Intervention de Thierry Repentin

Réunion du 29 octobre 2008 à 15h00
Crise du logement et développement du crédit hypothécaire — Discussion d'une question orale avec débat

Photo de Thierry RepentinThierry Repentin :

Mais le déficit de logements – qui atteint aujourd’hui 900 000 unités – est rendu plus critique par les désordres financiers. Une fois le robinet du crédit stoppé net, il ne reste plus ni investisseurs ni particuliers pour réaliser, construire et acheter des logements.

Ainsi, il est évident que la récession a et aura de lourdes conséquences sur la politique du logement que nous nous devons de mener avec le plus grand volontarisme. La crise contribue, en effet, à assécher les liquidités des banques et donc à restreindre les prêts à l’accession. En conséquence, les ménages composant les classes moyennes, soit ne peuvent plus prétendre à l’accession à la propriété, même « aidée », soit doivent faire face à un taux d’effort au-delà du supportable.

Quant aux catégories populaires, il y a déjà quatre à cinq ans que le marché les a exclues de l’accession à la propriété à coup de prix prohibitifs, n’en déplaise à la pensée magique régulièrement répétée par la majorité.

La crise immobilière et financière a aussi des répercussions sur le secteur du bâtiment, les mises en chantier commençant à connaître un fort ralentissement.

Examinons les ressorts de la mécanique qui nous a conduits à la situation actuelle.

Elle trouve son « principe actif », son accélérateur, dans ce que Bernard Vorms, directeur général de l’Agence nationale pour l’information sur le logement, l’ANIL, a appelé le « paradoxe de la baisse des taux ».

Avec le maintien de taux d’intérêt bas, la part des ménages susceptibles de devenir propriétaires s’est certes trouvée élargie, mais les pourvoyeurs de crédits se sont appuyés sur cet « effet d’optique » des taux bas pour endetter plus longtemps les souscripteurs et souvent pour des montants plus élevés, flirtant sans scrupule avec la ligne des 33 % d’endettement.

Il en est résulté une augmentation continue de l’effort global des ménages depuis une dizaine d’années dans tous les pays développés. Ainsi, la très forte progression récente du coût de l’accession résulte principalement de l’effet inflationniste de la baisse des crédits à l’habitat. Dans un premier temps, cette baisse a amélioré la solvabilité des accédants, accru la demande, induit un ajustement de l’offre, mais, sur le long terme, elle a provoqué la hausse des prix.

Résultat : une augmentation considérable et inégalée du poids des dépenses de logement dans le budget des ménages.

À l’appui de mon propos, j’évoquerai deux indicateurs.

Premièrement, entre 2001 et 2006 – soit une période très courte, vous en conviendrez –, le coût moyen des opérations immobilières financées par emprunt est passé, pour un ménage accédant, de 2, 6 années de revenu à près de quatre années.

Deuxièmement, la durée moyenne des crédits s’allonge : 57 % des prêts sont contractés pour une durée de vingt à trente ans, alors que, en 2003, 60, 4 % des prêts étaient contractés pour une durée inférieure à vingt ans.

Voilà pourquoi les classes moyennes sont maintenant, elles aussi, touchées par cette crise. De fait, elles n’ont pas accès au logement social et elles ne sont ni assez aisées pour pouvoir prétendre à l’accession au regard de l’explosion des prix de l’immobilier, ni assez fragiles pour être concernées par les aides personnelles au logement ou à l’accession. Quant à celles qui ont accédé à la propriété quand le marché était « au plus haut », parce qu’on leur a laissé croire que c’était toujours « le moment d’acheter », elles se retrouvent aujourd’hui contraintes de revendre à un prix sensiblement plus bas.

Face à cette situation, quelle est la responsabilité de l’État ?

Non seulement, vous n’avez pas su prévoir ce déséquilibre du marché immobilier, annoncé pourtant depuis plusieurs mois par nombre d’économistes et de spécialistes de la question, mais en outre le Gouvernement a décidé qu’en 2009 pas un seul euro supplémentaire ne serait engagé par l’État dans la mission « Ville et logement ».

Pire, vous prenez l’initiative de ponctionner le budget de nos partenaires du monde HLM et menacez la pérennité du 1 % logement collecté sur la masse salariale des entreprises pour compenser les économies que vous souhaitez réaliser dans le budget de l’État.

Les crédits de paiement vont connaître une diminution très sensible de 6, 9 %, diminution qui va se poursuivre, comme annoncé, dans les années à venir. Or ce choix est difficilement compréhensible à l’heure où la commission Attali estime que, d’ici à 2020, les besoins en termes de construction s’élèveront à 500 000 logements par an. La ligne budgétaire relative aux aides à la pierre – celle qui est significative pour construire et rénover – sera amputée de 30 %, rien que pour l’année prochaine.

Les arbitrages budgétaires de Bercy nous paraissent d’autant plus inquiétants que la mise en œuvre du plan de cohésion sociale et du programme national de rénovation urbaine va nécessiter un effort et un soutien tout particulier. Où est passé l’euro que l’État devait mettre sur la table pour chaque euro dépensé en faveur de l’ANRU, l’Agence nationale pour la rénovation urbaine ? Où est passé l’investissement massif nécessaire pour permettre la construction de logements économiquement abordables, que ce soit au sein du parc public ou du parc privé ? Aujourd’hui, qui garantit durablement à l’ANAH, l’Agence nationale de l’habitat, un niveau de financement lui permettant de poursuivre ses missions, alors que sa ressource est extrabudgétaire ?

Par ailleurs, vous affichez, madame la ministre, une volonté de quasi-liquidation du plan de cohésion sociale, avec un budget en baisse pour les aides au locatif social : 350 millions d’euros en 2009, contre 362 millions d’euros il y a cinq ans.

Vous avez également refusé de prolonger, au-delà de 2009, l’exonération durant vingt-cinq ans de la TFPB, la taxe foncière sur les propriétés bâties. Le plan de cohésion sociale est donc bel et bien remis en cause !

Lorsque le Président de la République avait annoncé qu’il allait faire du logement son chantier prioritaire, aurions-nous dû comprendre qu’il comptait soumettre les politiques publiques du logement aux seules exigences de la RGPP, la révision générale des politiques publiques ? Quelles que soient les circonstances, il semble accorder, coûte que coûte, la primauté au monde de la comptabilité sur celui du logement de nos concitoyens. D’ailleurs, la RGPP ne fait aucune référence à l’efficacité de la dépense publique ; seule compte la réduction, à court terme, des dépenses de l’État. Qu’importe même si cette réduction entraîne des dépenses supérieures dans un autre domaine ou à très brève échéance, dans un ou deux ans !

C’est curieux comme cette myopie rappelle celle des marchés financiers et de leurs produits à terme, que le Président de la République est pourtant le premier désormais à mettre sur le banc des accusés !

Si, au nom du groupe socialiste du Sénat, je vous interroge sur la crise du logement, madame la ministre, c’est parce que la véritable cause de la crise immobilière réside dans l’absence de relance efficace de la construction, notamment dans le parc social.

Au lieu de cette relance, vous avez encouragé les dispositifs d’aide à l’investissement locatif de manière déraisonnable, sans aucune contrepartie sociale à l’engagement financier de l’État. Cette décision est tellement déraisonnable que ces dispositifs ont permis la construction de logements inadaptés au marché local en dehors des zones non tendues. Ne correspondant à aucune demande, certains n’ont pas trouvé preneur, tandis que d’autres ont fini par trouver des preneurs qui n’avaient pas d’autre choix, même si le logement en question ne leur convenait pas en raison de son poids sur leur budget familial.

Quant au Pass-foncier, il procède de la même logique : il conduit à l’endettement des ménages sur des durées si longues que le moindre accident de la vie risque de les entraîner dans une descente aux enfers.

La situation est paradoxale. D’un côté, l’État investit plus de 30 000 euros dans un logement privé, vendu comme produit fiscal, construit en dehors de toute considération des besoins, et loué au-dessus des prix du marché, et, de l’autre, il consacre à peine 20 000 euros pour construire un logement à un prix abordable, correspondant au pouvoir d’achat des foyers populaires, dans une zone où c’est nécessaire !

Dans le même temps, l’État, mauvais payeur, reste le premier créancier des organismes d’HLM, dont il est pourtant si prompt à critiquer la gestion.

À ce budget en baisse s’ajoute une série de mesures annoncées par le Gouvernement dont on peine à comprendre l’objectif, si ce n’est celui d’envahir la presse d’effets d’annonce pour tenter de rassurer l’opinion. La subvention annoncée par Nicolas Sarkozy pour l’achat de 30 000 logements à des promoteurs privés qui ne trouveraient pas aujourd'hui preneur est un exemple parmi d’autres.

D’abord, cette mesure ne doit pas être une aide directe à des promoteurs privés, dont la modération, la sobriété et la recherche d’une réponse pertinente aux besoins n’ont pas toujours été, au cours de ces dernières années, les qualités premières.

Ensuite, cette mesure est une nouvelle occasion, tout comme le soutien aux PME grâce au livret A, de peser sur le budget de nos partenaires, sans pour autant accroître l’effort de la nation en faveur du logement. Soyons clairs : débudgétiser est non seulement une économie pour l’État, mais aussi une manière de réduire radicalement les crédits consacrés au logement. La part du gâteau se réduit !

Je souhaite vous poser plusieurs questions, madame la ministre.

Premièrement, comment comptez-vous – enfin – réagir pour combler le déficit constaté en matière de construction de logements à loyer abordable en France ?

Deuxièmement, qu’allez-vous faire pour les classes moyennes qui ont acheté leur logement au prix fort et se retrouvent aujourd’hui soit avec un taux d’effort ingérable, soit avec un prix de revente sensiblement plus bas, soit étranglées par un prêt-relais désormais insolvable ?

Troisièmement, allez-vous réellement, comme le préconise une publication récente du Conseil d’analyse économique portant sur le logement des classes moyennes, généraliser les emprunts hypothécaires pour financer l’économie ?

Vous ne pouvez pas réellement croire que de telles mesures seront favorables aux 712 000 ménages – ce sont les chiffres de la Banque de France ! – qui se trouvent aujourd’hui en situation de surendettement. Et je ne parle pas des milliers de ménages qui se sacrifient chaque jour pour faire face à leurs échéances. Le développement de ce type de crédit au profit des particuliers présente de graves dangers et produit des effets pervers sur le surendettement des ménages.

Notre inquiétude est d’autant plus légitime que le Président de la République n’a cessé de chanter haut et fort les louanges de ce dispositif.

Ainsi, il expliquait en 2006, dans une interview accordée au journal Les Echos, sa nouvelle stratégie économique en ces termes: « Je veux développer le crédit hypothécaire en France. C’est ce qui a permis de soutenir la croissance aux États-Unis. »

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