Intervention de Ambroise Dupont

Réunion du 9 novembre 2005 à 15h00
Loi d'orientation agricole — Article 23

Photo de Ambroise DupontAmbroise Dupont :

Monsieur le ministre, votre volonté de revisiter et même de refondre le dispositif de signes de qualité est tout à fait bienvenue. C'est un événement attendu tant par les professionnels que par les consommateurs.

Cette année 2005 a été l'occasion de célébrer, ici même, au Sénat, le centième anniversaire de la loi du 1er août 1905, qui jetait les bases du concept d'appellation d'origine. C'était aussi le soixante-dixième anniversaire du décret-loi de 1935 créant l'appellation d'origine contrôlée, l'AOC, et le Comité national des vins et eaux-de-vie, qui allait devenir l'Institut national des appellations d'origine, l'INAO. J'en remercie M. le président du Sénat.

Je rappelle que la France a joué un rôle précurseur dans l'émergence du concept d'appellation d'origine. D'abord réservé aux vins et aux eaux-de-vie, il a été étendu aux produits laitiers et aux produits agroalimentaires par la loi du 2 juillet 1990. Cette démarche innovante de protection de l'origine a inspiré la législation européenne - appellation d'origine protégée, indication géographique protégée, ou IGP. C'est vous dire son importance.

Votre texte vise à clarifier le dispositif de valorisation des productions agricoles et alimentaires en le structurant autour de trois grandes catégories, que je ne rappellerai pas.

Il est vrai que, ces dernières années, la multiplication des signes et des labels de toutes sortes, notamment ceux qui résultent de démarches privées, a placé les consommateurs devant un véritable maquis.

La démarche du Gouvernement pour « remettre à plat » le dispositif et lui assurer une meilleure lisibilité est donc très utile.

Je n'insisterai pas sur l'intérêt économique indéniable de la réforme proposée. Je préfère centrer mon propos sur la notion d'origine.

Comme le rappelait le sénateur Joseph Capus, « l'appellation d'origine n'est pas une simple indication de provenance ; il s'y attache une certaine idée d'originalité et de qualité. » En effet, l'origine n'est pas la provenance, laquelle ne renseigne que sur le lieu de fabrication, voire sur le lieu de dernière transformation, sans apporter une garantie officielle quant au respect de critères stricts et de localisation de la production.

L'origine, c'est aussi et d'abord une référence qualitative, liée à la garantie d'un savoir-faire, à la marque d'un terroir. En ce sens, elle revêt une forte dimension patrimoniale et culturelle. Un vin, un fromage, une charcuterie, sont l'aboutissement de savoirs, de pratiques, ainsi que de traditions solidement ancrées et transmises au fil des générations, consacrées d'abord par une réputation et un nom, avant de l'être par la puissance publique.

Dans un monde aux échanges globalisés, aux productions normalisées, notre pays a su se doter très tôt d'instruments essentiels tels que les AOC pour préserver tout ce qui constitue son patrimoine, en un mot, son identité.

Je souhaite que le Gouvernement, dans ses ordonnances, ne perde pas de vue cet aspect de notre agriculture.

Le renforcement de la politique de qualité centrée sur l'origine, c'est aussi, bien évidemment, un outil de développement raisonné du terroir, dans la mesure où elle impose des modes de production respectueux de bonnes pratiques agricoles et respectueux de l'environnement. Ces études montrent, par exemple, que l'utilisation d'intrants est bien moindre dans les zones d'AOC. De même, les conditions de production favorisent la biodiversité et façonnent, puis protègent des paysages typiques. C'est là toute la philosophie des appellations d'origine : « respect du terroir », « respect de l'environnement ».

L'autre aspect positif des politiques de qualité centrées sur l'origine concerne l'aménagement du territoire et, plus particulièrement, le maintien de l'activité dans des zones plutôt « défavorisées » - les zones rurales de montagne. Chacun peut le constater.

Ainsi donc, il est possible de concilier développement économique et développement durable.

Enfin, il conviendra de rester attentif aux moyens de l'Institut, établissement public auquel seront transférés les activités, les biens et le personnel de l'INAO. Il me semble en effet que, compte tenu des compétences nouvelles qui seront les siennes, les financements devront être à la hauteur. Un effort significatif devra être fait en matière de communication institutionnelle sur les signes d'origine et de qualité afin que, d'une part, le consommateur sache enfin clairement ce qu'il achète, et que, d'autre part, les productions puissent être valorisées au mieux. Le ministère de l'agriculture, l'INAO et son successeur devront agir de concert sur ce thème.

Modestement, le festival des AOC de Cambremer, que j'organise chaque année avec le concours de l'INAO, contribue à faire connaître les produits, les producteurs et les modes de production. Ces thèmes ont d'ailleurs été développés devant vous, monsieur le ministre, puisque vous étiez présent à ce dernier festival, ce à quoi j'ai été très sensible.

Chacun sait que le diable se cache dans les détails. Concernant le nom du futur institut, il me paraîtrait plus logique de placer l'origine avant la qualité. En effet, si, à l'INAO, la qualité, qui a par ailleurs de multiples facettes, prime l'origine, alors la France pourrait apparaître en retrait dans l'âpre controverse qui l'oppose au « nouveau monde » au niveau international : normes minimales contre indications géographiques. Elle risquerait de perdre l'un de ses atouts et de décevoir ses alliés.

L'INAO jouit aujourd'hui d'une notoriété nationale et internationale acquise depuis soixante-dix ans. Il a capitalisé sur son nom ce qui est désormais synonyme de compétences et de sérieux. Il est devenu une référence. On peut craindre qu'un changement de dénomination ne vienne semer la confusion et faire perdre ce capital.

Monsieur le ministre, vous savez combien il est long, difficile et coûteux de bâtir une image, une réputation. Je souhaite donc que la plus grande attention soit portée à la question du nom du futur institut. Autrement dit, gardons le nom actuel !

Enfin, au niveau international, vous connaissez mieux que moi, monsieur le ministre, les inquiétudes des professions viticoles à l'égard de l'accord sur le commerce des vins entre les Etats-Unis et l'Union européenne. Au-delà de leur cas particulier, il est urgent de disposer d'un cadre harmonisé au niveau mondial sur la protection des indications géographiques. Nous suivrons avec attention la position du Gouvernement.

Je ne crois pas que ce soit « rêver » l'agriculture de la France que de dire tout cela. Nous votons une loi d'orientation. Au moment de rédiger les ordonnances, monsieur le ministre, je suis sûr que vous n'oublierez pas cet aspect de la « richesse » de notre agriculture.

Il faut y croire vraiment et en favoriser le développement.

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