Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, c'est désormais une tradition bien instituée et fort utile qu'à l'occasion de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale nous puissions nous retrouver pour débattre d'un sujet de fond de ce projet de loi.
Le choix que vous avez arrêté, monsieur le président de la commission, nous permet d'aborder une des questions les plus cruciales que nous ayons à traiter dans le cadre de notre politique de santé publique.
Sur le sujet de la démographie médicale, l'heure n'est plus à l'évaluation. Chacun le sait depuis longtemps : si rien n'est fait pour rééquilibrer la répartition géographique des médecins, la situation deviendra rapidement irréversible dans de nombreuses régions, si ce n'est déjà fait. De nombreux sénateurs sont d'ailleurs intervenus dans ce sens hier soir lors de la discussion générale.
Aujourd'hui déjà, 4 millions de Français ont des difficultés à accéder à un médecin généraliste.
Il n'y a plus de pédopsychiatres en Lozère, alors qu'on en trouve trente dans le département de l'Hérault, tout proche.
À Paris, dans le IVe arrondissement, la densité de médecins est deux fois et demie supérieure à la moyenne de l'Île-de-France : 52, 2 pour 10 000 contre 20, 5 pour 10 000. Pour cet arrondissement de 30 000 habitants, on compte quarante-six médecins généralistes et cent seize spécialistes. À titre de comparaison, la ville de la Courneuve compte vingt-deux généralistes et six spécialistes pour 37 000 habitants.
Je prendrai encore un autre exemple : à Nanterre, dans les Hauts-de-Seine, depuis 2000, trente-six médecins ont quitté la commune, dix-sept généralistes et dix-neuf spécialistes, pour seulement vingt installations. L'âge moyen de départ n'est que de 54 ans. Tout cela n'est pas acceptable.
Il convient de savoir regarder la réalité en face, telle qu'elle est objectivement décrite.
Certes, aujourd'hui, les indicateurs démographiques confirment une croissance persistante du nombre de praticiens en exercice : 212 711 médecins au 1er janvier 2007, soit une croissance de 7 % par rapport à 2000.
Toutefois, cette évolution s'accompagne d'un vieillissement marqué des médecins dont l'âge moyen est de 49, 4 ans en 2007.
Cette profession se caractérise également par une féminisation croissante : 38, 8 % des praticiens actuellement en exercice sont des femmes et sur les bancs des facultés cette proportion est de 70 %.
De plus, comme le précise très justement le rapport d'information sur la démographie médicale de M. Jean-Marc Juilhard - que nous entendrons tout à l'heure -, les projections les plus raisonnables prévoient, à l'horizon 2025, une chute de la densité médicale de 15, 6 % pour la ramener à un niveau proche de celui du milieu des années quatre-vingt, soit 283 médecins pour 100 000 habitants, alors que nous sommes actuellement à 336 pour 100 000 habitants.
Enfin, une dernière caractéristique mérite d'être soulignée : le développement des modes d'exercices salariés traduit bien une véritable mutation sociologique.
Au total, on constate depuis plusieurs années une répartition inégale des médecins sur le territoire, générant des zones déficitaires ainsi qu'une désaffection relative pour certaines spécialités. La médecine générale, en particulier, qui constitue, comme chacun sait, un pivot essentiel du système, ne bénéficie pas de l'attractivité qu'elle mérite.
Ce n'est pas d'ailleurs l'un des moindres avantages du débat qui a eu lieu voilà quelques semaines dans l'opinion publique que d'arriver à faire partager ce constat. Les médecins qui sont ici savent bien que, s'il n'y a pas de diagnostic, il n'y a pas de traitement possible. À mon arrivée au ministère de la santé, avenue Duquesne, j'ai entendu certaines organisations représentatives dire qu'il n'y avait pas de problème de démographie médicale, tout au plus quelques difficultés çà et là.
Maintenant, partant d'un tel constat, il nous revient d'en analyser les déterminants, si nous voulons être en mesure d'engager les réformes utiles et d'accompagner les mutations structurelles qui s'imposent.
Quels sont donc les déterminants de l'accroissement et de la modification de la demande de soins ?
Les données du problème sont claires.
La population française augmente de manière continue et sa structure par âge évolue au profit des classes les plus âgées.
La transition épidémiologique qui en résulte implique l'augmentation de l'incidence et de la prévalence des pathologies chroniques, ainsi que des structures et des modalités de prises en charge nouvelles qui les accompagnent.
Près de huit millions de Français sont atteints d'une affection de longue durée. Ce nombre progresse de 10 % par an depuis dix ans et les soins correspondants représentent près de 60 % du montant actuel des dépenses d'assurance maladie.
Les professionnels de santé sont désormais requis, bien au-delà des cabinets et des établissements de santé, dans de nombreuses structures de prise en charge et d'accompagnement alternatives à l'hospitalisation.
Parallèlement, l'offre de soins se remodèle.
Aussi, les choix faits aujourd'hui en matière de et de postes offerts aux épreuves classantes nationales, les ECN, sont des choix cruciaux. Ils détermineront l'évolution des caractéristiques de la population médicale, en termes de volume et de spécialités. Ces choix auront un impact direct d'ici à trois ans pour les internes qui viennent de passer les ECN et d'ici à dix ans pour les étudiants entrant dans les études médicales.
Face à ce constat, des voix se sont élevées, venant de tous horizons politiques, préconisant pour la plupart - nous en avons eu le témoignage hier soir ici même - la mise en place de mesures coercitives qui, pour certaines, remettent profondément en cause un des principes fondateurs de la médecine libérale telle qu'elle existe depuis 1927 : la liberté d'installation.
Ces propos sont relayés par les courriers que je reçois quasi quotidiennement, en provenance d'élus locaux et de parlementaires, pour me signaler des situations sanitaires désespérées et implorer la mise en place de mesures de régulation désincitatives.
Monsieur Juilhard, dans votre rapport d'information sur la démographie médicale, vous vous interrogez sur l'opportunité d'envisager d'autres mesures que celles qui sont fondées sur la seule incitation. Vous citez notamment des actions sur la rémunération des professionnels de santé, sur la prise en charge des cotisations sociales et, enfin, sur des modulations de conventionnement dans certaines zones. Comme beaucoup, je partage vos interrogations.
Comment répondre ? Si nous sommes les garants de la liberté d'installation, nous sommes également tenus d'assurer l'accès de tous les Français à des soins de qualité.
Je veux le dire ici sans ambages : jamais un seul instant, je n'ai imaginé m'attaquer à cette question fondamentale par le seul biais de la restriction de la liberté d'installation des médecins.
Je connais bien les obligations et les contraintes des professions de santé, pour en avoir moi-même pratiqué l'exercice. Je mesure aussi la complexité de notre système. J'ai clairement conscience que, même si l'action peut être locale et sectorielle - beaucoup ici pourraient en témoigner -, la réflexion préalable à toute prise de décision doit être une réflexion globale.
Les réponses aux problèmes liés à la démographie médicale ne sont donc pas à chercher uniquement dans notre capacité à contraindre ou à inciter les professionnels de santé à s'installer et à exercer dans certaines zones plus ou moins déshéritées.
Poser la question de l'accès aux soins, c'est s'interroger sur l'organisation globale de notre système de santé : la formation, les conditions d'exercice, la répartition et l'aménagement du territoire, l'organisation du premier recours, son articulation avec le reste de l'offre de soins, la coordination entre la ville et l'hôpital, les modes de rémunération et, bien entendu, la gouvernance du système au niveau aussi bien local que national
L'amélioration de l'organisation de notre système de santé constitue ainsi l'un des axes cardinaux de ma stratégie. Elle est le maître mot des réflexions complémentaires que j'ai engagées depuis mon arrivée au ministère.
Les États généraux de l'organisation de la santé nous ont permis de mener la réflexion sur l'offre de soins libérale, notamment de premier recours.
La commission Larcher a ouvert une vaste concertation sur l'hôpital et ses missions.
Enfin, la création des agences régionales de santé permettra de faire la synthèse entre ces deux secteurs et de définir les conditions d'une nouvelle gouvernance.
L'ouverture des États généraux de l'organisation de la santé symbolise l'accord passé avec les étudiants, les internes et les jeunes médecins. Durant la période que nous venons de traverser, nous avons beaucoup reçu, écouté, expliqué. Et toujours, j'ai senti cette volonté commune de garantir aux générations futures des soins de qualité. Les jeunes professionnels que nous avons rencontrés ont prouvé leur sens des responsabilités, en faisant des propositions qui coïncident avec nos objectifs gouvernementaux et qui répondent aux attentes de nos concitoyens.
Cet équilibre se matérialise dans les articles 32, 32 bis et 33 du projet de loi de financement de la sécurité sociale, tels que modifiés par les amendements du Gouvernement et adoptés à l'Assemblée nationale.
L'article 32 bis, spécifique aux infirmières, conforte les acquis de l'accord conventionnel du 22 juin 2007 passé entre l'Union nationale des caisses d'assurance maladie, l'UNCAM, et les quatre syndicats infirmiers. Je tiens, d'ailleurs, à saluer la qualité de ce travail exemplaire qui prouve bien que la réforme est possible quand le sens des responsabilités et l'esprit de concertation se conjuguent. Ainsi, les négociations entre l'assurance maladie et les infirmières sont, pour moi, la preuve tangible qu'il est toujours possible d'avancer quand le souci de l'intérêt général permet de triompher de l'inertie.
En proposant une régulation de leur démographie professionnelle, les infirmières ont donné un bel exemple de solidarité responsable. Je tiens à ce que les termes de cet accord soient respectés. L'article 32 bis pose les bases législatives nécessaires pour que les négociations conventionnelles puissent progresser en ce sens.
J'ai demandé au professeur Yvon Berland et à la directrice de l'hospitalisation et de l'organisation des soins de présider les états généraux de l'organisation de la santé, qui devront se tenir en février 2008.
C'est la première fois, mesdames, messieurs les sénateurs, que des élus, des patients et des professionnels de santé vont se retrouver pour définir ensemble l'évolution de notre système de santé.