Monsieur le président, monsieur le ministre délégué, mes chers collègues, je me réjouis de pouvoir débattre aujourd'hui d'un rapport récent sur la gestion des dettes de l'Etat. Ce dernier est issu d'une mission de contrôle que j'ai eu l'honneur de mener, en application de l'article 57 de la loi organique relative aux lois de finances, en tant que rapporteur spécial de la commission des finances du Sénat, sur les engagements financiers de l'Etat, en France et dans certains pays européens. Pour des raisons que vous allez bientôt comprendre, j'ai intitulé mon rapport Pour une gestion consolidée des dettes de l'Etat.
Si le contrôle est la seconde nature du Parlement, encore faut-il que le Gouvernement tire toutes les conséquences des travaux parlementaires. Monsieur le ministre, votre présence dans l'hémicycle, qui me réjouit, vous permettra sans nul doute d'esquisser les suites que vous entendez donner à ce travail, alors que la publication des conclusions de la mission conduite par M. Michel Pébereau sur un sujet connexe devrait intervenir, me semble-t-il, selon les souhaits de M. Thierry Breton, avant le 15 novembre. Nous sommes donc en phase, les uns et les autres !
Pourquoi avoir réalisé un rapport sur la gestion des dettes de l'Etat ?
Mon intérêt pour ce sujet est tout d'abord lié aux enjeux budgétaires considérables du service de la dette. Je me permets de vous rappeler, mes chers collègues, que la dette négociable de l'Etat a atteint, au 30 septembre 2005, 874 milliards d'euros, auxquels il convient d'ajouter quelques dettes supplémentaires, dont le total dépasse les 100 milliards d'euros : ce n'est donc pas un petit sujet !
Les émissions prévues en 2006 pour couvrir le besoin de financement de l'Etat devraient représenter non pas 41 milliards d'euros, montant relatif au seul déficit, mais 130, 8 milliards d'euros, somme correspondant à la compensation du déficit et au renouvellement de la dette, laquelle impose une gestion sérieuse.
La charge nette de la dette, à savoir le seul paiement des intérêts, atteindrait 39, 17 milliards d'euros en 2006, soit 14, 7 % des dépenses nettes du budget général.
Le gestionnaire de la dette ne maîtrise pas le niveau des déficits accumulés dans le passé. Il subit la situation des finances publiques et reste tributaire de la politique monétaire menée par la Banque centrale européenne : il n'intervient donc qu'à la marge sur le coût de la dette publique. Mais cette marge, lorsque la charge de la dette représente des montants aussi élevés qu'aujourd'hui, est déjà très significative.
Pour l'Agence France Trésor, agence indépendante dont la création remonte à quelques années, mais qui se trouve au sein du ministère des finances, l'écart entre une bonne et une mauvaise gestion peut se compter en centaines de millions d'euros. La stratégie d'émission et la qualité des produits ont un impact significatif sur le coût de la dette et l'avenir de nos budgets. En effet, la dette, qui n'est évidemment pas remboursable à court terme, doit être gérée sur le long terme.
Dès lors, j'ai souhaité examiner avec attention le travail mené par l'Agence France Trésor, pour formaliser, en application de la LOLF, des objectifs et des indicateurs de performance permettant d'apprécier la qualité de sa gestion.
Encore est-il nécessaire de distinguer la qualité de la signature de l'Etat émetteur, qui est liée à sa situation économique et budgétaire, de la qualité de gestion intrinsèque de la structure chargée des émissions, qui dépend de la mise en place d'une stratégie pertinente de placement des titres de la dette sur le marché.
Il faut, en outre, que la performance soit analysée au regard des risques encourus, qui sont nombreux : défaillances des uns ou des autres, pannes techniques, modifications des taux de change, évolutions diverses, et j'en passe. Lorsque la dette augmente et que les conditions de financement se durcissent, la tentation peut être grande de mener une politique d'émission plus opportuniste, sur le modèle du Trésor italien, qui est, certes, profitable à court terme, mais peut-être moins à moyen terme, et non dénuée de risques.
Dans le cadre d'une dette « vertueuse », la politique d'émission ne cherche pas à « battre » le marché ; une politique plus aventureuse joue avec le marché. Nous avons d'ailleurs eu l'occasion de faire des comparaisons en la matière.
Ces considérations m'ont conduit à me poser la question suivante : à l'aune des exemples étrangers, est-il encore possible d'améliorer la gestion de la dette de l'Etat ?
Lors de mes déplacements à l'étranger, dans le cadre de la mission qui m'a été confiée, j'ai pris conscience, plus encore qu'après mes visites auprès de l'AFT, de l'excellence de la structure de l'Agence, de l'avance que lui a donné la LOLF dans l'évaluation de ses performances et de la qualité de ceux qui mènent pour notre compte les opérations de gestion de la dette de l'Etat.
Le fait que l'Agence France Trésor soit devenue, par la force des choses, en raison d'un endettement croissant de l'Etat, un émetteur majeur de la zone euro n'est sans doute pas étranger à la politique dynamique que l'Agence a mise en oeuvre pour diversifier les émissions obligataires et innover régulièrement, en fonction des attentes du marché. Cet heureux résultat, et ce n'est pas le moindre paradoxe, découle directement d'un défaut !
En revanche, je m'inquiète de l'extraordinaire fragmentation de la dette de l'Etat.
Juridiquement, il n'existe qu'une seule dette de l'Etat, qui est gérée par l'Agence France Trésor, au nom de la République française. Si d'autres émetteurs gravitent autour de l'Etat, ils s'en distinguent par leur personnalité juridique.
En y regardant de près, il est ainsi nécessaire de distinguer les engagements financiers de l'Etat gérés directement par l'Agence France Trésor, ceux qui ne sont pas gérés par cette Agence et, enfin, les engagements financiers des démembrements de l'Etat, dont seulement certains relèvent de son hors bilan. La situation n'est donc pas simple !
Quel est alors le statut de la dette de la CADES, la Caisse d'amortissement de la dette sociale, qui est un établissement public administratif, de la dette du budget annexe « contrôle et exploitation aériens », de celle du service annexe d'amortissement de la dette, gérée par la salle des marchés de la SNCF , de celles de l'ERAP, Entreprise de recherches et d'activités pétrolières, et de Réseau ferré de France, tous deux établissements publics industriels et commerciaux, ou encore de celle de Charbonnages de France, qui est un organisme divers d'administration centrale ? Le moins que l'on puisse dire, c'est que la clarté et la simplicité ne sont pas franchement à l'ordre du jour !
Faute de réponse à cette question, qui peut réaliser un contrôle consolidé des conditions de financement de ces organismes ? Pour le moment, la réponse n'est pas évidente !
En outre, il faudrait faire émerger dans les comptes publics certaines dettes cachées de l'Etat, comme celle du service annexe d'amortissement de la dette de la SNCF, qui atteint 9 milliards d'euros - excusez du peu ! -, soit 0, 6 point de PIB. Une telle dette est visiblement inconnue d'Eurostat, l'Office statistique des Communautés européennes, puisqu'elle ne figure ni au passif de l'Etat ni à celui de la SNCF.
J'ai donc examiné dans mon rapport les conditions de gestion non plus de la seule dette de l'Etat stricto sensu, mais des dettes de l'Etat.
Il n'y a pas qu'en France qu'il existe une « quasi-dette » de l'Etat. Plusieurs pays possèdent, à côté de leur émetteur souverain, des structures paraétatiques émettant sur les marchés obligataires. Je pense par exemple à la Banque pour la reconstruction allemande, à la Banque européenne d'investissement ou aux agences de crédit hypothécaire aux Etats-Unis.
Néanmoins, l'émission de dettes obligataires par de petits émetteurs publics présente évidemment un surcoût par rapport à une émission centralisée et gérée par un opérateur unique. Actuellement, les surcoûts liés à la fragmentation de la dette de l'Etat sont significatifs : de 0, 07 % pour la CADES, 0, 10 % pour RFF, 0, 04 % pour ERAP, 0, 2% pour le budget annexe « contrôle et exploitation aériens » et 0, 13 % pour Charbonnages de France. Une telle hétérogénéité des conditions de financement affaiblit bien évidemment la position de l'Etat face aux marchés et aboutit à des dépenses excessives - même si celles-ci se situent à la marge - que nous pourrions éviter.
Une telle situation serait sans doute d'une importance limitée si la fragmentation de la dette de l'Etat ne s'accompagnait pas de différences significatives dans les modes de gestion retenus par chaque opérateur. La CADES émet ainsi en taux variables et en devises étrangères, ce que l'Agence France Trésor s'interdit de faire.
Par ailleurs, les volumes d'émission de la CADES sont considérables. Celle-ci devrait émettre au cours de l'année 2005 39 milliards d'euros, soit plus que la Belgique ou les Pays-Bas, et à peine moins que l'Espagne. C'est dire l'importance de cette structure dans l'ensemble du réseau financier européen.
Cette observation m'amène à considérer que le surcoût lié à l'existence de plusieurs dettes de l'Etat et de gestionnaires multiples - par rapport à une gestion unique par l'Agence France Trésor - est de l'ordre de plusieurs dizaines de millions d'euros par an, et cela sans utilité.
Il paraît dès lors nécessaire d'éviter la multiplication des dettes de l'Etat, tout au moins de limiter le nombre de leurs gestionnaires.
Je remercie le président de la commission des finances de s'être battu pour que ce débat ait lieu et d'avoir approuvé la démarche que nous entreprenions.