Intervention de Aymeri de Montesquiou

Réunion du 9 novembre 2005 à 15h00
Gestion de la dette dans les etats de l'union européenne — Débat de contrôle budgétaire

Photo de Aymeri de MontesquiouAymeri de Montesquiou :

Monsieur le ministre, vous avez déclaré : « Au moment où je vous parle, à chaque nouvelle seconde, notre dette augmente de 5 000 euros ». Mais c'est aux Français qu'il faut le dire, et pas seulement au comité des finances locales. Vous avez ajouté : « Il est donc très urgent de nous doter d'une stratégie claire, pluriannuelle et partagée concernant nos finances publiques ». Tout est dit, mais les décisions radicales ne sont toujours pas prises !

A l'occasion de ce débat, nous prenons à nouveau la pleine mesure de la situation extrêmement préoccupante de nos finances publiques. On ne peut en effet aborder la question de la gestion française de la dette au regard des expériences européennes sans partir du niveau de notre dette en valeur absolue si on veut la comparer à celle des autres Etats.

Quel est le constat ? En 1980, la dette de la France représentait 20, 7 % du PIB ; vingt-cinq ans après, elle en représente 65 %. Les Etats membres sont tenus de respecter les critères de Maastricht, mais la France, bien que membre fondateur, ne prend pas les moyens de respecter ses engagements. Le ministère de l'économie et des finances a dû notifier à Bruxelles que la dette publique atteindrait en fin d'année 66, 2 % du PIB.

Nous nous laissons bercer par la douceur et l'opacité des pourcentages relatifs au PIB qui sont faibles en valeur absolue, mais abstraits. La réalité, c'est un déficit de 46 milliards d'euros, soit, exprimé en pourcentage des recettes, 22 %, le plus grave étant qu'il est utilisé pour couvrir des dépenses de fonctionnement.

Concrètement, cette année, l'Etat dépense 22 % de plus que ce qu'il encaisse. Pour financer ce déficit, l'Etat emprunte encore et toujours, et la réalité, c'est une dette atteignant près de quatre fois le budget de l'Etat !

Le poids de la dette française est donc insupportable. Un Etat fort traduirait l'aspiration de nos concitoyens, mais cette dette himalayenne le décrédibilise.

Comment se situe la dette française au regard de nos partenaires européens ?

La France est devenue le quatrième pays le plus endetté de l'Union européenne et la dette publique, en 2004, est supérieure de près d'un point à la dette publique moyenne de l'Union avant l'élargissement, de deux points, après.

La France, contrairement à ses partenaires, n'a pas conduit de politique d'assainissement de ses finances publiques dans les années quatre-vingt-dix. Les statistiques européennes sur les finances publiques en 2004, qui viennent d'être publiées, confirment que les dépenses publiques de la France, avec 880 milliards d'euros sont, en pourcentage du PIB, parmi les plus élevées au sein de l'ancienne Union à quinze, derrière la Suède et le Danemark. Mais ces deux pays sont dans une dynamique de réduction des dépenses, contrairement à la France, qui demeure quasiment inerte. L'Espagne et l'Allemagne, quant à elles, ont adopté des « pactes de stabilité interne » avec des « objectifs contraignants » d'évolution des dépenses publiques. Ayons bien à l'esprit que, si la France avait le taux moyen européen, 100 milliards d'euros seraient dégagés.

Plus inquiétant encore, la France a augmenté sa dette publique de 8, 8 points entre 2000 et 2004. L'accroissement est de 220 milliards d'euros en cinq ans, soit 90 % du budget de l'Etat. La comparaison avec nos grands partenaires européens est terrible pour notre pays.

Certes, l'Allemagne a connu également une forte dégradation, mais nous n'avons pas eu comme elle à financer la réunification.

Les éléments comparatifs entre la France et le Royaume-Uni se sont totalement inversés sur les vingt dernières années. Alors qu'en 1985 le pourcentage en PIB de la dette publique de la France était la moitié de celui du Royaume-Uni, il y a dix ans, ces pourcentages étaient quasi similaires, et, aujourd'hui, la France se situe à 65, 6 %, le Royaume-Uni à 41, 6 %. La dégradation est tristement spectaculaire !

Même l'évolution de la dette italienne, qui atteint pourtant un niveau pharaonique, est meilleure que celle de la France !

Cette spirale d'endettement vient également de la dynamique de paiements d'intérêts venant grever le budget. Dans les pays de l'OCDE, la France est ainsi en cinquième position pour la charge d'intérêts nets payés par l'Etat rapportée au PIB, après la Grèce, 5, 3 %, la Belgique, 4, 7 %, l'Italie, 4, 5 % et l'Allemagne, 2, 7 %.

Comme les autres pays de l'Union, la France doit emprunter auprès des marchés financiers, non seulement pour financer son déficit de l'année, mais surtout pour refinancer des emprunts venant à échéance.

La problématique est la suivante : comment gérer la dette de manière optimale afin de ne pas alourdir davantage les finances publiques ? Le gestionnaire de la dette n'intervient qu'à la marge sur le coût de la dette publique. Il n'en reste pas moins qu'étant donné le niveau de l'endettement la différence entre une bonne et une mauvaise gestion peut s'évaluer tout de même en dizaines de millions d'euros, voire en centaines de millions d'euros.

Comment la France peut-elle optimiser la gestion active de sa dette au regard de l'expérience des autres pays de l'Union ?

La différence de gestion s'explique en partie par la différence de montant et de structure de chacune des dettes. Je rappellerai la difficulté de l'exercice du fait du manque d'informations précises sur les divers modes de gestion et de la technicité du sujet. Cependant, que pouvons-nous retenir des comparaisons possibles ? Je soulignerai quatre points.

Premièrement, la bonne gestion ne saurait se mesurer par le niveau des taux d'intérêt obtenus. Etant donné le poids des obligations qu'elle émet sur le marché, l'Agence France Trésor parvient à obtenir des taux performants : ce n'est pas le moindre des paradoxes que de voir un Etat surendetté « récompensé » par des conditions de prêt satisfaisantes ! A contrario, le Debt management office, le DMO britannique, n'obtient pas les conditions financières qu'il souhaiterait en raison du caractère limité de la dette britannique.

Premièrement, la bonne gestion de la dette de l'Etat se mesure davantage avec des indicateurs pertinents. Ainsi, l'indicateur « temps », qui mesure la performance de l'AFT par rapport à un automate qui émettrait la même quantité de dette chaque jour, indique une sur-performance de 0, 8 point de base. L'indicateur « allocation », qui mesure la performance de l'AFT par rapport à un automate qui suivrait strictement le calendrier annoncé en début d'année, montre une sur-performance de 2, 6 points de base.

Deuxièmement, dans son mode de gestion de la dette, la France rejoint la stratégie raisonnable d'Etats comme le Royaume-Uni, alors que l'endettement britannique est bien moindre, 42, 5 %, ou les Etats-Unis, qui, à 65, 6 % du PIB, connaissent un niveau de dette publique comparable au nôtre. Elle est très éloignée de la gestion italienne, avec un financement dit « opportuniste » au gré des opportunités du marché, avec des émissions en devises étrangères. C'est plutôt rassurant : comme le DMO, l'AFT joue la sécurité, avec la régularité des émissions- chaque semaine, émission de bons du Trésor à taux fixe et intérêts précomptés, BTF ; chaque mois, émission de bons du Trésor à taux fixe et intérêts annuels, BTAN, et d'obligations assimilables du Trésor, OAT, à l'exception d'août et décembre -, et ce de manière à créer la confiance sur le marché.

Plus encore, l'AFT sait également innover et créer ainsi une dynamique puisque, quelques semaines après la France, le DMO a émis un emprunt négociable à cinquante ans.

Troisièmement, la gestion centralisée des dettes publiques est performante. C'est le cas au Royaume-Uni, où la dette sociale et la dette de l'Etat ne font qu'une. Dans ce domaine, la gestion décentralisée a un surcoût. Ainsi, malgré une gestion exemplaire de la caisse d'amortissement de la dette sociale, et compte tenu des montants en jeu - 100 milliards d'euros, je le rappelle -, le surcoût d'une gestion séparée est de plusieurs dizaines de millions d'euros.

Quatrièmement, les choix de profil d'endettement varient énormément d'un pays de l'OCDE à l'autre, environ deux ans pour la Suède et douze ans pour le Royaume-Uni. La France, selon le site de l'AFT, connaît une durée de vie moyenne de la dette en augmentation, de six ans et deux cent quatre-vingt-deux jours au 30 septembre 2005. Le profil d'endettement de la France est peut-être trop court pour répondre aux échéances auxquelles notre pays va être confronté, notamment en matière de personnel et plus particulièrement pour financer les retraites des fonctionnaires.

Quelles leçons tirer de cette situation ? Je ferai deux propositions.

En premier lieu, il faut gérer progressivement la dette à plus long terme de manière à sécuriser les besoins de financement futurs, ce qui est possible en raison du niveau actuel des taux à long terme, plus bas qu'il y a quelques années, et, surtout, de l'augmentation vraisemblable des taux à court terme.

En second lieu, comme l'a souligné M. le rapporteur spécial, il faut faire de l'Agence France Trésor le pivot de la gestion des dettes de l'Etat, mais aussi des émissions d'emprunt par les collectivités locales qui le souhaiteraient, comme c'est le cas avec succès au Royaume-Uni.

Monsieur le ministre, ne vivons pas dans l'illusion, les choses ne s'arrangeront pas d'elles-mêmes. Le lyrisme incantatoire des formules de bonne volonté n'est qu'un leurre. Pas un ménage, pas une entreprise, n'imaginerait aménager simplement une telle situation. Il faut des changements profonds, et ils seront sans aucun doute difficiles.

Monsieur le ministre, nous serons toujours à vos côtés pour aller dans ce sens. Il faut le dire aux Français, nous en avons le devoir. Vous nous proposez des palliatifs qui ne changent guère la réalité, celle des chiffres

(M. Yves Pozzo di Borgo applaudit.). Il y a urgence : pendant que je vous tenais ces propos, la dette de la France a augmenté de 2, 7 millions d'euros ! Pour notre pays, c'est une « mort à crédit ».

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