Intervention de Alain Fouché

Réunion du 13 novembre 2007 à 16h15
Financement de la sécurité sociale pour 2008 — Débat sur la démographie médicale

Photo de Alain FouchéAlain Fouché :

Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, tout le monde l'a dit depuis le début de ce débat, la France fait face à un grave problème de démographie médicale.

Même s'il convient de rappeler que le nombre de médecins n'a jamais été aussi élevé, force est de constater que l'offre médicale est insuffisante pour satisfaire les besoins et qu'elle va fortement diminuer dans les prochaines années.

Notre pays compte aujourd'hui 339 médecins pour 100 000 habitants, contre une moyenne européenne de 337, l'Italie en ayant, quant à elle, 570, l'Espagne 440 et l'Allemagne 430.

Dans nos hôpitaux publics, 1 500 postes de praticiens hospitaliers à plein temps restent vacants, en dépit des 6 000 postes déjà occupés de façon « contractuelle » par des médecins à diplôme étranger et des 10 000 médecins étrangers régularisés entre 1995 et 2000 sur la base d'une évaluation de leur diplôme.

En ville, si globalement le nombre de médecins libéraux a augmenté de près de 10 % entre 1991 et 2006, comme la population française, les effets cumulés du numerus clausus, en baisse constante de 1983 à 1993, et des départs massifs à la retraite laissent craindre une chute des effectifs de médecins libéraux d'ici à 2025. Les effectifs seront amputés de près de 30 000 médecins, généralistes et spécialistes confondus.

Cette diminution globale des effectifs ne pourra être enrayée que par le maintien, pendant plusieurs années, du numerus clausus à son niveau actuel, soit 7 100 étudiants admis en deuxième année. Il nous faut une gestion sereine, adaptée et prospective du numerus clausus - c'est-à-dire qu'on se réserve la possibilité de l'augmenter. Une telle gestion est indispensable même si, étant donné la longueur des études, ses effets ne sont perceptibles qu'au terme d'une période de dix à douze ans.

Dans l'intervalle, le territoire français dans sa globalité connaîtra des difficultés pour répondre aux besoins d'une population exigeant, à juste titre, des soins conformes aux progrès de la médecine. Ce problème est d'autant plus crucial que l'espérance de vie augmente : le développement de soins adaptés aux pathologies chroniques, plus fréquentes chez la personne âgée, amplifiera les attentes de chacun à l'égard des médecins.

Qui plus est, les inégalités territoriales d'accès aux soins vont continuer à s'aggraver alors que 4, 3 millions de nos concitoyens vivent déjà dans des zones identifiées comme « en difficulté » ou « fragiles » en termes de présence médicale. Dès lors, comment faire pour que la baisse attendue du nombre de médecins en activité ne se traduise pas par un creusement de ces disparités, notamment en zone rurale, en zone de montagne ou dans les quartiers sensibles des périphéries urbaines ?

Deux voies sont possibles : l'incitation ou la contrainte. Faut-il inciter ou contraindre les professionnels de santé à s'installer dans les zones sous-médicalisées ? Nous avons déjà eu ce débat et la loi du 23 février 2005 relative au développement des territoires ruraux a privilégié le recours à des mécanismes d'incitation financière pour favoriser l'installation ou le maintien des médecins.

Plusieurs aides à l'installation ont vu le jour : exonérations fiscales, exonérations de charges sociales, majorations d'honoraires, pour ne citer que les principales. On nous dit aujourd'hui que ces dispositifs ne sont pas suffisamment efficaces et qu'il est temps de passer à des mesures plus contraignantes, telles que le déconventionnement ! Je dois avouer, pour ma part, que cette proposition m'inspire une certaine réserve.

D'abord, parce que je suis très attaché au principe de la liberté d'installation des jeunes médecins. On ne fait pas le bonheur des gens malgré eux et, encore moins, contre eux. Vivant moi-même à la campagne, je sais qu'il faut la faire découvrir à ceux qui ne la connaissent pas, leur donner envie d'y venir et d'y vivre et, pour cela, créer un environnement qui permettra au jeune médecin, à son conjoint et à ses enfants, de s'y épanouir.

C'est parce qu'il y a une vie locale, une école, des commerces, des animations, des activités sportives et des facilités de communication que l'on peut désirer s'y installer. Cette liberté de choix est essentielle. À cet égard, il faut garder à l'esprit que les promotions de jeunes médecins sont à 70 % composées de femmes, qui doivent pouvoir concilier vie professionnelle, vie personnelle et vie familiale.

J'ajoute que les mesures contraignantes prises par les pouvoirs publics à l'étranger ont souvent démontré leur inefficacité. En Allemagne, comme en Suisse, la pénurie médicale dans les campagnes s'est aggravée et s'est propagée aux villes puisque, sur 100 étudiants en médecine formés, seuls 55 exercent effectivement, les autres ayant préféré renoncer. Dans ce cas, le libre choix demeure ; mais il est négatif et préjudiciable à la collectivité tout entière.

Ensuite, je crains que l'on n'alimente encore ce que le professeur Martine Lombard, éminente juriste, appelle dans un récent essai, « l'État schizo ». Victime d'un dédoublement de personnalité, l'État voudrait contraindre des professionnels de santé à s'installer dans des zones sous-médicalisées, alors que ces mêmes zones sont parfois en voie de désertification : suppression de perceptions, de gendarmeries ou de services publics, indispensables à la vie locale. Cela ne date pas d'aujourd'hui, on observe ce phénomène sous tous les gouvernements depuis une vingtaine d'années. Je suis élu depuis suffisamment longtemps pour le savoir !

Je le dis clairement, madame le ministre, l'aménagement du territoire est un tout cohérent. Tous les élus qui ont mis en oeuvre, dans leurs collectivités locales, des politiques innovantes de redynamisation rurale le savent.

Enfin, et avant d'envisager toute solution contraignante, il me paraît indispensable d'évaluer l'efficacité des mesures incitatives qui ont été prises : les étudiants et les jeunes médecins les connaissent-ils suffisamment ? Je crois que la réponse est négative : il faudrait donc les faire connaître plus. Ne pourrait-on pas non plus simplifier les démarches administratives pour l'obtention de ces aides ? Très certainement.

Avant même l'installation, toutes les formules développées par certains de nos collègues pour attirer les étudiants en zone sous-médicalisée, qu'il s'agisse de bourses de scolarité ou des aides pour développer les stages, méritent d'être étudiées. L'État pourrait peut-être s'engager dans un cofinancement de ces mesures pour encourager leur développement.

Dans cette logique d'innovation, les « maisons de santé », qui s'implantent un peu partout, constituent incontestablement une réponse à la crise de la démographie médicale, comme l'a bien démontré, dans son rapport, notre collègue Jean-Marc Juilhard. Sur ce point aussi, il faudrait peut-être une coordination entre l'État et les collectivités locales. La définition d'un statut juridique et la création d'un label « maison de santé » me semblent devoir être largement privilégiées.

Aussi, madame le ministre, il nous faut vraiment explorer sereinement toutes les pistes - je sais que telle est votre volonté -, combiner les solutions, faire confiance aux initiatives locales pour éviter in fine que le remède ne soit pire que le mal.

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