Je ferai simplement quelques remarques.
En premier lieu, il me semble que nous avons travaillé dans un bon climat, grâce à une grande liberté de ton et à un respect de tous envers tous, ce dont chacun ne peut que se réjouir.
Cela dit, ce texte comporte tout de même des incertitudes, des contradictions, et même quelques éléments dangereux.
Les incertitudes se situent au niveau de la notion de chef d'entreprise et de bail cessible, surtout lorsque ce dernier est rendu facultatif, car cela signifie ni plus ni moins qu'un accroissement de la complexité administrative et juridique.
Quant aux contradictions, elles touchent à l'évolution du cadre européen. En effet, à partir du moment où l'on a accepté le découplage, on va assister à un affaiblissement grandissant de la légitimité sociale des aides aux agriculteurs. Dès lors, je me pose des questions sur l'avenir de notre agriculture, car ces subventions européennes pourraient être mises en cause dans la mesure où elles ne seraient plus liées à l'acte de produire.
Par ailleurs, ce projet de loi d'orientation agricole me paraît quelque peu dangereux puisque, en fin de compte, il tend à permettre une augmentation des fermages de 50 % et à donner un rôle moins important aux SAFER.
Concrètement, cela signifie que l'on entend favoriser encore plus fortement l'augmentation de la surface des exploitations, ce qui entraînera donc une diminution du nombre de créations.
Je mentionnerai simplement un chiffre : 6 000 créations, cela correspond simplement aux 6 000 enfants d'agriculteurs qui, aujourd'hui, pourraient reprendre une exploitation.
En d'autres termes, la part des non-agriculteurs ne pourra qu'augmenter dès lors que, sur les 6 000 filles ou fils de paysans dont je viens de parler, un certain nombre choisiront une autre profession que celle d'agriculteur.
En réalité, s'agissant de l'installation des jeunes, nous sommes face à un enjeu extrêmement important qui n'est pas réellement pris en compte dans ce texte. Au contraire, l'installation sera encore plus difficile.
Je souhaiterais maintenant mettre l'accent sur un certain nombre d'oublis. Je pense, notamment, à la multifonctionnalité, à la pression du foncier et au rôle joué par les coopératives.
Selon moi, il ne sera possible de parvenir à une réelle légitimité sociale des subventions que dans le deuxième pilier de la loi agricole, qui concerne la mission d'entretien du paysage, autrement dit la fonction écologique que remplissent nos agriculteurs. Or je considère que, au travers de ce texte, nous avons été bien timorés dans ce domaine. Et pourtant, il me semble que la voie de l'avenir est précisément celle-là, et ce, je le répète, afin de pouvoir justifier aux yeux de l'opinion le montant des subventions auxquelles les agriculteurs ont droit.
En outre, il est une question non résolue : quel prix va-t-on accorder aux agriculteurs pour le fruit de leur travail ? Considérer simplement le prix des marchés mondiaux entraînera, c'est clair, la condamnation de notre agriculture et, partant, de l'installation des jeunes. C'est la raison pour laquelle il faudra sans doute en revenir un jour, si l'on veut mieux préserver l'avenir de nos agriculteurs et surtout les prix agricoles, à la notion de préférence communautaire.
Il convient donc de redonner des perspectives à notre agriculture pour que les exploitations soient pérennes, avec une vision à long terme.
Les agriculteurs sont devenus une minorité dans notre société - leur nombre est passé de trois millions à 600 000 ! -, phénomène qui ne peut que modifier la compréhension par notre société des problèmes qu'ils rencontrent.
J'ajoute qu'il s'agit là d'une minorité créatrice, composée de particularités diverses et dont la culture collective est bien ancrée. C'est la raison pour laquelle il nous faut apporter des réponses précises à l'attente des agriculteurs : ils ont subi des chocs tant juridiques qu'économiques et sociaux extrêmement importants et ont besoin, de ce fait, d'une certaine stabilité.
Or, de ce point de vue, le projet de loi d'orientation agricole que vous nous proposez, monsieur le ministre, s'il présente, il est vrai, certains dispositifs positifs - nous les avons d'ailleurs votés -, reste tout de même insuffisant pour redonner espoir à nos agriculteurs, en particulier aux jeunes.