Intervention de Nicolas About

Réunion du 13 novembre 2007 à 11h00
Financement de la sécurité sociale pour 2008 — Débat sur la démographie médicale

Photo de Nicolas AboutNicolas About, président de la commission des affaires sociales :

Et encore s'agira-t-il d'effets partiels, car, si l'on peut s'attendre à former davantage de médecins, il n'est pas du tout certain que leurs installations se feront d'une manière équilibrée sur l'ensemble du territoire et qu'elles corrigeront les inégalités d'accès aux soins que l'on constate déjà.

Mme la ministre et notre rapporteur, M. Vasselle, ont détaillé avec talent la situation, les risques, ainsi que leurs propositions. Je n'insisterai donc pas, d'autant que notre collègue M. Jean-Marc Juilhard vous exposera tout à l'heure son rapport sur les déséquilibres qu'il a pu observer et auxquels nous sommes confrontés.

Les états généraux prévus en janvier prochain permettront d'aborder les questions liées à la formation, mais je crois important d'apporter deux éléments à la préparation de ce débat.

Premièrement, il ne doit pas y avoir de génération sacrifiée. Les études médicales sont longues et difficiles ; elles demandent aux jeunes qui ont l'audace et la volonté de les entreprendre du courage, de la constance et beaucoup de travail. En ce qui concerne leur future installation, il me semble tout à fait inenvisageable de changer les règles du jeu en cours de route. Pour cette raison, je suis très favorable au fait d'associer, sous une forme ou sous une autre, les représentants des étudiants aux négociations conventionnelles qui traitent des questions relatives à l'installation.

Deuxièmement, il convient de réfléchir aux moyens de redonner une dimension régionale aux études de médecine. Les analyses portant sur l'installation des jeunes médecins montrent que, dans l'immense majorité des cas, ceux-ci « vissent leur plaque » dans la région où ils ont achevé leurs études et effectué leur stage. C'est là un phénomène bien compréhensible qui n'est d'ailleurs pas propre aux médecins. Cet aspect doit être mieux pris en compte dans l'organisation du cursus universitaire médical, sans doute en réformant l'actuel examen classant national, comme l'indiquait tout à l'heure Alain Vasselle.

Cela étant, l'action sur les études a ses limites. Je suis convaincu qu'il faut simultanément agir sur l'organisation du système de soins. Mon expérience personnelle de médecin généraliste m'a enseigné que l'offre de soins est étroitement corrélée aux missions confiées aux médecins et à leurs conditions d'exercice professionnel.

Je crois que le problème n'est pas tant un problème de pénurie, même si j'ai moi-même employé plusieurs fois ce terme. La question centrale est plutôt celle du temps médical, c'est-à-dire du temps que le médecin consacre précisément à l'examen de ses patients, au temps disponible pour ce colloque singulier qui fait la spécificité et la grandeur de ce métier.

Le temps médical, malgré une démographie en apparence constante, se réduit comme une peau de chagrin pour trois raisons majeures.

Premièrement, le temps médical n'est aujourd'hui qu'une partie limitée du temps de travail des médecins. En effet, chaque année, les tâches administratives sont plus importantes et plus chronophages.

Deuxièmement, le temps médical, partie du temps de travail, se réduit avec celui-ci, les jeunes médecins n'acceptant plus les contraintes horaires de leurs aînés : la garde à domicile, la permanence des soins, la disponibilité permanente ne se font plus aujourd'hui selon les modèles que nous connaissions autrefois. Je n'ai pas eu la même pratique que mon grand-père ou mes oncles et nos enfants n'auront pas la même pratique que nous. Par conséquent, il faut en tenir compte.

Troisièmement, la profession se féminise et le travail à temps partiel devient fréquent ; le temps réservé à la vie de famille, aux loisirs, s'impute sur le temps médical.

La bonne question est donc la suivante : comment peut-on optimiser ce temps médical ?

Je crois d'abord à la délégation des tâches, au partage du travail, c'est-à-dire au fait de faire effectuer les différents soins par les professionnels qui sont, en définitive, les mieux formés pour les effectuer, sous la responsabilité du médecin, bien sûr. Des expérimentations ont eu lieu ; je crois savoir que le bilan en est positif. Le projet de loi de financement prévoit d'ailleurs d'autoriser les infirmières à pratiquer la vaccination, ce qui me semble être une excellente mesure, car elles sont incontestablement mieux formées que les médecins pour y procéder. Je suis persuadé, pour ma part, que la suppression de la vaccination obligatoire pour le BCG doit beaucoup au fait que les médecins ne sont pas formés pour pratiquer les injections intradermiques. Je ferme là cette parenthèse.

La seconde manière d'agir sur ce temps, c'est à mon sens de rendre plus favorable l'environnement professionnel dans lequel évolue le médecin, et donc de le décharger de toutes les tâches administratives qui viennent réduire le temps qu'il peut consacrer à l'examen de ses patients. Les médecins lancent des appels de plus en plus pressants à la simplification administrative de leurs relations avec les caisses. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle notre commission a supprimé, dans le projet de loi de financement, l'obligation d'établir un énième document d'information semestriel, parfaitement inutile, car redondant avec les éléments dont disposent déjà les caisses d'assurance maladie.

La troisième façon d'améliorer les conditions de vie des médecins, c'est aussi - cela a été dit - de favoriser l'exercice de groupe, qui permet de mutualiser les frais fixes, de faire réaliser les tâches administratives par des personnels spécialisés, et plus encore d'éviter le sentiment d'isolement dans l'exercice médical en permettant aux professionnels de confronter leurs pratiques et de consulter leurs collègues pour affiner un diagnostic ou une prise en charge. De surcroît, c'est aussi une façon de les sécuriser sur le plan juridique à une époque où, de plus en plus, les contestations se règlent dans les tribunaux, notamment sur les questions médicales.

Une formule assez novatrice commence d'ailleurs à se développer, notamment en zone rurale, c'est celle des maisons de santé pluridisciplinaires, dont notre collègue Jean-Marc Juilhard parlera sans doute mieux que je ne puis le faire, à la suite du rapport d'information qu'il a établi sur le thème de la démographie médicale. Ce qui est certain, d'ores et déjà, c'est que la promotion des maisons de santé contribuera à une meilleure répartition des professionnels de santé sur le territoire.

Je crois vraiment que ces structures constituent une solution appropriée au manque d'attractivité de certains territoires. Les jeunes professionnels de santé s'installent plus volontiers dans ces structures collectives qui répondent mieux à leurs aspirations en termes de pression horaire, d'organisation du travail ou de conciliation entre vie professionnelle et vie personnelle. Cela les autorise, par exemple, à habiter en ville, près des écoles et du travail de leur conjoint, tout en exerçant dans une zone fragile voisine.

Pour ces motifs, notre commission souhaite promouvoir le développement de ces structures, en leur permettant de recevoir des financements spécifiques et en levant les obstacles administratifs qu'elles peuvent rencontrer.

Ces problèmes se posent dans les zones rurales comme dans les zones urbaines pauvres et denses, lorsqu'il est question de l'implantation de structures médicalisées, cabinets de groupe ou maisons de santé pluridisciplinaires.

Il faut une tête de file, un médecin ayant non seulement le courage de se lancer dans la conception, la mise au point et le financement de cette opération, mais aussi la capacité d'entraîner des confrères spécialistes et généralistes et d'autres professionnels de santé à prendre le risque collectif d'un tel projet.

Aujourd'hui, il faut le savoir, les médecins ont du mal à franchir le pas d'un engagement collectif et solidaire avec un bailleur dans les solutions locatives actuelles. Le bailleur, de son côté, se refuse aussi à signer des actes séparés avec chacun des professionnels. Nous devons nous efforcer de régler cette difficulté.

Les collectivités locales sont là pour nous aider ; elles ont un rôle à jouer, en servant d'interface, à la fois dans la recherche et la mise à disposition de locaux. Souvent, près de 1 000 mètres carrés sont nécessaires à l'ouverture d'une maison de santé.

De plus en plus, leur réalisation reposera sur l'engagement d'un investisseur « social » et « patient », car de telles opérations ne seront ni « rentables » ni « juteuses » ; il s'agit d'un service public. Cet investisseur devra se doubler d'un spécialiste de la conception et de la gestion de ces structures.

D'autres investisseurs peuvent aussi soutenir l'action des collectivités locales ; je pense notamment à la Caisse des dépôts et consignations ou aux grands groupes d'assurance, qui ont un rôle à jouer dans ce domaine.

La réussite est à ce prix ; la mutation est possible. Il est temps de passer des cabinets de groupe de un, deux ou trois médecins, qui forment le tronc du système actuel, à un réseau de maisons de santé pluridisciplinaires réunissant, aux côtés d'autres professionnels de santé, des médecins exerçant prioritairement en secteur 1, si l'on veut une réelle solution de premier recours - j'allais dire de premier secours ! - en zone rurale ou en zone urbaine dense.

Toujours pour ce qui concerne les obstacles techniques qui rendent plus complexe le développement de nouvelles structures de groupe, n'est-il pas singulier que les règles du parcours de soins fassent obstacle à la reconnaissance de la maison de santé en tant que « médecin traitant » ? Il conviendrait, madame la ministre, de demander aux caisses d'assurance maladie d'appliquer les règles en vigueur et d'autoriser cette reconnaissance dans les faits.

Telles sont quelques-unes des réflexions que m'inspire cette question essentielle, qui conditionne le respect du principe, affirmé par la Constitution de 1946 et réaffirmé par le préambule de notre Constitution, du droit à la protection de la santé de nos concitoyens.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion