Monsieur le président, monsieur le ministre délégué, mes chers collègues, où est passé l'Etat gestionnaire ? Où est passé l'Etat bon père de famille ? Si, depuis vingt ans, nous avions géré nos comptes personnels comme les comptes de l'Etat ont été gérés, nous serions tous, parlementaires et membres des gouvernements successifs, en commission de surendettement, nous serions sans aucun doute interdits bancaires et certains seraient même en prison, car la prison pour dette existe toujours !
En effet, nous dépassons aujourd'hui les 1 100 milliards d'euros de dette publique - et je ne prends pas en compte les 1 000 milliards supplémentaires d'engagements hors bilan -, soit un ratio supérieur aux soixante points de PIB inscrits dans le pacte de stabilité et de croissance européen. Le ratio s'élève aujourd'hui à 68 % du PIB - vous voulez le faire passer à 66 % du PIB - mais, si l'on intégrait les engagements hors bilan, qui correspondent en fait, en grande partie, aux engagements des retraites des fonctionnaires de l'Etat, ce ratio devrait être de 130 % à 132 % du PIB !
Nous avons pris l'habitude de faire peser cette mauvaise gestion - dont nous sommes tous responsables - sur les générations futures, en la transformant non seulement en dette, mais surtout en dette de très long terme ; je pense notamment à l'émission de titres obligataires à cinquante ans !
Sur les 1 100 milliards de dette, 864 milliards font l'objet d'une gestion rigoureuse de la part de l'Agence France Trésor. Toutefois - et c'est là la plus grande source de mon inquiétude -, la dynamique de la dette est implacable. Le niveau de la dette publique n'a eu de cesse d'augmenter depuis le début des années quatre-vingt.
La question de la gestion de la dette relève de deux orientations principales : d'une part, la gestion technique de la dette et, d'autre part, une réflexion plus approfondie sur les causes de l'endettement de l'Etat, à savoir la dérive des dépenses et les choix futurs à assumer.
S'agissant de la gestion technique de la dette, qui est au centre de l'excellent rapport de Paul Girod, il semble que les efforts à faire dans ce domaine soient limités, notamment lorsque l'on compare la gestion de l'AFT à celle du Trésor italien ou du Debt Management Office britannique.
Comme l'a dit le président de la commission des finances, le rapport est très éclairant sur un défaut majeur de la structure de la dette, à savoir sa fragmentation. Le fait de ne réfléchir à la question de la dette que du seul point de vue de l'Etat est trompeur, car cela nous conduit à sous-estimer ou à minimiser les responsabilités de l'Etat dans cette affaire. Pis, multiplier les dettes « annexes » pourrait s'apparenter à l'utilisation de trucages financiers afin de détourner certains des critères européens du pacte de stabilité et de croissance.
En plus de l'Etat, d'autres entités doivent gérer un passif hérité le plus souvent de leur gestion étatisée et pas forcément optimisée ; je pense notamment à Charbonnages de France, à la SNCF et à l'ERAP. Il s'agit aussi de dettes sociales, la dette de la CADES ou les déficits de l'UNEDIC, par exemple.
Enfin, cet état de fragmentation conduit à des surcoûts importants, qui pourraient bien évidemment être réduits grâce à une gestion centralisée de l'émission obligataire et des risques, mais aussi grâce à une gestion plus rationnelle, qui permettrait notamment des économies d'échelle.
Ce n'est pas parce qu'il y a consensus pour affirmer que la gestion de la dette française est relativement performante que nous ne devons pas pour autant être vigilants. Cela ne doit pas nous exonérer d'un vrai débat sur les dépenses de l'Etat, débat que vous avez engagé, monsieur le ministre délégué.
L'euro nous a évité de dévaluer. Les taux ne resteront sans doute pas éternellement bas et nos marges de manoeuvre se réduisent d'année en année. N'attendons donc pas trop longtemps pour agir. Il y va de la crédibilité de notre gestion. C'est dans cette perspective que je souhaite vous livrer un certain nombre de réflexions susceptibles de déboucher sur d'éventuelles solutions.
La première est bien évidemment la maîtrise des dépenses. Depuis le temps que nous en parlons, il serait peut-être temps d'agir ! Lorsque le Gouvernement - mais c'est valable pour l'ensemble des gouvernements - élabore ses lois de finances, pourquoi se contente-t-il de stabiliser de façon plus ou moins sincère les dépenses de l'Etat en volume ?
De grands espoirs reposent sur la mise en oeuvre de la LOLF, avec ses objectifs et ses indicateurs de performance qui vont dans le sens d'une augmentation du rôle de contrôle des parlementaires. Cependant, s'agissant de l'examen de la loi de finances initiale, notre rôle est en fait très limité. Les budgets présentés sont en effet très souvent votés sans modifications importantes, faute d'adoption d'amendements majeurs. Tout a été établi et décidé en amont, au cours de réunions interministérielles, et à aucun moment les parlementaires n'y sont associés. C'est un problème de l'Etat, et non de gauche ou de droite.
Monsieur le ministre, nous avons bien noté vos efforts en la matière, notamment grâce à la mise en place d'audits. Mais, vous le savez parfaitement, les tiroirs des ministères sont remplis de rapports d'audits, qui ne sont ni lus ni suivis d'effet.