Dire qu’il existe une crise du logement dans notre pays relève du lieu commun. Les déclarations triomphales faites, voilà quelques mois, sur le niveau exceptionnel de construction de logements, y compris de logements sociaux, semblent avoir mal supporté l’épreuve de la crise économique, dont l’une des conséquences les plus immédiatement perceptibles est le ralentissement de l’activité du bâtiment et de l’immobilier.
Chute de 25 % des mises en chantier, chute de 30 % des transactions immobilières, émergence d’une situation dramatique pour 30 000 accédants à la propriété victimes des prêts-relais, aggravation de l’endettement des ménages, notamment en raison des prêts immobiliers à taux variable : tout cela concourt à la crise ! Au demeurant, s’il fallait encore se convaincre des désordres constatés dans le secteur, on pourrait rappeler qu’un des principaux opérateurs immobiliers, Nexity, a annoncé l’abandon de 110 programmes et le licenciement de 500 salariés, tandis qu’un important réseau d’agences immobilières, ORPI, s’apprête à fermer 30 agences.
Je donnerai également quelques indications à propos de la situation qui prévaut sur le front de l’emploi. Le secteur de la construction, avec une moyenne de 18, 2 heures supplémentaires sur le second trimestre 2008, continue de solliciter avec une constance avérée le dispositif instauré par la loi TEPA. Mais, dans le même temps, les services du ministère du travail nous indiquent que 8 500 emplois intérimaires ont disparu dans le secteur, tandis que les créations d’emplois n’ont finalement progressé que de 4 000 postes sur la période.
Alors qu’en principe, au deuxième trimestre, les beaux jours favorisent l’activité du bâtiment, le ralentissement est sensible au niveau de la création d’emplois. Il faut dire que la loi TEPA, qui incite les entreprises à arbitrer au mieux entre heures supplémentaires, intérim et embauches fermes, pèse lourdement sur l’emploi. À force de donner priorité au mirage du « travailler plus pour gagner plus », vous allez, par la chute de l’intérim et celle des embauches directes, priver l’industrie française du bâtiment des forces dont elle aura besoin, demain, pour relever les défis, à commencer par celui du logement pour tous et partout.
Cette crise du logement est donc aussi la crise d’un secteur économique. Elle est aggravée par des choix politiques néfastes, et elle appelle un certain nombre d’observations complémentaires.
II y aurait, selon les associations de lutte pour le droit au logement, 2, 5 millions de ménages mal logés, sans-abri, précairement hébergés ou résidant dans des logements insalubres ou surpeuplés.
En guise de réponse, le Gouvernement a essentiellement, ces dernières années, développer l’offre de logements, avant de s’inquiéter des caractères de la demande. Des centaines de millions d’euros ont ainsi été distraits des ressources publiques pour inciter les particuliers à réaliser des investissements locatifs – les régimes « Robien » et « Borloo » – tandis que des millions ont été mobilisés pour permettre aux établissements de crédit d’entraîner des ménages moyens et modestes dans la spirale de l’endettement, sans le moindre risque pour ces établissements.
La dépense publique pour le logement a été profondément dénaturée. Les crédits de la mission « Ville et logement » se limitent désormais à la prise en charge partielle des aides personnalisées au logement. Quant à la part des crédits destinés à la construction de logements locatifs sociaux neufs et à la réhabilitation du parc existant, ils ne cessent de diminuer, par la voie de la régulation budgétaire et des ajustements réalisés par les collectifs de fin d’année.
Je me contenterai d’énumérer quelques signes, bien connus, de cette politique que nous condamnons depuis 2002.
Ainsi, l’État n’a jamais respecté les engagements qu’il avait pris dans le cadre du programme national de rénovation urbaine, alors même qu’il s’apprête aujourd’hui, avec le projet de loi de mobilisation pour le logement et la lutte contre l’exclusion, à solder son découvert en faisant main basse sur le 1 % logement !
Les engagements non respectés trouveront d’ailleurs en 2009 une nouvelle illustration, puisque la prime à l’amélioration des logements à usage locatif, PALULOS, va passer par pertes et profits pour toute opération qui n’entrerait pas dans le cadre des programmes menés par l’ANRU.
La crise du logement, c’est aussi cela, mes chers collègues !
Dans la dernière période, la construction de logements sociaux tient, d’une part, à la montée en charge des logements PLS, peu consommateurs d’aides publiques directes, et, d’autre part, au fait que les communes présentant un déficit de logements sociaux dans leur habitat ont finalement décidé, dans leur majorité, de mettre en œuvre la loi SRU.
C’est pourquoi, remettre en cause la loi SRU, ce serait aujourd’hui prendre le risque d’aggraver les crises du logement, de l’emploi et de l’activité dans le bâtiment ! Madame la ministre, je ne pense pas que le projet du Gouvernement soit d’augmenter le nombre des sans-emploi dans notre pays !
Pensez-y avant de chercher comment vous allez faire rétablir par le Palais Bourbon l’article 17 du projet de loi de mobilisation pour le logement et la lutte contre l’exclusion, que le Sénat a massivement, et justement, rejeté !
Pensez-y aussi quand vous laissez croire que l’accroissement de la mobilité des locataires, en mettant dehors les locataires en sous-occupation ou prétendument privilégiés – un couple d’enseignants sans enfant, par exemple -, permettra de répondre aux besoins.
Toutes ces propositions ne font que tourner autour de la solution, à savoir la construction de logements sociaux de qualité, en quantité suffisante pour inverser le processus d’aggravation de la crise du logement.
La construction, parlons-en ! Ce qui pose problème, mes chers collègues, depuis 2002, c’est que la majorité a voté des lois dont il résulte que 70 % de l’offre de logements existante n’est destinée en fait qu’à 30 % des demandeurs de logements.
Les logements « Robien », c’est bien quand ils sont loués ! Mais quand ils ne correspondent pas aux attentes des demandeurs de logement, c’est un gâchis sans nom ! Par quel miracle voudriez-vous qu’un couple, dont les revenus se situent sous les plafonds HLM, soit prêt à payer 1 500 ou 1 600 euros par mois pour se loger dans du « Robien », logement par ailleurs largement défiscalisé ? En revanche, le même couple est autorisé à voir le produit de ses impôts dispendieusement utilisé pour aider des investisseurs immobiliers qui pourraient se contenter des modalités normales d’imposition des revenus fonciers !
S’agissant de l’offre locative, comment ne pas relever encore que la loi Méhaignerie du 23 décembre 1986 ou que la loi relative à l’habitat du 21 juillet 1994 ont favorisé la poussée urticante des loyers et la flambée des quittances ?
De fait, mes chers collègues, le parc social n’existe quasiment plus, la loi de 1948 n’étant qu’un lointain souvenir de temps révolus ! Ce qui existe, en revanche, c’est un parc locatif privé qui n’a pas été véritablement entretenu et dont les loyers ont, eux, pris l’ascenseur !
La crise du logement, ce sont aussi ces studettes parisiennes à 900 euros ou ces studios construits dans les années vingt ou trente, à 700 euros en province ! C’est aussi le développement de copropriétés dégradées, dont certaines procèdent du démembrement, fort rentable pour le vendeur, d’immeubles anciens par congé-vente, dans le droit fil de la loi Méhaignerie.
Devant nos concitoyens, devant les demandeurs de logement, devant les mal-logés, devant les sans-abri, les auteurs de ces lois sont aujourd’hui responsables !
Je me permettrai enfin, mes chers collègues, de faire le point sur l’accession à la propriété, puisque nous sommes passés en quelques années d’un dispositif destiné aux ménages – prêts principaux bonifiés et réductions d’impôt – à un dispositif destiné aux prêteurs !
Notre groupe pense qu’il est grand temps de revenir aux fondamentaux.
Le prêt à taux zéro, s’il doit persister, doit être recentré sur les ménages les plus modestes et couvrir la majeure partie de la valeur d’achat du bien immobilier.
Il est temps, et même grand temps, d’abandonner les prêts à taux variable et de réduire le niveau des taux d’intérêt, en exigeant des établissements de crédit qu’ils réduisent quelque peu leur marge opérationnelle. On n’en prend pas le chemin, faut-il le rappeler !
En rackettant les collecteurs du 1 %, vous privez des milliers de familles de salariés de la possibilité de contracter des prêts à faible taux d’intérêt, qui permettaient jusqu’ici à ces ménages de structurer de manière « supportable » leur dette immobilière !
Madame la ministre, pourquoi ne prenez-vous pas immédiatement une mesure sur les prêts-relais ? Exigez donc des banques des abandons de créances sur les intérêts courus à la mesure des financements consentis dans le récent collectif budgétaire ! Avec 360 milliards d’euros, vous devriez pouvoir trouver, n’est-ce pas ?
Enfin, recyclez le crédit d’impôt sur les intérêts d’emprunt prévu par la loi TEPA en le transformant, par exemple, en capacité de remboursement anticipé pour les emprunteurs, sous forme d’une aide budgétaire directe. En effet, en l’état actuel, ce dispositif ne fait qu’encourager la hausse des taux d’intérêt !
La crise du logement que traverse notre pays exige, de notre point de vue, la remise en cause des choix antérieurs, notamment de ceux que vous avez faits, mes chers collègues. En effet, cette crise ne se résoudra pas par le développement de subprimes à la française – c’est bien ainsi qu’il faut appeler le crédit hypothécaire –, mais par la remise en question du cadre législatif et financier qui l’a fait naître.
C’est ce que le groupe CRC tenait à rappeler à l’occasion du débat sur cette question orale relative à la crise du logement.