Intervention de Jean-François Copé

Réunion du 9 novembre 2005 à 15h00
Gestion de la dette dans les etats de l'union européenne — Débat de contrôle budgétaire

Jean-François Copé, ministre délégué :

C'est pour cela que la dette s'élève aujourd'hui à près de 1 100 milliards d'euros alors qu'elle était quasiment nulle au début des années quatre-vingt.

Il n'est qu'à étudier les chiffres du déficit budgétaire. Depuis 1981, jamais le budget de la France n'a été équilibré ! Souvenons-nous : la dette publique a augmenté de 10 points de PIB, entre 1981 et 1986, pour exploser de 15 points de PIB entre 1988 et 1992. Depuis 1997, la situation reste inchangée : alors que la France connaissait une croissance importante, aucune réforme de structure n'a malheureusement été engagée et les gains de productivité n'ont pas été utilisés.

Cela s'est traduit, vous le savez, par une évolution très importante de notre dette, laquelle atteignait, en 2003, près de 63 % du PIB. Cela a également provoqué la progression des charges d'intérêt de la dette, comme Paul Girod l'a excellemment rappelé à l'instant.

En 1974, la charge de la dette représentait 2 % du budget général - cela fait rêver ! En 2005, elle est de 16 %. Ainsi, en vingt-cinq ans, la charge de la dette aura été multipliée par dix ! Actuellement, cela représente l'équivalent du produit de l'impôt sur le revenu, comme le soulignait Thierry Breton voilà quelques mois.

Sur ce sujet, je suis convaincu que personne, à droite comme à gauche, ne peut se satisfaire d'une telle situation, qui porte directement atteinte à la lisibilité de notre débat démocratique. C'est bien beau d'annoncer de grands projets ou de grandes décisions, mais il ne saurait être question d'aggraver la situation de notre endettement.

Reconquérir notre capacité à discuter de 100 % de la dépense, comme le prévoit la LOLF, n'a de sens que si nous sommes capables de maîtriser la dette. Vous le savez, Thierry Breton a confié à Michel Pébereau le soin de dresser l'inventaire des mesures nécessaires au rétablissement des finances publiques et d'avancer un certain nombre de propositions. Son rapport sera rendu public dans les prochaines semaines.

Je formulerai quelques observations.

Il nous faut nous doter de règles de comportement vertueuses en matière de finances publiques et, surtout, ne pas nous en écarter, quelles que soient les circonstances. Cette attitude seule nous permettra de tenir et de redresser la barre.

De ce point de vue, le Gouvernement s'est fixé un certain nombre de règles. Je sais qu'il est d'usage de ne considérer que le verre à moitié vide, mais ce n'est pas du tout dans mon tempérament. Il est bon, de temps en temps, de remettre les pendules à l'heure, si vous me permettez cette surenchère d'images.

Premièrement, et c'est la règle d'or, il nous faut poursuivre notre effort de stabilisation en volume des dépenses de l'Etat. Cela n'a l'air de rien, mais être parvenu à le faire depuis 2002 nous a permis de créer les conditions indispensables pour commencer à réduire le déficit budgétaire.

Deuxièmement, il convient d'affecter les surplus de recettes à la réduction du déficit, donc au désendettement. Au risque de gâcher la fête, je me dois de préciser, pour ceux qui n'auraient toujours pas compris, que c'est exactement l'inverse qui a été décidé entre 1997 et 2002. Les plus-values fiscales très importantes qui existaient - on a même parlé de cagnotte - ont été déversées avec allégresse dans la dépense publique au lieu d'être affectées au désendettement. Nous en payons aujourd'hui le prix, malheureusement.

En revanche, en 2004 - c'est l'une des premières décisions que j'ai été amené à prendre en tant que ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire -, les surplus de recettes, soit 10 milliards d'euros, ont été consacrés dans leur totalité à la réduction du déficit. Cette mesure a vocation à s'appliquer à nouveau lors de l'exécution du budget pour 2006, si les recettes fiscales nous réservent la bonne surprise que j'imagine.

Troisièmement, il faut affecter en priorité au désendettement les produits de cessions du capital de nos entreprises publiques. Je sais que, tout comme moi, Gérard Longuet est très attentif à ce sujet. Nous nous fixons les mêmes objectifs. §Aussi le Gouvernement affectera-t-il au désendettement 10 milliards d'euros en 2006, qui correspondent, pour une bonne part, au produit de la cession de nos participations dans les sociétés d'autoroutes. Ce faisant, près de 450 millions d'euros de marges supplémentaires en économies d'intérêts sont dégagés pour financer la priorité du budget pour 2006, c'est-à-dire l'emploi.

Nous commençons à récolter les fruits de cet effort. Il est bon de le rappeler, dès que des décisions vertueuses sont prises, les résultats sont là.

En 2006, les charges d'intérêt du budget s'inscrivent en baisse de 650 millions d'euros par rapport à 2005. Pour la première fois, nous pourrons quasiment stabiliser le ratio de dette de l'ensemble des administrations publiques, à hauteur de 66 % du PIB. Même si l'on ne peut pas vraiment s'en glorifier, cette stabilisation est un signal fort sur lequel je veux appeler votre attention.

Outre ces premiers résultats encourageants - et même si beaucoup reste à faire -, deux autres facteurs jouent un rôle central. D'une part, le contexte de taux d'intérêt très bas nous est favorable. D'autre part, nous avons le souci d'une gestion performante de la dette au quotidien. L'écart entre une bonne et une mauvaise gestion de la dette se compte, vous le savez, en centaines de millions d'euros.

Par ailleurs, il ne faut pas oublier la performance, qui est au coeur de la gestion quotidienne de la dette. La dette est un bon exemple des marges de manoeuvre que nous offre la LOLF.

D'abord, vous l'avez souligné avec raison, monsieur Girod, la dette est transparente. Les engagements financiers de l'Etat sont même désormais retracés dans une mission à part entière, qu'il est donc possible d'évaluer comme toute autre politique publique. Cela constitue un progrès énorme, alors que, jusqu'à présent, l'opacité qui régnait était insupportable !

Ensuite, nous avons des objectifs et des indicateurs clairement identifiés, qui ont été décidés dans un total consensus avec le Parlement. Il s'agit par exemple de couvrir le programme d'émissions - l'indicateur est le taux de couverture moyen des adjudications -, ou bien d'obtenir un niveau de contrôle des risques de qualité constante, qui minimise la survenance d'incidents - le nombre d'incidents d'exécution des opérations de dette sert alors d'indicateur.

Enfin, la certification par des organismes extérieurs permet de garantir une évaluation indépendante.

Il était naturel que votre assemblée s'attache à vérifier l'application effective de ces principes en examinant la gestion et les résultats de l'Agence France Trésor. Sur ce point, un travail considérable a été accompli. C'est pourquoi je tiens à saluer la remarquable réflexion qu'a conduite à ce sujet Paul Girod, rapporteur spécial de la commission des finances.

Je me réjouis du satisfecit décerné aux services du ministère des finances dans ce domaine. Je veux y voir une appréciation technique, éclairée par la comparaison avec nos grands partenaires européens, et la récompense d'un effort particulier de transparence et de disponibilité auprès du Parlement. S'il nous arrive d'être en retard, nous sommes parfois en avance. Je suis attentif à le reconnaître dans les deux cas.

Cela ne signifie pas pour autant que nous devons rester les bras croisés, à ne rien faire.

Je partage votre constat de cette fragmentation excessive de la gestion de la dette publique : il convient évidemment d'éviter que cet éclatement ne devienne un facteur d'opacité et d'accumulation non maîtrisée d'engagements.

Monsieur le rapporteur spécial, c'est un point sur lequel je veux m'engager solennellement devant vous, la centralisation que vous appelez de vos voeux est en cours chaque fois qu'elle est justifiée.

Il en est ainsi, par exemple, lorsque l'Etat reprend cette année le passif de l'entreprise minière et chimique, ainsi que, l'an prochain, une partie de la dette du fonds de financement des prestations sociales des non-salariés agricoles, le FFIPSA, comme je viens de l'annoncer lors des débats budgétaires à l'Assemblée nationale, ou lorsque le Gouvernement choisit d'affecter 10 milliards d'euros sur les recettes issues de la privatisation des sociétés autoroutières à la Caisse de la dette publique, ce qui dote l'Etat d'un levier puissant de rationalisation de la gestion de la dette publique.

Ces avancées vont se poursuivre. Le projet de loi de finances pour 2006 prévoit la création d'un compte de commerce « couverture des risques financiers de l'Etat », que vos collègues de l'Assemblée nationale ont approuvée en première lecture, il y a quelques jours, et qui vise à assurer une gestion centralisée, transparente et rigoureuse des opérations de couverture des risques financiers encourus par l'Etat, exception faite des opérations relatives à la dette et à la trésorerie de l'Etat. Les premières opérations concernées seront les opérations de couverture du risque de fluctuation des cours du pétrole - sujet d'actualité - réalisées par l'Agence de la dette pour le compte et sous le contrôle du ministère de la défense.

Cependant, je voudrais aussi que chacun comprenne bien que cette consolidation n'est pas toujours d'une absolue nécessité.

Je prendrai l'exemple de la caisse d'amortissement de la dette sociale, la CADES.

Même si la reprise en direct de ce passif par l'Etat est théoriquement concevable, elle ne serait pas forcément optimale. Aujourd'hui, les allocations de portefeuille des grands investisseurs placent l'Etat et la CADES sous des limites de risques différentes, ce qui augmente la capacité de placement globale de la « maison France ». Il convient donc d'agir avec discernement et de prendre chaque fois la mesure la plus adaptée.

Monsieur le rapporteur spécial, je partage votre attachement à « l'évaluation de la performance ». Ce sont des termes que j'utilise fréquemment dans la gestion de nos comptes, surtout depuis que nous lançons cette vague d'audits qui nous permettra de savoir précisément comment l'Etat est géré, comment améliorer ses performances et réaliser des gains de productivité.

A cet égard, je soutiens votre proposition de soumettre l'ensemble des émetteurs de dettes publiques à cette exigence de performance, ainsi que celle qui consiste à auditionner régulièrement les responsables de ces structures. Plus vous les auditionnez, plus ils fournissent des explications et plus ils vous permettent d'approfondir vos recherches et de veiller ainsi à ce que ces indicateurs de performance soient adaptés aux spécificités de chacune de ces structures. Mes services sont à votre disposition sur cette question.

J'en viens au dernier sujet : la réforme de l'Etat. Vous comprendrez qu'étant chargé à la fois du budget et de la réforme de l'Etat - ce qui constitue une avancée considérable dans notre organisation gouvernementale - j'en dise ici brièvement quelques mots.

Au-delà de 2006, pour assurer la décrue de notre ratio de dette, il est indispensable d'enclencher une démarche de long terme, centrée sur la réforme de l'Etat. C'est dans ce cadre que je suis déterminé à accentuer la maîtrise de la dépense, mais aussi à réaliser des gains de productivité chaque fois que ce sera possible.

J'évoquerai brièvement la maîtrise de la dépense, car c'est un sujet que nous aborderons dans quelques jours, lors de l'examen du projet de loi de finances, mais sachez que c'est devenu pour moi une obsession. Vous m'objecterez que, pour un ministre du budget, c'est plutôt rassurant, et tranche avec la tentation naturelle observée chez d'autres à ne pas s'en préoccuper. Il faut dire que j'ai la chance d'être soutenu sur ce point par le chef du Gouvernement, qui a évoqué l'idée d'une dépense maîtrisée passant de zéro en volume à zéro en valeur. Cela provoquera certainement quelques ruptures avec ce que l'on a pu constater dans le passé.

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