Intervention de Pierre-Yves Collombat

Réunion du 13 novembre 2007 à 16h15
Financement de la sécurité sociale pour 2008 — Débat sur la démographie médicale

Photo de Pierre-Yves CollombatPierre-Yves Collombat :

Si, de surcroît, l'organisation des secours sanitaires d'urgence patauge, le résultat peut être catastrophique.

Depuis le décret du 15 septembre 2003, la garde n'est plus une obligation pour les médecins, elle procède du « volontariat », le préfet étant censé l'organiser en liaison avec l'ordre des médecins, dans le cadre de conventions et, si nécessaire, il doit procéder à des réquisitions, ce qu'il ne fait pratiquement jamais.

Résultat : comme le souligne pudiquement un rapport de l'IGAS, de mars 2006, malgré des efforts financiers non négligeables de l'assurance maladie, si le nouveau dispositif s'est déployé sur l'ensemble du territoire, ni sa « fiabilité » ni son « efficience » - c'est le langage pudique de l'IGAS - ne sont assurées.

Les territoires ruraux pâtissent de l'absence de structures du type « SOS médecins » qui, en zone urbaine, jouent un rôle de plus en plus important.

Un engagement supérieur des praticiens libéraux dans les départements et les secteurs les plus ruraux, comme le relève encore l'IGAS, le développement de structures telles que les « maisons médicales de garde » permettent encore pour l'heure de faire face. Mais pour combien de temps ? En effet, ces dispositifs sont fragiles. Reposant avant tout sur un engagement personnel - engagement d'un autre âge, si j'ai bien entendu les nouveaux Hippocrate -, ils n'ont pas la stabilité des institutions.

Cette situation préoccupante et connue a déjà suscité nombre d'initiatives d'origine gouvernementale ou émanant des collectivités locales. On manque encore de recul pour en apprécier la pertinence et les conclusions des études existantes sont généralement circonspectes.

Cependant, on sait déjà que l'installation de nouveaux médecins en zone rurale n'est qu'accessoirement une question d'argent. Les incitations financières et fiscales sont très peu efficaces.

Le problème est donc d'abord culturel, comme le souligne le rapport de notre collègue M. Juilhard, le milieu rural étant perçu comme « une zone de forte contrainte », pour l'exercice du métier comme pour la vie familiale.

Compte tenu de l'origine sociale des médecins, du caractère de plus en plus technique du métier et de la manière dont sont organisées les études, cela n'a rien d'étonnant.

On relève que 45 % des médecins se recrutent parmi les familles de cadres et d'intellectuels supérieurs, 17 % parmi les professions intermédiaires, lesquelles n'ont guère de connaissance réelle des contraintes, mais aussi des charmes, du monde rural.

Comme le remarque le rapport 2005 de l'Observatoire national de la démographie des professions de santé, « Il est clair qu'une formation hospitalo-centrée génère plus difficilement des vocations pour la médecine de famille. Les enseignements des expériences québécoises montrent d'ailleurs que l'organisation précoce de stages en milieu rural contribue à une moindre appréhension de ce lieu d'exercice. »

On peut aussi penser que toutes les dispositions permettant d'alléger et de mieux répartir charges de travail et responsabilités auraient des effets positifs : le développement des « cabinets de groupe » ou des « maisons de santé » permettant les échanges et la mutualisation des charges ou les incitations fiscales facilitant les remplacements, par exemple.

L'usage généralisé de la télémédecine - qui suppose un accès au haut débit sur l'ensemble du territoire, encore incomplètement réalisé - peut aussi fournir les moyens de diagnostic technique et les informations dont sont privés les praticiens non citadins.

On pourrait aussi faciliter, dans les zones déficitaires, l'installation de « centres de santé » mutualistes, associatifs, communaux ou intercommunaux, fonctionnant avec du personnel médical et paramédical, salarié ou non. Une résurrection des « dispensaires » du xixe siècle, en quelque sorte !

Comme la iiie République le fit pour ses instituteurs, la ve pour ses professeurs - jusqu'à ce que Raymond Barre n'y mette bon ordre libéral ! -, la collectivité pourrait aussi assurer des moyens d'existence et des conditions d'études favorables aux étudiants en médecine, en contrepartie d'engagements d'installation et d'exercice dans les zones déficitaires. Ce serait, en même temps, une manière de démocratiser l'accès à la profession.

Enfin, on pourrait assurer un support professionnel et technique de proximité aux praticiens, tout simplement en ne fermant plus les hôpitaux locaux et en ne leur appliquant plus la tarification à l'activité, la fameuse T2A.

Ce ne sont donc pas les propositions incitatives qui manquent. Suffiront-elles à régler le problème ? J'en doute fort. Comme je doute du succès de simples manoeuvres de « déconventionnement » - si tant est qu'un gouvernement, à commencer par celui-ci, ait vraiment l'intention de les mettre en oeuvre -, qui ignorent que ce n'est visiblement plus l'exercice de la solidarité qui est le moteur de notre système de santé, comme à l'époque de sa création, mais bien la recherche de l'intérêt personnel.

Notre système, jusque-là, présentait tous les avantages : liberté individuelle d'accès au soin quasi universelle pour le patient ; liberté de prescription, d'installation, de mode d'exercice pour le médecin ; socialisation des dépenses découlant de ses libres choix individuels. Un tel système ne peut durer sans autorégulation, sans régulation « éthique » des patients et surtout des praticiens, c'est-à-dire sans la prise de conscience par les bénéficiaires de leurs responsabilités et de leurs devoirs. Je ne vois pas comment un droit de tirage illimité, permanent et sans contrepartie sur la richesse collective pourrait être financièrement tenable et moralement justifiable.

Espérer réguler un tel système de l'extérieur, par des mesures comme le numerus clausus, les contraintes tarifaires, les incitations fiscales, les autorisations ou interdictions au coup par coup est un leurre. De telles mesures permettront tout au plus de retarder le moment du collapsus !

Les problèmes rencontrés dans le monde rural sont le symptôme d'un mal plus général et plus profond. On y portera remède non par des mesures ponctuelles et spécifiques, qui pourront cependant jouer un rôle conservatoire utile, mais par une remise à plat de l'ensemble du système avant qu'il ne soit trop tard. Une seule question se pose, madame la ministre : y êtes-vous prête ?

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