyser les possibilités d'adapter le service public de l'équarrissage, par des expérimentations menées à l'échelle d'une zone ou d'une filière et concernant la collecte des animaux de ferme en relation avec les abatteurs. En effet, je préfère voir comment les choses fonctionnent au niveau expérimental, avant de les étendre au niveau national.

La mission mènera ses travaux en gardant pour objectif la nécessité de conserver une couverture nationale. J'insiste sur ce point, car seule celle-ci est garante de la sécurité sanitaire. La mission devra proposer la mise en place d'indicateurs, dans l'hypothèse où nous opterions pour une sectorisation, nous permettant de nous assurer que la gestion du risque sanitaire sera maîtrisée.

Nous disposerons, mesdames, messieurs les sénateurs, avant la fin du mois de janvier 2007, des premières conclusions opérationnelles, et je les transmettrai bien sûr immédiatement aux rapporteurs spéciaux, à la commission des finances et à la Haute Assemblée.

En conclusion, cette réforme du service public de l'équarrissage engagée depuis 2004 a permis de redonner aux acteurs une maîtrise économique de ce dispositif, tout en préservant un service public quand celui-ci est nécessaire. L'État accompagne les filières dans cette mission, mais son objectif régalien, c'est le maintien du niveau de sécurité sanitaire.

Le Gouvernement français s'est battu, auprès de la Commission européenne, dans le cadre des contentieux, a encouragé au report en pied de facture de la taxe d'abattage et - ce n'est pas rien ! - participera cette année au financement du dispositif à hauteur de 60 millions d'euros.

Je crois que cette réforme, qui devra naturellement faire l'objet d'un bilan, a permis aux filières, en quelques mois, de bénéficier de gains substantiels. Nous devons introduire une étanchéité et une véritable transparence dans le financement de ce dispositif.

La forte concentration économique du secteur de l'équarrissage a été confortée par le régime des réquisitions. Bien évidemment, ce cadre juridique n'était pas du tout propice aux nouvelles initiatives privées.

Nous constatons également, a contrario, que l'appel d'offres européen pour inciter à une plus large concurrence a montré ses limites, puisqu'il est resté sans réponse.

Il nous faut donc maintenant travailler à de nouvelles solutions juridiques et techniques pour réduire cet oligopole. C'est l'objet du travail de la mission interministérielle. L'excellent rapport des rapporteurs spéciaux et du Sénat nous permettra certainement d'avancer dans cette direction.

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