Intervention de Martial Bourquin

Réunion du 29 octobre 2008 à 15h00
Crise du logement et développement du crédit hypothécaire — Discussion d'une question orale avec débat

Photo de Martial BourquinMartial Bourquin :

Je crains que la modération que vous affichez aujourd’hui ne soit qu’une façade et que, d’ici à quelques mois, ressortent des projets allant encore plus loin. Nous avons quelques raisons de nous inquiéter. À cet égard, je me permettrai d’effectuer un rappel des textes ou rapports que vous avez soutenus ces dernières années.

En 2005, alors que Nicolas Sarkozy était ministre d’État, ministre de l’économie, des finances et de l’industrie, il avait entrepris « l’import juridique » du système de l’hypothèque rechargeable. Pour éviter le débat, le Gouvernement avait alors choisi de procéder par voie d’ordonnance. C’est ainsi que, dans le but de permettre aux personnes propriétaires de pouvoir dégager des revenus et contracter d’autres prêts, l’ordonnance du 24 mars 2006 relative aux sûretés avait ouvert deux nouvelles formes de crédit. La première, l’hypothèque rechargeable, autorise l’emprunteur qui a déjà constitué une hypothèque pour l’achat d’un bien immobilier à affecter une partie de celle-ci, proportionnelle au montant du crédit déjà remboursé, à la garantie d’un autre crédit. La deuxième, le prêt viager hypothécaire, permet d’obtenir un prêt garanti par un bien immobilier à usage exclusif d’habitation, sachant que le prêt n’est remboursé qu’au décès de l’emprunteur par la vente de son bien.

L’adoption de cette ordonnance, faute de débat parlementaire, avait fait l’objet d’une grande campagne au sein de l’UMP, où la fascination pour des méthodes de distribution de crédit immobilier explicitement inspirées des États-Unis était flagrante. Déjà, à l’époque, le groupe socialiste s’était élevé contre ces propositions.

Autre source d’inquiétude : un rapport sur l’hypothèque et le crédit hypothécaire, commandé par Nicolas Sarkozy, alors ministre d’État, proposait, dès 2004, d’accroître la fluidité du crédit hypothécaire tout au long de la vie du prêt. L’idée exposée était simple : « Une hypothèque initialement inscrite à l’appui d’un premier prêt, le plus souvent immobilier, peut être réutilisée, sans nouvelle formalité de mainlevée ou d’inscription, pour garantir de nouveaux prêts. »

Il s’agissait ni plus ni moins du système américain, à une nuance près : la recharge servait à financer des « dépenses de travaux ou d’équipement ». Aux États-Unis, elle est utilisée pour contracter un autre prêt à la consommation. C’est le crédit revolving sans barrières, où prêts à la consommation et prêts immobiliers se confondent sans limite, pour la plus grande insécurité des emprunteurs.

Là encore, nous avions fait part de très vives préoccupations. Nous savons que le dispositif existant en France n’est pas strictement identique au dispositif américain. C’est peut-être même l’une des raisons pour lesquelles il ne s’est pas développé : le système du cautionnement, combiné au maintien d’une étanchéité entre les prêts à la consommation et les prêts immobiliers, a préservé notre pays des conséquences les plus dramatiques de ce système.

Depuis, il est vrai, certaines personnes ont ouvert les yeux et sont revenues, sinon à un enthousiasme plus modéré, du moins à une position plus raisonnable.

Dans un récent rapport, Frédéric Lefebvre, député UMP, se félicite de l’échec de la mise en œuvre de ces nouveaux produits. Il y voit même l’une des principales explications de la meilleure résistance du marché français à la crise.

Le problème, c’est que plusieurs faits intervenus depuis cette ordonnance de 2006 nous conduisent à penser que ce retour à une position plus mesurée ne peut être que conjoncturelle. Les propositions du candidat Sarkozy en 2007 et la publication d’un récent rapport du Conseil d’analyse économique, le CAE, vont, en effet, dans le sens du développement du crédit hypothécaire.

En septembre 2006, Nicolas Sarkozy, alors candidat à la présidence de la République, et dont l’objectif était de voir 70 % des Français devenir propriétaires de leur logement principal, déclarait : « En France, nous privilégions la garantie sur les personnes, ce qui conduit les établissements bancaires à écarter du marché du crédit tous ceux dont la situation professionnelle n’est pas assez stable pour assurer des revenus durables. Cette tradition n’est pas une fatalité. Il suffit de changer les règles prudentielles imposées aux banques, de simplifier le recours à l’hypothèque et d’en réduire le coût. ».

Avouez quand même, mes chers collègues, qu’un tel discours traduisait une fascination pour le système américain qui, aujourd’hui, paraît pour le moins décalée !

Il ne fait aucun doute que cette proposition visait les ménages les plus modestes. Comme aux États-Unis, il s’agissait d’établir un lien direct entre la valeur du bien estimée sur le marché et la capacité d’accès au crédit.

On sait qu’aux États-Unis, la baisse des prix des actifs immobiliers a d’abord entraîné une diminution des capacités d’emprunt et d’accès au crédit, avant de rendre la demande de logements moins solvable et, enfin, un peu comme un jeu de dominos qui s’écroule, d’entamer la capacité de consommation des ménages. Les ménages les plus modestes ont vu leurs logements saisis, les banques ne pouvant espérer retirer de la vente de ces biens qu’une valeur très inférieure à celle estimée initialement. Finalement, c’est l’économie en général qui en a pâti, et qui se trouve aujourd’hui plongée dans une crise durable.

Le deuxième fait marquant, et qui alimente nos craintes, madame la ministre, c’est le rapport du Conseil d’analyse économique, qui vous a été remis le 30 septembre dernier.

Les auteurs de ce rapport estiment qu’en matière de crédits immobiliers, « la France n’a pas intérêt à défendre à tout prix une exception dont les vertus sont établies, mais qu’il n’est pas illégitime de faire évoluer », que les premiers pas accomplis par l’ordonnance de 2006 « restent pour le moins insuffisants », et que « le développement d’un marché financier de titrisation hypothécaire est la condition du développement du marché de l’hypothèque en France ».

Les propositions contenues dans ce rapport sont-elles encore défendables aujourd’hui, madame la ministre ?

Pour leur part, les socialistes ont une vision du logement qui n’est pas strictement patrimoniale. Dès vos premières propositions, nous avions tiré la sonnette d’alarme et nous nous étions prononcés contre la généralisation du crédit hypothécaire rechargeable. Croyez-nous, madame la ministre, nous aurions préféré ne pas avoir raison sur ce thème ! Aujourd’hui, il est encore temps de réagir avant que le train ne déraille. C’est ce que nous vous invitons à faire !

Aussi, madame la ministre, nous nous permettrons de vous poser plusieurs questions précises.

Souhaitez-vous poursuivre l’œuvre entreprise et importer purement et simplement en France le système américain, dans lequel les crédits à la consommation sont adossés aux prêts au logement ?

Voulez-vous faire des ménages français des spéculateurs malgré eux, qui consommeraient au-delà du raisonnable mais qui vivraient en permanence avec la menace de la dépréciation de leurs biens immobiliers planant au-dessus de leur tête et de celle de leurs enfants ?

Souhaitez-vous continuer à promouvoir un système de retraite par capitalisation, dont il faut rappeler qu’il repose de plus en plus sur les valeurs financières et immobilières, au détriment des valeurs de solidarité entre les actifs et les inactifs ?

Souhaitez-vous persister à n’apporter que des solutions bancaires et financières à la crise du logement, alors que celle-ci est avant tout une crise de la construction, d’où découle un défaut d’adaptation de l’offre à la demande, et une crise du foncier constructible ?

Souhaitez-vous exiger des banques, auxquelles l’État s’apprête à donner 10 milliards, qu’elles recourent avec la plus grande mesure à ces crédits ?

Au fond, madame la ministre, quels risques êtes-vous finalement prête à faire prendre aux ménages les plus modestes ?

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